À chaque époque, la lutte sénégalaise s’est nourrie de duels qui ont fait battre le cœur du pays. Avant Balla Gaye 2 – Modou Lô, Tyson – Yékini ou Tyson – Bombardier, il y eut une rivalité plus forte, plus viscérale, presque mythique : celle de Mbaye Guèye et Robert Diouf, deux géants dont les affrontements ont façonné la légende de l’arène.
Mbaye Guèye s’est forgé une réputation grâce à un combat épique contre Sa Ndiambour. Ce dernier lui avait ouvert l’arcade sourcilière, poussant certains à demander l’arrêt du combat. Mais le Fassois, refusant d’abandonner, était revenu plus déterminé que jamais pour finalement terrasser son adversaire. Impressionné par son courage et son style agressif, le journaliste feu Yamar Diop, ancien du Soleil, lui attribua le surnom de « Tigre de Fass », devenu mythique. Avant cela, il était surnommé « Satanique », un nom inspiré d’un célèbre catcheur. « Il y avait un combattant en catch qui s’appelait Satanique. C’est de là que vient ce pseudo », explique Malick Guèye, frère du lutteur et ancien secrétaire général de l’écurie Fass.
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Mbaye Guèye reste incontestablement le plus grand lutteur de l’histoire de Fass. Contrairement à Mame Gorgui Ndiaye, Faga 1 ou Faga 2, il a su maintenir une régularité au sommet. Il a révolutionné la lutte par son charisme et son efficacité. En 1969, il marque les esprits en battant Robert Diouf, alors considéré comme le meilleur. À seulement 23 ans, le premier Tigre de Fass renverse l’ordre établi, mettant Robert K.O en quelques secondes seulement, puis Boy Bambara en 1972. Son arme fatale : le plaquage ou laali. Après cette victoire, la rivalité entre Mbaye Guèye et Robert Diouf devient explosive. Chacun de leurs affrontements cristallise toutes les passions et génère d’importants revenus. Ils deviennent les figures emblématiques d’une lutte spectaculaire et passionnée. Dans les années 1970 et 1980, leur opposition symbolise toute la ferveur de cette discipline. C’était plus qu’un combat : un choc de philosophies, deux visions du même art. Robert, le technicien gracieux de l’écurie Sérère, impressionnait par son sens du spectacle, sa stratégie fine et ses compétences techniques. En face, Mbaye Guèye, un ndanane au charisme autoritaire, incarnait la rigueur, la puissance et la discipline. Deux styles, deux écoles, deux âmes de la lutte s’affrontaient. Leurs duels faisaient vibrer le stade Demba Diop comme jamais. Le pays entier se divisait entre les partisans du rusé Robert et les défenseurs du guerrier Mbaye. Dans les quartiers de Dakar comme dans les villages du Sine ou du Cayor, la lutte n’était plus seulement un sport : c’était une affaire de cœur et d’honneur. Mais cette rivalité débordait parfois du cadre sportif. Malgré les excès et la tension de l’époque, Mbaye Guèye et Robert se respectaient profondément. Leur opposition, aussi passionnée soit-elle, n’a jamais franchi la ligne de la haine. Tous deux savaient qu’ils portaient sur leurs épaules la dignité d’un sport ancestral et la fierté d’une génération. Une fois les « nguimb » rangés et les tenues suspendues, les deux champions étaient devenus de véritables frères d’armes. Aujourd’hui encore, leurs noms résonnent dans les arènes, cités avec respect et admiration. Les jeunes champions qui rêvent de gloire (de Sa Thiès à Reug Reug, en passant par Siteu ou Boy Niang 2) marchent sur les traces de ces pionniers. Mbaye Guèye et Robert Diouf ont bâti les fondations d’un sport qui conjugue tradition, fierté et émotion. Leur rivalité reste un modèle de grandeur. Elle rappelle que la lutte, avant d’être un spectacle, est un combat d’âme et de valeurs. Car, au bout du compte, ces deux anciens rivaux ont prouvé qu’on pouvait s’affronter violemment sans jamais se détester. Ils ont transformé leur opposition en complicité, leur combat en héritage. Dans la mémoire collective, leur histoire illustre une vérité simple : dans la lutte sénégalaise, l’honneur finit toujours par surpasser la rivalité. La lutte sénégalaise a besoin de telles histoires. Mbaye Guèye et Robert ont écrit la première grande page. Balla Gaye 2 et Modou Lô en ont signé une autre, tout aussi intense, tout aussi humaine. Entre orgueil, bravoure et destin, ces rivalités font la grandeur d’un sport où l’honneur vaut autant que la victoire. Avec les nouvelles générations, d’autres rivalités naîtront encore. Tant qu’elles restent dans les limites du respect et de la discipline, ces duels continueront d’écrire les plus belles pages de l’arène.
Abdoulaye DEMBÉLÉ
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