Les structures de gestion de la lutte sont de deux types : fédéral et d’exception. Lors des Assises de la lutte, organisées les 20 et 21 octobre 2018, les composantes de la lutte avaient majoritairement réclamé une fédération. L’actuel ministère des Sports est, aujourd’hui, prêt à les accompagner dans ce sens.
Par arrêté n° 027698 du 31 octobre 2024, le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Khady Diène Gaye, a prorogé le mandat et nommé de nouveaux membres du Comité national de gestion (Cng) de la lutte, en désignant l’arbitre Malick Ngom comme président pour une durée d’un an non renouvelable. Entre autres missions, le Cng devrait œuvrer pour la mise en place d’une fédération. Ainsi, après 31 ans de gestion de type d’exception, la lutte devra aller à un modèle fédéral, normalement dans quatre mois. Le ministre de tutelle, en installant le successeur de Bira Sène dans ses fonctions, avait insisté sur le fait qu’il était tenu de convoquer une Assemblée générale élective de la Fédération sénégalaise de lutte (Fsl) à la fin de son mandat. Le bémol, c’est que la gestion de type fédéral reste globalement un grand mystère pour les acteurs actuels de la lutte qui ne connaissent que la gestion de type d’exception. La lutte étant gérée depuis 1994 par un Comité national.
Lors des Concertations nationales sur la lutte, tenues les 20 et 21 octobre 2018, à l’Arène nationale, dans l’atelier 1 qui a réfléchi sur l’environnement institutionnel et le cadre juridique de la lutte, les acteurs avaient majoritairement réclamé une gestion de type fédéral. Dans les recommandations finales, il a été demandé d’y aller dans deux ans. Ce qui n’a pas été respecté par les dirigeants d’alors. Une fédération est une structure qui assure l’organisation, la promotion et le développement d’un sport. Depuis plus de trois décennies, le travail qui devait être fait pour y aller n’a jamais été effectué de manière globale. La donne a aujourd’hui changé, puisque l’actuel ministre des Sports, Khady Diène Gaye, est décidée à y aller effectivement. Elle a ainsi mobilisé les techniciens de son département pour instaurer la Fsl. Elle a clairement exprimé la volonté politique de faire revenir la lutte dans un cadre fédéral. C’est ce qui a justifié la rencontre tenue, le mercredi 18 juin 2025, au stade Léopold Sédar Senghor, entre la Direction des activités physiques et sportives (Daps) et le Cng de lutte. Pour ne pas rester les bras ballants et attendre tranquillement la fin du mandat de l’actuelle équipe, le Daps Gilbert Mbengue a posé des jalons et estimé que l’idéal était de faire en sorte que les choses se fassent dans les « meilleures conditions et les meilleurs délais ».
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Un énorme chantier
À presque quatre mois du terme du mandat de Malick Ngom se pose la question de savoir si la lutte peut aller effectivement à une fédération. Ainsi, il est important de se référer à la définition d’une fédération qui, en termes simples, est un regroupement d’associations dont la mission principale est d’organiser et de promouvoir la pratique de leur discipline. « Partant de cette définition et en comparaison avec la situation actuelle où la gestion de la lutte est confiée au Cng, qui est une structure d’exception dont les membres sont nommés par le ministre en charge des Sports, il apparaît clairement une différence fondamentale entre les deux types d’institution », éclaire Khalifa Niang, secrétaire général de l’Association des responsables des écoles et écuries de lutte du Sénégal (Areels). « Si nous sommes dans une fédération, les membres sont élus par un collège bien déterminé. Avec une fédération, les acteurs choisissent leurs dirigeants », avance-t-il. Khalifa Niang croit dur comme fer que pour franchir une nouvelle étape et faire rayonner davantage la lutte, il est préférable d’aller à une fédération au même titre que les autres formes de sport.
Le président de l’association nationale des lutteurs, Gris Bordeaux, soutient qu’il n’est pas contre le projet, mais il préconise qu’on y aille sans précipitation. « Nous devons prendre largement notre temps avant de mettre en place cette fédération. La lutte est différente des autres disciplines sportives puisqu’elle a ses réalités », a-t-il développé, estimant que « beaucoup d’associations de lutte ne sont pas légalement constituées » et qu’il faudra d’abord « régulariser » tous ces regroupements au niveau du ministère de l’Intérieur pour qu’ils puissent remplir certains critères. De son côté, le président de l’association des amateurs, Doudou Diagne Diécko, pense que les autorités doivent d’abord « sécuriser les promoteurs qui sont les grands bailleurs de la lutte ainsi que les lutteurs dans le cadre d’une fédération ». Très sceptique, il a rappelé que la dernière fédération de lutte a été dirigée par feu Armand Ndiaye, mais elle devait de l’argent à des lutteurs.
Le chantier est très lourd. En effet, il faudra définir le mode d’élection, établir les statuts, le règlement intérieur, les électeurs, les critères pour être candidat… C’est compte tenu de tout cela que le directeur des activités physiques et sportives (Daps) a indiqué que la mise en place de cette fédération dépendra du chronogramme qui sera ultérieurement proposé par le ministère de tutelle et qui sera ensuite approuvé par les acteurs de la lutte.
Pas urgent d’aller à une fédération
À part Dakar, Thiès, Kaolack et Diourbel, toutes les dix autres régions du Sénégal ne sont pas bien structurées pour répondre aux critères d’une fédération. Aussi, d’autres structures de lutte ne sont pas légales puisqu’elles n’existent pas administrativement. Le président du Comité régional de gestion (Crg) de Thiès, Babacar Diop, a estimé que des structures comme l’association des arbitres, celle des amateurs, de la presse, de la lutte simple, devraient y être associées. Ce qui nécessite, reconnaît-il, un diagnostic d’ensemble qui devrait aboutir à des propositions consensuelles. Pour cet agent du ministère des Sports à la retraite, il est plus que nécessaire de passer à une fédération. Pour Khalifa Niang de l’Areels, l’analyse de la composition des acteurs (lutteurs, écoles de lutte, promoteurs, entraîneurs, communicateurs, etc.), fait ressortir des entités qui ont la même passion, mais avec des intérêts parfois divergents. De l’avis de l’ancien président de l’écurie Tay Shinger de Pikine, cette diversité d’acteurs doit être assainie et structurée dans un cadre qui devra prendre en compte l’ensemble des préoccupations pour l’intérêt exclusif de la lutte. Le premier obstacle à lever, a-t-il souligné, est la désinformation et le lobbying. « Le reste sera une question d’autorité, de respect des textes et des règlements du sport de façon générale», rassure-t-il.
Très optimiste, Khalifa Niang pense que notre administration a suffisamment d’expérience pour la mise en place d’une fédération. Dans le cas d’espèce, il estime qu’il est plus indiqué de mettre en place un comité de pilotage composé d’acteurs de la lutte, de professionnels du sport, de journalistes… Poursuivant, il a indiqué que cet exercice ne doit pas se faire entre quatre murs. Il doit être inclusif et transparent. « L’autorité en relation avec ses services doit prendre ses responsabilités et ne pas céder à la pression qui ne manquera pas », alerte ce cadre de la lutte.
Lansana Coly, inspecteur régional des sports à la retraite et ancien entraîneur de l’équipe nationale olympique, ne cache pas ses craintes. « Pour moi, qui ai travaillé avec beaucoup d’anciens présidents d’instances dirigeantes comme Thiaré, Alioune Sarr et Bira Sène, c’est un risque d’aller assez vite à une fédération », prévient-il. M. Coly estime qu’en tant que technicien qui a entraîné beaucoup d’anciennes gloires, comme Mor Fadam en équipe nationale, il ne voit « aucune urgence à aller à une fédération ». Il prend ainsi exemple sur le Niger et la Gambie « qui évoluent dans le cadre d’une fédération de lutte, mais qui copient tous sur le modèle sénégalais ». Selon cet expert de la lutte, la fédération est plus démocratique et est nécessaire, mais ce n’est pas une urgence. Il faut y aller par étape, insiste-t-il. « Pour le chronogramme annoncé par le Daps, si c’est pour moins de deux ans, ce ne sera pas bon », avance-t-il. À l’en croire, il faudra d’abord structurer les instances au niveau départemental, ensuite au niveau régional, avant d’en faire autant au niveau national. Pour cela, renseigne-t-il, « il faut une formation des administratifs ».
À ce sujet, Lansana Coly clame qu’il faut des gens responsables dans les bureaux des instances dirigeantes pour avoir une fédération responsable. « Pour être membre d’une fédération, il faut un club. Quelle sera donc la position des présidents des Crg ? » s’interroge-t-il. Avant d’étaler son inquiétude : « Dakar, Thiès et Kaolack sont les seules régions qui ont rempli les critères d’une fédération. En tant que technicien, j’ai peur que la fédération soit source de conflits et que la place de la lutte sénégalaise au niveau international dégringole à cause de cela ».
Passer au modèle fédéral est un projet effectivement réalisable, mais le seul écueil sera d’ordre temporel, selon de nombreux experts. Pour beaucoup d’entre eux, si le problème du timing est réglé, c’est-à-dire si les techniciens font le nécessaire dans les meilleurs délais et les meilleures conditions, la lutte reviendra à une gestion de type fédéral.
Par Abdoulaye DEMBÉLÉ