Mamadou Sow, 14 ans, est bien parti pour représenter le Sénégal aux Jeux olympiques de la jeunesse qui se dérouleront à Dakar en 2026. Si son talent est indéniable et a déjà séduit bon nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux, cet avenir prometteur ne lui était pas garanti. Retour sur le parcours d’une étoile qui mendiait encore dans les rues de Dakar, il y a cinq ans.
Deux pieds dans le vide, tête à l’envers, il arrive sur les mains. Littéralement. Quand il atterrit, le fin tapis du gymnase semble l’avoir attendu. Mamadou Sow, que tout le monde appelle affectueusement « Rone », a 14 ans. Le champion du Sénégal en catégorie espoir de 2021 à 2023, c’est lui. Le champion de Dakar en catégorie espoir de 2021 à 2024, c’est encore lui. Il est même en lice pour représenter le Sénégal aux Jeux olympiques de la jeunesse « Dakar 2026 ». Et si aujourd’hui il collectionne les titres, hier, il collectionnait les cicatrices. Ça paraît presque trop gros, le scénario d’un film irréaliste. Un enfant des rues sauvé par le sport. Et pourtant, ce n’est pas de la fiction. Rone vivait dans la rue jusqu’en 2020. Dans une autre vie, une vie avant les compétitions sportives, sa famille le confie à un « daara ». Il parle brièvement des coups de son maître coranique, mais passe vite à autre chose. C’est lors d’une visite chez sa mère pour une fête qu’il prend une décision radicale : il doit en profiter pour fuir, pour ne pas être obligé de retourner dans son école coranique à la fin de la visite. Fuir ces coups dont il parle à peine.
La suite de l’histoire, l’histoire de sa fugue, il la raconte comme un conte de fée. Il voit des enfants de la rue passer par là. S’ensuivent des années de rue et de mendicité. Et pourtant, quand on le voit, on a du mal à l’imaginer survivre dans la rue et mendier pour son pain. Se cacher de la police ? Oui, il est discret, parle peu et sa malice, on ne la découvre que sur le tapis de gym. Mais survivre dans la rue et demander l’aumône ? Ça aussi ça paraît trop gros, impossible pour ce timide garçon. « La rue, c’était difficile et dangereux », confie-t-il. L’aventure a duré le temps qu’elle a duré et un soir, des copains le prennent à part : Village pilote, une association qui recueille des enfants des rues, des enfants comme eux, passe en voiture dans certains points de chute pour leur proposer de les emmener autre part, pour les prendre en charge. « Tu en es ? » Là encore, il répond : « Je les ai suivis ». Dans cette aventure qui ressemble à une version sénégalaise de Peter Pan, les enfants perdus découvrent un nouveau pays imaginaire : Village pilote.
L’histoire commence à s’écrire
Là-bas, la réinsertion des jeunes passe aussi par le sport et Mamadou se découvre des talents. « Le rugby, c’est notre sport roi », déclare Cheikh Diallo, responsable du centre. Et Mamadou est fort, très fort, et c’est même lors d’une partie de rugby qu’on lui a donné ce surnom « Rone ». Mais ce qu’il préfère, ce sont les activités de cirque animées par Zoss, l’animateur sportif du village. Zoss voit son talent, l’inscrit à des compétitions de gymnastique. L’histoire commence à s’écrire. Il y a des talents qui laissent sans voix, et celui de Rone en fait partie.
« Quand je l’ai vu, au championnat national du Sénégal, je me suis dit : Waouh, ce garçon est intéressant, d’où vient-il ? On m’a dit qu’il venait de Village pilote, alors je suis entré en contact avec son coach, pour savoir si c’était possible de l’entraîner ici, à la Fédération sénégalaise de gymnastique », se souvient le coach Iso qui l’entraîne depuis deux ans. « Ce qu’il fait, c’est un petit cercle de gymnastes au Sénégal qui peut le faire. Il progresse tellement vite qu’on ne se rend pas compte qu’il est là depuis seulement deux ans. Mais avec ces blessures – le tapis du gymnase trop fin le blesse, pour l’instant, on y va mollo mollo », ajoute son entraîneur.
Un talent qui fait l’unanimité, mais que Rone ne réalise pas vraiment. « Il a commencé sur le sable de Village pilote, sans équipement, sans tapis, mais son niveau est incroyable. Il ne réalise pas les qualités qu’il a », ajoute coach Iso. En bon adolescent, Rone a du mal à se projeter. Ce qu’il fait, il le fait par amour pour ce sport qui lui a appris que pour réussir, il fallait s’entraîner tous les jours. Le sport, ce n’est plus qu’un jeu, il le sait, mais comme dans la rue, il n’avait pas de projet, il n’en a toujours pas aujourd’hui. « Je pense que c’est parce qu’au Sénégal, en gymnastique, on n’a pas de miroir. Les enfants n’ont pas de modèles. Personne n’est jamais allé jusqu’aux Jeux olympiques de la jeunesse ou bien aux Jeux olympiques classiques », explique le coach Iso, qui entraîne peut-être celui qui sera le miroir pour la future génération des gymnastes sénégalais.
Djenny Malaika CIFENDE (Stagiaire)