La vedette et champion mondial de boxe, Mohamed Ali, a séjourné au Sénégal en 1989, pour la seconde fois après 1980. Arrivé le 15 janvier, pour une « immersion spirituelle » et une visite d’affaires, il avait entamé sa tournée à Touba.
À la Une de son édition du 17 janvier 1989, Le Soleil ouvre avec une photo de Mohamed Ali qui embrasse avec révérence la main du khalife général des mourides. La veille, l’ex-champion du monde de boxe avait rencontré Serigne Abdou Lahad Mbacké, à Touba. La photo avait donné cours à moult interprétations, notamment sur « son allégeance ».
La soumission à la confrérie mouride n’était certes pas actée, mais Mohamed Ali (né Cassius Marcellius Clay) affirmait qu’il « remercie Dieu d’avoir guidé (ses) pas » jusqu’à Touba, ville sainte qu’il avait « souhaité visiter depuis plusieurs années ». « C’est une visite que le plus grand champion de boxe a tenu à faire pour se réarmer davantage dans son combat inlassable pour la promotion de l’islam » aux Etats-Unis d’Amérique et dans le monde, éclairait le journaliste Pape Fall dans son compte-rendu.
Cette visite est intervenue dans un contexte où Mohamed Ali était en quête dans la voie de l’islam sunnite et s’intéressait au soufisme. Après sa conversion à l’Islam en 1964, il avait intégré l’organisation « Nation of islam » avant de la quitter pour l’Islam sunnite en 1975. Accompagné de son guide spirituel Abouwi Mahdi et de son manager Jabir Mohamed, Mohamed Ali est ensuite allé se recueillir au mausolée de Serigne Touba après la prière de Tisbar. Après le recueillement, la délégation chez Serigne Souaïbou Mbacké et Serigne Abdou Khadre, deux piliers de la vie spirituelle de Touba à l’époque.
Des projets d’investissement ambitieux
Mohamed Ali était par ailleurs à Dakar avec sa société « Ali Capital Investment Corporation », pour découvrir des opportunités d’affaires et participer à l’économie locale. L’ex-boxeur a ainsi rencontré le ministre du Tourisme, El Hadj Malick Sy « Souris », avec l’objectif de la reconquête du marché américain. Il a été décidé que le Bureau du tourisme sénégalais à New-York allait être rouvert, et qu’une campagne médiatique entreprise pour vendre la destination Sénégal. Mohamed Ali promettait également au ministre de sensibiliser ses compatriotes afro-américains de visiter le Sénégal en plus grand nombre, le pays ne recevant à cette époque qu’entre 2 500 et 3 000 touristes américains par saison. Il a été aussi discuté la reprise du relais de l’Espadon à Gorée. Il faut signaler qu’en 1989, seule une société américaine de fabrique de médicaments était implantée au Sénégal. Face à Moussa Touré (alors ministre délégué à l’Economie et aux Finances), Mohamed Ali affirmait sa volonté d’investir dans le sens des priorités du gouvernement, notamment dans les industries. Il avait notamment insisté que, dans la perspective de l’Europe 1992, « il y avait nécessité pour les Africains et les Américains de s’unir », en mettant en exergue «la puissance financière des Afro-Américains qui se chiffrait à 320 milliards de dollars ». In fine, l’ex-champion de boxe disait son intention de vivre au Sénégal six mois par an. Malheureusement, sa maladie l’extraira des pistes.
Ali en mission diplomatique à Dakar
En 1984, il est diagnostiqué de la maladie de Parkinson qui ne cessera de l’affaiblir jusqu’à sa mort en 2016 (à 74 ans). Quand il débarquait à Dakar en 1989, il affichait déjà un état bien mal-en-point. « Hier, il y avait l’ombre du géant souffrant le martyr avant de dire quelques mots, se mouvant difficilement, cachant mal les séquelles (…). J’ai été ému par la démarche de cet homme vacillant sur ses jambes, gardant difficilement les yeux ouverts », décrivait Pape Fall dans son compte-rendu de la visite de Touba. Mohamed Ali prend sa retraite en 1981, au bout de 61 combats, pour 56 victoires et 5 défaites. Peu avant cette période, en février 1980, il avait effectué une première visite de 24 heures au Sénégal, en faveur d’une tournée africaine (Nigéria, Kenya, Tanzanie et Libéria). Mohamed Ali avait rencontré le président Léopold Sédar Senghor qui lui avait signifié que le Sénégal n’allait pas boycotter les Jeux olympiques de Moscou. « Non pas parce que j’approuve ce qui se passe en Afghanistan, mais parce que je crois en l’idéal olympique et la nécessité d’éviter le blocage des rapports sportifs au nom des divergences politiques », disait Senghor au boxeur. Notons que, pour cette visite de 1980 à Dakar, Mohamed Ali était en mission diplomatique, porteur d’un message du président américain Jimmy Carter pour convaincre ces cinq pays africains de boycotter les Jeux olympiques d’été de Moscou de 1980, en réponse à l’invasion soviétique en Afghanistan.
Mamadou Oumar KAMARA