Les pelouses européennes vibrent de nouveau au rythme des championnats. Mais ce ne sont pas que les championnats qui ont repris, les paris sportifs aussi. Pour une frange de plus en plus large, cette reprise marque aussi le « retour au travail ». Maintenant, avec la prolifération des plateformes de paris en ligne, la ferveur des supporters semble de plus en plus éclipsée par l’obsession du « ticket gagnant ».
Autrefois sanctuaires des débats, de l’effervescence collective et de la passion, les salons se transforment désormais pour beaucoup en bureaux de « pronostiqueurs ». L’intérêt ne réside plus dans l’art du dribble, la tactique des entraîneurs ou la communion avec son club, mais uniquement dans le résultat final qui validera ou non une mise.
Samedi 16 août 2025, il est 15 h à Dakar, le ciel retrouve sa couleur bleue après un vendredi marqué par la pluie. Sur un grand écran, dans une maison à Grand Yoff, un match de Premier League est diffusé. C’est à peine la première journée, mais l’ambiance est déjà palpable. Moustapha, 23 ans, pianote frénétiquement sur son téléphone, un léger stress perceptible dans ses yeux. « Je suis un supporter du Barça, mais là, pour ces matchs, je supporte mon ticket », déclare Moustapha avec humour. « Quand je me lève, mon premier réflexe, c’est de vérifier les cotes, pas les compos d’équipes », termine-t-il, ses yeux fixés sur son téléphone.
Les conversations vont bon train, le décor du salon submergé par l’odeur du thé de Mor. Devant le gaz, tous les ingrédients sont en place pour un bon thé. La loyauté aveugle envers un club s’effrite au profit d’une logique purement financière. En débardeur et short, Mor fait remarquer que l’argent ne connaît pas de couleur de maillot. « Marseille, c’est mon équipe, mais il m’arrive très souvent de miser sur leur défaite. Au moins, là, s’ils perdent, je n’aurai pas une double peine à surmonter », affirme Mor avec fierté, faisant savoir que c’est de la malice. Un but de Mayenda de l’équipe de Sunderland, qui joue face à West Ham, fait exulter de joie Amadou : « match City bi rék moma déssé pour ma lékk Nar bi » (Ndlr : Il me reste que le match de Manchester City pour que je gagne) crie-t-il de joie.
Un pari risqué pour la jeunesse
Pour le jeune Moussa, lycéen, il a été influencé par cette tendance qui prend de plus en plus d’ampleur. Il avoue sans détour : « Tous mes potes parient. Si tu ne paries pas, t’es un peu en dehors du truc. On se partage des combines, on analyse ensemble les matchs à jouer. C’est addictif, tu gagnes un petit truc, tu veux remettre et si tu perds, tu veux te refaire ».
Serein sur sa chaise, Ablaye, un voisin qui vient tout le temps regarder les matchs avec ses amis, n’est pas parieur. Il trouve que c’est du laxisme et que ça ne mène à rien. « Non, je n’ai jamais joué à ces jeux et je ne sais même pas comment jouer. C’est interdit par la religion et je pense que ça rend paresseux. C’est de l’argent facile et ce n’est pas bon pour la jeunesse », s’alarme le trentenaire. « Xaliss bu yomb amul », (NDLR : il n’y a pas d’argent facile.) aussitôt réplique Mor, qui s’apprête à servir le thé. Derrière cette excitation et la promesse de gains rapides, se cache une réalité plus sombre : le risque de l’addiction. Les sites de paris, omniprésents et agressifs dans leur marketing, rendent l’accès au jeu enfantin. Cette facilité d’accès, combinée à l’illusion d’un savoir footballistique transformable en argent, crée un cocktail explosif. Les exclamations ne saluent plus un dribble audacieux ou une parade décisive, mais un but qui valide un ticket combiné.
Djibril DIAO