Président sortant de la Fédération sénégalaise de football (Fsf), Me Augustin Senghor brigue un cinquième mandat. Élu en 2009 et réélu en 2013, 2017 et 2021, il espère rempiler le samedi 2 août pour parachever son programme articulé autour du slogan « Sénégal Manko sax ci ndamli ». Dans cet entretien, il explique les enjeux, les défis, mais aussi sa volonté de léguer une fédération en bon état, qui continue à être performante à tous les niveaux.
Président, après quatre mandats, d’aucuns pensent que vous ne devriez pas vous représenter. Que leur répondez-vous ?
J’ai décidé de briguer un cinquième mandat parce que je crois que mon bilan à la tête de la fédération est élogieux et que je suis apte à continuer. Et légalement, rien ne m’en empêche parce que dans nos statuts, il n’y a pas de limitation de mandats. Mais aussi, les enjeux à venir pour le football sénégalais sont tellement importants que j’estime que je peux encore apporter une pierre à l’édifice pour le consolider avant de transmettre un football viable à d’autres qui pourront poursuivre le travail. Il est important, aujourd’hui, qu’on se repose sur la compétence, mais aussi l’expérience, le vécu, pour pouvoir pérenniser les acquis que nous avons réalisés ces dernières années et qui nous placent à différents niveaux sur l’orbite du succès. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, après une très longue réflexion, j’ai décidé de briguer un nouveau mandat.
Vous avez laissé entendre que votre candidature est un acte de responsabilité. En quoi l’est-elle ?
C’est parce que nous sommes à la croisée des chemins et les enjeux sont très importants. Nous allons vers des qualifications de la Coupe du monde 2026 qui seront très disputées face à deux adversaires qui luttent également pour la première place, directement qualificative : contre le Soudan, à Dakar, et la Rd Congo chez elle. Et j’estime que du haut de mon expérience, de mon vécu du haut niveau, je devrais pouvoir accompagner l’équipe parce que nous sommes à quelques encablures de ces matches-là. L’élection aura lieu le 2 août et dès le 5 septembre, nous serons sur le terrain. Nous avons aussi une Can qui est très importante pour le Sénégal parce qu’il s’agit de renouer avec la victoire après le sacre de février 2022. Et pour terminer, quelques challenges restent à accomplir, à savoir la réalisation et la finalisation du projet de stade Demba Diop que nous sommes engagés à faire à la demande de l’État et en compagnie de la Fifa. D’autres projets aussi attendent, notamment le siège de la fédération, la consolidation des acquis au niveau du championnat national local. Ce sont autant de chantiers à parachever pour pouvoir transmettre une fédération de football viable et qui nous maintiendra dans la courbe de performance qui est la nôtre et qui fait aujourd’hui de nous l’une des deux meilleures équipes africaines, mais aussi l’une des 20 meilleures fédérations du monde.
Après quatre mandats, qu’est-ce que Me Augustin Senghor peut encore apporter au football qu’il n’a déjà fait ?
Comme je l’ai dit, j’aurais pu être dans une attitude de confort et dire que j’ai tout fait, c’est-à-dire gagner. J’aurais donc pu dire que je termine en beauté avec cette belle victoire contre l’Angleterre, en match amical. Au niveau des réalisations aussi, qu’elles soient financières, en infrastructures, au niveau de l’organisation des compétitions, la présence assidue des équipes du Sénégal dans les compétitions africaines et mondiales, tous les voyants sont au vert. Ç’aurait pu être le moment de dire j’arrête, pour laisser les autres continuer. Mais j’ai la perception forte qu’il est aujourd’hui important que je puisse accompagner ce football-là encore pour gérer les échéances proches. Au-delà de cet aspect, il y a la responsabilité consistant à veiller à ce que cette tendance se développe en voyant les tractations, les manœuvres qui sont passées ces sept à huit derniers mois de la part de certains membres avec qui j’étais au Comex. Je me suis demandé si c’est la bonne attitude, de voir des gens s’organiser pour prendre le contrôle d’une fédération de cette manière-là, en écartant certains, pour se partager des postes. Je pense que cela met en danger le football sénégalais et il est de ma responsabilité absolue de lutter jusqu’au bout pour pouvoir faire en sorte que cela n’arrive pas.
Votre slogan, c’est « Sénégal Manko sax ci ndamli ». Cette unité est-elle possible avec cette floraison de candidatures ?
En 2021, nous avions lancé le programme « Sénégal Manko Wouti Ndamli ». Et par la grâce de Dieu et l’action de tous les acteurs du football, y compris les autorités nationales et le peuple sénégalais, nous avons fait quelque chose d’inédit, qui est entré dans l’histoire en remportant le premier trophée continental. Nous avons aussi gagné d’autres trophées continentaux dans toutes les catégories et disciplines. Le football féminin a aussi fait des progrès de géant. Aujourd’hui, nous venons de boucler une saison exceptionnelle de régularité, spectaculaire. Cela montre que cette vitalité n’est pas seulement à l’international, mais au niveau national aussi, malgré les conditions difficiles. Jamais une fédération n’avait pu réaliser autant d’infrastructures pour elle-même comme pour la nation, parce que, des fois, il nous est arrivé d’accompagner l’État dans des investissements pour réaliser des infrastructures. Et la dernière action en date, c’est le stade Demba Diop qui est en cours. C’est pour toutes ces raisons que j’estime que le « Sénégal Manko wouti ndamli » doit se muer désormais en « Sénégal Manko sax ci ndamli » parce que nos acquis doivent être préservés. Donc, ce n’est pas parce qu’un groupe a décidé de tourner le dos au « Manko » qu’on doit l’enterrer. Le « Manko » est devenu un patrimoine national ; c’est une vision en marche depuis plusieurs années qui a abouti au « Sénégal Manko wouti ndamli » et a fait notre succès. Il faut juste muer cette démarche, cette vision et ce programme en « Sénégal Manko sax ci ndamli » en essayant de consolider les acquis, mais aussi d’analyser froidement les aspects qui n’ont pas été très réussis et essayer de progresser dans ces domaines pour maintenir le football sénégalais sous l’orbite du succès multiforme que nous connaissons actuellement. Nous devons être fiers du football sénégalais parce qu’aujourd’hui, c’est l’un des secteurs qui nous font briller à l’échelle mondiale. Nous sommes au 18e rang mondial, deuxième en Afrique. Pour le beach soccer, nous sommes le cinquième et l’équipe féminine est maintenant dans le top 10 du football africain. Les petites catégories sont, depuis 10 ans, parmi les meilleures en Afrique. C’est autant de raisons qui nous poussent à faire prévaloir l’immuabilité du « Manko wouti ndamli » et à travailler dans cette nouvelle voie, qui est l’installation, la mise en place d’une politique de performance durable.
La gouvernance et la réforme des textes sont au cœur des programmes des différents candidats. Aujourd’hui, y a-t-il vraiment nécessité de réformer les textes de la fédération ?
Je reste persuadé qu’en termes de gouvernance, nous avons l’une des meilleures gouvernances en Afrique. La preuve, depuis 2009, il n’y a pas de fédération plus stable que la nôtre. Il y a certes eu des phénomènes cycliques au tout début de notre mandat, mais depuis 2015, il n’y a eu aucun problème de gouvernance. Nous nous sommes dotés d’instruments de gouvernance modernes ; que ce soit au plan financier avec des manuels de procédure financière, mais aussi au plan juridique. Nos textes qui sont issus de la normalisation en 2009 étaient des textes de qualité, mais c’étaient des textes, des statuts de sortie de crise, avec des éléments, des composantes, dont on n’a plus besoin. C’est pour cela d’ailleurs que notre équipe fédérale, pour la période 2021-2025, a travaillé à la révision de nos textes, et c’est pratiquement au stade final. Donc quand quelqu’un parle de venir et réviser les textes, je pense que c’est pour parachever notre révision. N’eût été la proximité des élections, les nouveaux statuts auraient été adoptés. Au niveau de la gouvernance toujours, nous tenons régulièrement nos Assemblées générales et présentons régulièrement nos rapports d’activités et financiers, qui sont certifiés par des auditeurs internes et externes. Nous faisons aussi l’objet d’audits réguliers deux fois par année de la Fifa, qui vient vérifier le sort réservé au fonds qu’elle a mis à notre disposition. Nous sommes aussi l’une des premières fédérations en Afrique à s’être dotées d’un manuel de procédure financière et administrative qu’on applique à la lettre. Et les bons résultats en termes de gestion financière nous ont valu ces investissements énormes qui font aujourd’hui que la Fédération a un gros patrimoine avec ses centres et stades fédéraux. C’est autant d’acquis si nous devions être appelés à partir que nous léguerions aux futurs dirigeants. Mais comme je l’ai dit, nous avons d’abord envie de parachever tout cela pour transmettre quelque chose de viable à ceux qui sont appelés demain à nous succéder. Nous avons la responsabilité morale de leur livrer une Fédération en bon état, qui continue à être performante à tous les niveaux.
Me Augustin Senghor est-il plus serein aujourd’hui qu’en 2021 ?
Je dirais que je suis beaucoup plus serein aujourd’hui, parce qu’en 2021, nous avions réalisé beaucoup d’avancées, malheureusement, nous n’avions pas gagné. Si j’avais arrêté, je serais parti le cœur gros, parce que malgré toutes nos réalisations, nous n’avions pas eu cette réussite pour remporter le trophée continental. Mais pour cette année, je suis beaucoup plus serein, plus posé, plus réfléchi. Et comme vous avez pu le remarquer, pendant toute cette période, j’ai été très silencieux, parce que j’étais en pleine réflexion sur la décision à prendre. Il y a eu des éléments objectifs qui sont rentrés en ligne de compte, mais aussi des comportements qui m’ont poussé à dire, attention, il faut qu’on évite que le football soit rattrapé par des comportements qu’on voit très souvent en politique, qui veuillent que des groupes s’organisent pour faire une Opa (Ndlr : offre publique d’acquisition) sur une organisation, et ça, ça peut être lourd de danger. Aujourd’hui, nous devons essayer de travailler sur une continuité et sur une ouverture, c’est-à-dire garder le socle d’expertise et de connaissances que nous avons à l’interne, mais aussi accueillir d’autres compétences du dehors qui vont apporter une plus-value, un regard neuf sur notre football pour qu’on puisse franchir des bonds qualitatifs dans le futur.
Samba Oumar FALL