L’Assemblée générale élective de la Fédération sénégalaise de football (Fsf) se tiendra, le 2 août prochain. Me Moustapha Kamara, président du Coton club de Tambacounda (National 1) annonce la couleur. Il est candidat pour succéder à Me Augustin Senghor qui briguera un cinquième mandat. Avocat et professeur en droit du sport, titulaire d’un Mba en management sportif, il déclare que l’heure de l’alternance a sonné avec une nouvelle personne à la tête de la fédération, un nouveau programme et surtout une croissance économique. Dans cet entretien, il revient sur son programme « Le football pour tous » qui passe par la modernisation et la dynamisation de la Fsf, en instaurant une gouvernance « plus rigoureuse, transparente et inclusive ».
Vous êtes candidat à la présidence de la Fédération sénégalaise de football. Qu’est-ce qui motive cette candidature ?
Je ne me suis pas levé un bon jour pour dire que je serai candidat à la présidence de la Fédération sénégalaise de football (Fsf). C’est un projet que j’ai mûri depuis longtemps. Pour moi, c’est d’abord une vision ; une vision de faire du Sénégal un des piliers de la diplomatie sportive en Afrique, mais aussi de faire en sorte que le Sénégal soit une plateforme comme le Maroc, l’Afrique du Sud, l’Égypte, qui accueille de grandes rencontres sportives, en dehors de celles de notre sélection nationale. C’est aussi un engagement pour faire profiter mon pays de mon expertise et de mon réseau.
Est-ce que votre candidature n’est pas une de plus ?
Ma candidature n’est pas une de plus. C’est une réflexion qui date de longtemps. Et je ne me présente pas pour avoir un poste, sinon je serai à la Fifa, à la Caf ou dans d’autres fédérations où j’ai des amis qui occupent les plus hautes fonctions. Pour moi, c’est un programme bâti à travers des rencontres au plan international et national. C’est à partir de là que j’ai bâti un programme et j’ai une vision pour cette fédération. Je n’ai pas entendu les autres prétendants proposer un programme, mais moi j’ai un programme clair, bâti sur une expérience, sur l’écoute. Mon slogan, c’est « Le football pour tous ». Je prône un football inclusif et je veux développer le football sénégalais. Donc, ce n’est pas une candidature de plus.
Vous aurez en face Maître Augustin Senghor qui briguera certainement un cinquième mandat. Est-ce que vous avez assez de soutiens pour pouvoir le déraciner ?
Ce sont les clubs qui votent. Le président Augustin Senghor, qui est là depuis très longtemps, a fait de bonnes choses, notamment sur le plan sportif et je ne viens pas pour faire une table rase de tout ce qui a été fait. Je suis là pour consolider les acquis sportifs, c’est-à-dire ce que Me Augustin Senghor a fait. Je vais m’appuyer sur cette expérience. En plus de ces acquis, il faut transformer la fédération. J’ai écrit un livre qui va sortir qui s’appelle « La structuration et la professionnalisation des fédérations nationales sportives ». Donc, je sais comment structurer et professionnaliser une fédération. Mon programme « Le football pour tous », c’est pour transformer ces victoires sportives en croissance économique. Aujourd’hui, si vous prenez la sélection nationale, les clubs locaux, les dirigeants, les joueurs, il n’y a personne qui s’en sort sur le plan financier. Pour inverser la donne, il faut une transformation, une croissance économique de ces clubs. Et, nous savons exactement comment le faire, avec qui le faire, et cela va bénéficier non seulement au football local, mais aussi aux acteurs, parce que dans mon programme, il n’y a aucun acteur qui est laissé de côté. Il faudra structurer, former, développer, encourager et mettre en place des labels. Pour moi, c’est ce qu’il y a lieu de faire.
Vous l’avez dit, ce sont les clubs qui votent. Comment comptez-vous les convaincre pour qu’ils votent pour vous ?
J’ai déjà commencé à faire un travail de terrain depuis longtemps. J’ai rencontré le mouvement navétanes, les arbitres, les joueurs qui évoluent au niveau local, mais aussi les anciennes gloires. En France, j’ai fait le tour pour rencontrer les générations 90 et 2002. Et aujourd’hui aussi, j’ai rencontré des autorités, parce que ce sont elles qui financent le football. Je vais rencontrer les présidents de ligue, d’autres présidents de clubs. Aujourd’hui, je fais mon possible pour convaincre ces acteurs pour l’intérêt du football sénégalais et j’ai noté un certain engouement. Tous ces gens me disent qu’ils veulent une alternance, une nouvelle personne à la tête de la fédération, un nouveau programme, mais surtout une croissance économique. C’est ce que nous proposons et c’est un programme qui colle aux aspirations de ces acteurs.
Vous êtes convaincu que l’heure du changement a sonné ?
Absolument. L’heure du changement a sonné parce que partout, il y a un changement. Le Sénégal est un des piliers de la démocratie et je pense que la première des démocraties, c’est celle sportive, footballistique. Donc, le Sénégal doit procéder à une alternance pour une nouvelle génération, pour de nouvelles compétences parce que les Sénégalais sont compétents. Et pour moi, le programme «Le football pour tous», c’est pour regrouper toutes les compétences sénégalaises au Sénégal et dans le monde, pour qu’on puisse développer le football.
Outre la limitation des mandats, la gouvernance est au cœur de votre programme. Qu’est-ce que vous proposez de concret ?
Pour structurer et professionnaliser, la première chose à faire, c’est la gouvernance. Le modèle de gouvernance au Sénégal aujourd’hui, c’est un héritage colonial, avec un président, un comité exécutif, des organes juridictionnels et des commissions permanentes. C’est un modèle dépassé. Quand on parle de croissance, de transformer les résultats sportifs en résultats économiques, cela passe nécessairement par une réforme de la gouvernance. Pour moi, c’est de mettre en place un vice-président exécutif, qui va suppléer le président en cas d’absence parce qu’à chaque fois qu’il y a la Can, il n’y a personne à la fédération. Il faut donc mettre un directeur général avec une véritable administration ; cela veut dire qu’on va séparer la fonction élective de la fonction administrative. Cela nous permettra d’avoir une vraie administration avec de grands départements juridique, financier, marketing et communication. Ensuite, mettre en place un Conseil de surveillance qui va suivre l’exécution et le respect de notre programme. Aujourd’hui, dans les grandes fédérations, le Conseil de surveillance sert à cela. Il y aura également un directeur général, qui va chapeauter toute l’administration fédérale. C’est ce que j’appelle une nouvelle gouvernance.
Vous êtes d’avis que les statuts de la fédération doivent s’adapter aux standards internationaux ?
Effectivement. En tant que professeur, avocat, juriste, je conseille beaucoup de fédérations dans la rédaction de leurs statuts. Je sais exactement ce qu’il faut faire. J’ai écrit un livre sur les réformes du football sénégalais il y a trois ans. J’ai soulevé cette question de gouvernance et proposé des solutions. Si je suis à la tête de la fédération, je sais ce qu’il faut faire. La première décision sera d’adapter les textes aux standards internationaux. La Caf, la Fifa, les grandes fédérations et même les fédérations moyennes ont changé leurs statuts. Le moment est venu pour le Sénégal de changer ses textes.
Quelles sont les grandes lignes de votre programme « Le football pour tous » ?
Notre programme « Le football pour tous », c’est d’abord, la gouvernance, ensuite le développement et l’inclusion, puis la croissance économique. Il faut que tous les acteurs, joueurs, entraîneurs et clubs, soient ensemble et organisés sous forme de groupements, de syndicat et qu’il y ait un dialogue entre eux. Le deuxième volet inclusif concerne les territoires. Il faut qu’ils se sentent dans cette fédération, qu’on puisse les aider dans le développement, les infrastructures. C’est aussi un plan de formation pour les formateurs si l’on sait qu’on n’a pas assez de licences C au Sénégal. L’inclusion, c’est former le maximum de licence C dans ces territoires éloignés.
En ce qui concerne la croissance économique, nous allons faire appel à des fonds d’investissement. Nous savons où ils se trouvent, ce qu’ils veulent et ce qu’ils attendent des fédérations. C’est aussi faire de sorte que les opérateurs économiques sénégalais, qui sont intéressés par le football, puissent investir dans le développement des infrastructures parce qu’il ne faut pas attendre tout de l’État. Le transport ne sera pas en reste. Dans mon programme, j’ai mis en place ce qu’on appelle l’accès aux bus. C’est-à-dire que tous les clubs de Ligue 1, Ligue 2, N1 et N2, puissent avoir leur bus garanti par la fédération. Cela a été expérimenté en Côte d’Ivoire avec un mécanisme garanti par la fédération ; les clubs n’y mettent pas un franc Cfa et ils ont tous des bus Tata. Nous allons nous inspirer de cette expérience ivoirienne pour que les clubs dans les régions éloignées puissent avoir leurs propres bus dès les six premiers mois de notre mandat. Nous allons œuvrer pour l’amélioration de la compétitivité des clubs et sélections nationales, assurer la structuration et la professionnalisation des championnats amateurs et une meilleure redistribution des ressources vers les clubs amateurs.
Un tel programme demande des moyens. Comment comptez-vous le financer ?
C’est un programme sur lequel on travaille depuis 5-6 ans. Comme je l’ai dit, je travaille avec des fonds d’investissement, des opérateurs économiques au niveau international, local. Je sais comment faire pour que le football sénégalais, à travers les textes, notamment les académies, la protection des académies, la protection des mandats des agences sportives, puisse rapporter beaucoup d’argent. Je parlais du football inclusif, le Cecifoot, le futsal, le beach soccer, le football féminin, quand on va réformer les textes, cela nous permettra d’avoir des rentrées d’argent. On sait comment apporter cet argent et comment financer ce vaste programme. C’est possible parce que ça s’est passé ailleurs et on sait ce qu’ils ont mis en place dans les fédérations. Tout cela peut être transposé chez nous.
Il y a aussi le football local qui est souvent oublié. Comment faire pour mettre au niveau le football local ?
Le football local a quelques problèmes. Chaque année, nos clubs sont obligés de vendre leurs meilleurs joueurs ; ce qui contribue à diminuer la qualité du jeu. Nous allons œuvrer à ce que les joueurs sénégalais puissent avoir, pendant notre premier mandat, un salaire, leur propre voiture, un logement pour au moins maintenir les meilleurs talents. Nous allons changer le modèle économique des clubs basé sur le mécénat. Quand on parle des meilleurs clubs sénégalais, c’est le Jaraaf et son modèle est basé sur le mécénat. Cela ne peut pas continuer. On va proposer un modèle économique qui permettra à tous les clubs de pouvoir se développer, de compter sur leurs propres moyens. J’ai visité le Wydad de Casablanca, qui est un club où les joueurs ont leur maison et le club a même des centres commerciaux, parce qu’un modèle économique a été mis en place. C’est ce qu’on va proposer aux clubs sénégalais. Et après, il faut rentabiliser le championnat, surtout avec la digitalisation. Il y a le troisième modèle, qui est la sécurité. S’il n’y a pas la sécurité, personne n’ira au stade. J’ai beaucoup travaillé sur l’aspect sécuritaire avec des responsables de l’armée et de la police sénégalaise qui m’ont donné des solutions. Tout cela réuni, nous permettra de faire du Sénégal un des piliers du sport africain. On a de nouvelles infrastructures (stades Abdoulaye Wade de Diamniadio, Demba Diop, Amitié) avec les Joj «Dakar 2026 ». Il faut profiter de toutes ces infrastructures pour attirer les meilleures rencontres au Sénégal. On peut le faire et cela amène de l’argent. Aujourd’hui, la politique économique proposée par la fédération n’est pas à la hauteur du talent de nos joueurs. Il y a du travail à faire. Il y a un potentiel économique qu’on veut développer pour que le football soit autonome vis-à-vis de l’État.
Depuis quelques années, on parle de « Manko ». Est-ce que Me Moustapha Kamara sera candidat quoi qu’il advienne ?
On avait dit qu’on fait un « Manko » sportif pour gagner la Can. On a réussi ce « Manko », parce qu’on a été champion d’Afrique en 2022, au Cameroun. Mais le « Manko » ne parle pas de l’économie. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est la gouvernance et l’économie. C’est pourquoi je suis candidat pour transformer ces actifs sportifs en croissance économique, et apporter plus d’argent à notre fédération, changer la gouvernance. Je suis pour l’inclusion ; cela veut dire que tous les acteurs seront pris en compte. Je suis candidat et je présenterai mon programme à tous les acteurs, y compris ceux qui sont dans le « Manko » sportif.
Vous avez une longue expérience fédérale. Comment pouvez-vous expliquer que le Sénégal ne siège pas au Conseil de la Fifa ?
Comme je l’ai dit, mon objectif est de faire en sorte que le Sénégal retrouve la place qui est la sienne au sein de ces grandes institutions. Aujourd’hui, au niveau de la Fifa, nous n’avons pas de représentant. Cela veut dire que dans les plus grandes instances de décision, on n’a aucun Sénégalais. Mon ambition, c’est de faire du Sénégal une vitrine, un des acteurs clés au sein de la Caf et de la Fifa. Cela demande une véritable diplomatie, une bonne coopération avec ces institutions et les fédérations africaines. Nous allons renforcer nos relations avec le Maroc, l’Égypte, l’Afrique du Sud, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire. On fera de très grands pas pour que le Sénégal retrouve sa place au plan international.
Et quel appel lancez-vous aux présidents de club et de ligue pour qu’ils votent pour vous ?
Les présidents de club et de ligue veulent le changement. Mais pas un changement pour le plaisir de changer. Il faut un changement avec un programme qui tienne la route, solide, tenant compte de leurs aspirations, de celles du peuple sénégalais. Et c’est ce que je propose. J’ai commencé à rencontrer les acteurs y compris les présidents de ligue et je continuerai à le faire jusqu’au mois d’août.
Entretien réalisé par Samba Oumar FALL