Julien Bonhomme est un anthropologue français. Il est tombé sous le charme de la lutte sénégalaise lors d’un séjour au Sénégal, où il était venu pour des recherches après des rumeurs sur « des voleurs de sexe ». Fasciné par notre sport national, le professeur d’université a mené une enquête de plusieurs années pour écrire le livre titré : « Le champion du quartier, se faire un nom dans la lutte sénégalaise ».
La lutte avec frappe est une passion nationale au Sénégal. Les champions de l’arène y sont immensément populaires. Associant combats, danses et rites magiques, la lutte est un spectacle total à travers lequel la société sénégalaise se donne à voir. L’ouvrage de Julien Bonhomme, « Le champion du quartier, se faire un nom dans la lutte sénégalaise », s’appuie sur une enquête dans des quartiers populaires de Dakar et suit tous les acteurs de l’arène : les lutteurs, les marabouts qui s’occupent de leur préparation mystique, les instances officielles qui encadrent les combats, les hommes d’affaires qui les organisent, les notables qui les parrainent. La réussite n’est pas seulement une affaire de talent sportif : on ne peut devenir un champion sans le soutien matériel, moral et mystique de son écurie, de sa famille, de son quartier, de son village. En plaçant au centre de l’analyse la « popularité », valeur cardinale de l’arène, l’ouvrage propose une réflexion plus générale sur la célébrité, un type de capital symbolique au cœur de la vie sociale au Sénégal comme ailleurs. En ce mardi 15 avril 2025, l’anthropologue débarque au service Sports du quotidien national « Le Soleil ». Avec sa barbe de quelques jours, le Français scrute l’horizon à partir de ses lunettes d’intellectuel. Il se réjouit également d’y trouver un Sénégalais bon teint qui s’appelle aussi Julien, en référence à notre confrère Julien Mbesse Sène.
De petites rigolades par-ci, des salamalecs par-là, le Français retrouve ses aises. Moments bien saisis pour qu’il nous parle de son amour pour la lutte sénégalaise. Son souvenir renvoie à cette première journée de lutte à laquelle il avait assisté, avec le combat de Boy Niang 2, en 2011, au stade Demba Diop de Dakar. Il a été tout de suite fasciné par ce qu’il y a vu : les combats, les « touss » (chorégraphies), les préparations mystiques, les fans, les batteurs, les présentateurs, etc. « Je me suis dit qu’il y a vraiment quelque chose à faire puisque c’est un phénomène de première importance au Sénégal ; à la fois culturelle, économique et sociologique. C’est ce qui m’a donné l’idée de commencer ce travail ». Ça lui a semblé évident que c’était un phénomène d’une grande importance. Et cela lui a donné le goût de faire cette recherche et d’écrire sur le sujet. « Je voyais tout le monde parler de la lutte. Il y avait des affiches publicitaires partout. On en parlait dans les médias, notamment à la télévision, à la radio, dans la presse écrite. Donc, ça m’avait rendu curieux », raconte Julien Bonhomme, les souvenirs vifs.
Ce n’était pas juste des combats avec deux adversaires qui s’affrontaient qui l’ont impressionné, mais tout le phénomène autour des griots qui chantaient les louanges des lutteurs, la préparation mystique et le défilé des champions en lice. Tous ces rituels ont le don de fasciner toute personne étrangère. « Je me suis tout de suite dit que ce sport, c’est beaucoup plus qu’un sport. Ça m’a intéressé ! Et je me suis rendu compte qu’il y avait peu de choses qui avaient été écrites sur la lutte », disserte cet amoureux de notre sport national. Top départ pour une production intellectuelle. Il mène un travail sérieux. En effet, entre 2014 et 2018, le « bonhomme » basé aux Parcelles assainies vient faire un travail de terrain auprès des lutteurs. « Un boy Parcelles » « Je suis vraiment un « boy Parcelles » », se définit-il. Il suit les lutteurs des Parcelles assainies. Tous les ans, il part au stade quand les lutteurs qu’il suit ont des combats. Il finit par être nommé président de l’écurie «Féké Maci Boolé». L’Arène nationale n’était pas construite à l’époque. Ils allaient à Iba Mar Diop et à Demba Diop. Julien suit les lutteurs, leur mobilisation dans les quartiers avec la famille, les amis, etc. « Le résultat de tout cela, c’est ce livre qui est paru en 2022 », se réjouit-il, fier d’avoir écrit sur un sport national très populaire et très passionnant.
L’ouvrage résume toute l’enquête qu’il a menée au Sénégal. Il comprend trois parties et neuf chapitres. Une première partie où l’auteur revient sur l’histoire de la lutte depuis l’époque coloniale jusqu’à aujourd’hui. « J’ai travaillé sur l’histoire de la lutte qui est évidemment très ancienne », précise-t-il. Pour ce job, l’écrivain s’est concentré sur les archives de la presse coloniale et tout ce qu’on pouvait trouver avant l’époque coloniale pour restituer l’histoire de la lutte dans un temps très long. Au début du livre, il y a le récit d’un voyageur européen à la fin du 17e siècle qui vient assister à des combats de lutte le long du fleuve Sénégal, vers Saint-Louis. Il décrit ce qui se passe, les techniques de lutte. Il découvre que ça ressemble à ce qui se fait aujourd’hui. Les lutteurs qui mettent la main sur la tête de leurs adversaires et qui manœuvrent. Il décrit les griots qui sont autour, les cadeaux qu’on leur offre, etc.
Julien a essayé de retracer cela dans le temps. La deuxième partie est centrée sur les acteurs de la lutte. À ce sujet, il y a un chapitre sur les lutteurs, un autre sur l’histoire des écuries de lutte et un autre sur les promoteurs et les managers. La troisième partie est centrée sur la question de la popularité. Là, il y a un premier chapitre sur la lutte simple.
Ce qui a le plus intéressé l’écrivain français dans la lutte, ce n’est pas uniquement l’aspect sportif. « Le champion du quartier, c’est une manière de dire que je ne m’intéresse pas seulement aux grandes vedettes de la lutte, c’est-à-dire à l’époque les Balla Gaye 2, Modou Lô, Bombardier, Eumeu Sène, etc. », avance-t-il. Derrière, il y a des milliers de jeunes lutteurs qui aspirent à devenir « Roi des arènes ». Il s’est centré sur ces jeunes lutteurs qui, à l’époque, n’étaient pas connus et avaient du mal à décrocher un combat auprès des promoteurs. Le professeur d’université s’est intéressé à eux quand ils étaient anonymes. « Chaque fois qu’on allait à son entraînement le soir, au lieu d’y aller directement, on faisait le détour pour serrer la main de tout le monde dans le quartier, se faire connaître pour montrer qu’on est quelqu’un de bien, respectueux. J’ai essayé de m’intéresser à tout cela », note-t-il.
Comment Julien a-t-il procédé ? «La méthodologie en anthropologie, c’est ce qu’on appelle l’enquête de terrain ou l’ethnographie», indique le Parisien. C’est de se rendre sur le terrain et passer du temps avec les gens. C’est de parvenir à poser des questions, d’aller tous les jours à l’entraînement du lutteur, de passer quelque temps avec sa famille, avec ses amis, etc. Le Français s’est beaucoup intéressé à la mobilisation des lutteurs, des rassemblements dans les quartiers, des gens qui se mobilisent autour des lutteurs. Dans ses recherches, il a compris que la lutte est devenue un phénomène urbain. Julien s’est ainsi intéressé au phénomène d’identification urbaine. Il soutient que la lutte est un ferment des identités, des appartenances territoriales sur les différents quartiers, les différentes communes de Dakar.
Un vrai passionné de la lutte sénégalaise
Julien Bonhomme n’en est pas à son premier ouvrage. Il est notamment l’auteur de « Le Miroir et le Crâne : Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon) » paru en 2006 et « Les Voleurs de sexe, anthropologie d’une rumeur africaine » publié en 2009 et « L’offrande de la mort, une rumeur au Sénégal » en 2017. Il a donc fait son premier livre au Gabon. « À l’époque, je passais beaucoup de temps au Gabon. C’est ainsi que j’ai produit l’ouvrage sur les traditions religieuses au Gabon », dit-il. Du Gabon, il s’est, de fil en aiguille, intéressé au Sénégal. Il vient à Dakar non pas pour la lutte, mais pour un autre sujet. « C’était sur la rumeur des voleurs de sexe. Parce que ça circulait partout, comme au Gabon, au Sénégal et dans beaucoup de pays d’Afrique », soutient le professeur d’anthropologie. C’est comme ça qu’il s’est intéressé aussi à la presse ; surtout à la presse people qui relayait ces histoires-là. « C’est lors de ce voyage que j’ai découvert la lutte », informe-t-il. Finalement, ce Julien Bonhomme est devenu un vrai passionné de la lutte sénégalaise.
Julien Bonhomme est professeur d’université à Paris. Il enseigne à l’École des Hautes études en sciences sociales (Ehess) et codirige le Laboratoire d’anthropologie sociale au Collège de France, à Paris. Il est sociologue-anthropologue. Il a 49 ans et a grandi à Paris. Son père était dans le sud de la capitale française, près de Marseille. Sa mère est de Paris. « Donc je suis un Parisien de naissance », dit-il, sourire en coin. Il a fait le lycée Condorcet de Paris. Après son baccalauréat, il a fait des études de philosophie à l’École normale supérieure de Paris. Après, il a basculé en sciences sociales, notamment en anthropologie à l’École des Hautes études en sciences sociales (Ehess) basée à Paris. Il y enseigne depuis 2016. « La philosophie est une discipline trop abstraite, c’est juste lire des livres. Moi, ça m’intéressait d’avoir des rapports avec la réalité dans toute sa diversité sociale et culturelle », renseigne-t-il. Donc, c’est pour cela qu’il a ensuite fait des études d’anthropologie et des sciences sociales.
Abdoulaye DEMBELE