Souleymane Boun Daouda Diop est un ancien président de la Commission des règlements et discipline du Cng. À ce titre, il avait la mission de réfléchir sur le passage à une Fédération sénégalaise de lutte (Fsl). Pour lui, la réussite de cette mutation repose sur la capacité des initiateurs à concevoir un modèle sénégalais de fédération enraciné dans nos réalités et ouvert aux exigences de gouvernance moderne.
Est-ce que la lutte pourrait aller vers une fédération comme les autres disciplines sportives ?
Permettez-moi de préciser que cette question ne se pose plus. Madame le ministre, Khady Diène Gaye, par la voix de son directeur des activités physiques et sportives (Daps), Gilbert Mbengue, a clairement exprimé la volonté politique de faire revenir la lutte dans un cadre fédéral. Le rôle du Comité national de gestion (Cng), comme celui de l’ensemble des acteurs institutionnels concernés, est désormais de créer les conditions pour mettre en œuvre cette directive de l’autorité.
Pour répondre directement à votre question, je dirai oui, la lutte sénégalaise peut et doit évoluer vers une fédération, à l’image des autres disciplines sportives. Cette volonté vise une meilleure structuration du secteur, une gouvernance plus démocratique et une professionnalisation durable. Ce cadre permettra de moderniser la discipline tout en préservant ses spécificités culturelles. Il ne s’agit pas de « normaliser » la lutte dans un moule occidental, mais plutôt de lui offrir une reconnaissance institutionnelle conforme à son importance, tant au niveau national qu’international.
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Que faut-il faire concrètement pour aller à cette fédération ?
La transition vers une fédération passe par plusieurs étapes structurantes, à savoir la réalisation d’un diagnostic participatif pour évaluer le fonctionnement actuel du Cng, identifier les forces et les limites du système en place et recueillir les attentes des parties prenantes. Il s’agira ensuite d’organiser une concertation nationale réunissant le ministère des Sports, les lutteurs, les dirigeants des écuries, les académies et écoles de lutte, les promoteurs, les managers, les communicateurs traditionnels (griots, marabouts), les femmes de l’arène, les journalistes et les personnes-ressources. Cette étape vise à créer un consensus autour de la réforme. La validation des textes fondateurs (statuts et règlement intérieur), prenant en compte la double nature de la lutte, sportive et culturelle, est tout aussi importante. Tout comme la mise en place d’une gouvernance transitoire, chargée de piloter la mutation (immatriculation des écuries, mise en place des ligues régionales, organisation d’élections démocratiques, etc.). Et enfin, la finalisation de la reconnaissance juridique de la nouvelle entité à travers une Assemblée générale extraordinaire consacrée à l’adoption des textes officiels de la future Fédération sénégalaise de lutte et disciplines associées, sous la supervision du ministère de tutelle, constitue une étape à ne pas négliger.
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Ce processus devra être encadré, inclusif, progressif et transparent, avec une attention particulière portée à la sensibilisation et à la formation des acteurs.
Quels sont les obstacles qui pourraient freiner cette transition ?
Plusieurs obstacles pourraient se dresser sur le chemin de cette transformation, et ils méritent d’être anticipés avec lucidité. Le premier est la résistance interne. Certains membres du Cng ou des structures en place peuvent craindre une perte d’influence ou de position. Il faut créer un climat de confiance pour dépasser ces craintes. Ensuite, la faible structuration des bases constitue un défi réel : écuries non enregistrées ou non fonctionnelles, multiplicité d’associations au sein d’une même structure, absence de ligues régionales viables… Il faut également tenir compte du poids des traditions. La lutte sénégalaise n’est pas seulement un sport : c’est une institution culturelle, sociale, religieuse. Certains acteurs traditionnels comme les griots, les marabouts ou les communicateurs peuvent se sentir marginalisés si la réforme n’intègre pas leur rôle. À cela s’ajoute l’absence d’un cadre juridique adapté aux spécificités de cette discipline hybride. La future fédération devra donc innover dans sa conception, en tenant compte des normes sportives sans effacer la dimension culturelle. Enfin, le manque de concertation et de dialogue pourrait constituer l’obstacle majeur. Une réforme imposée verticalement ne tiendra pas. Il faut bâtir cette transition avec les acteurs du terrain, dans un esprit d’écoute, de respect mutuel et de co-construction.
La réussite de cette mutation repose sur la capacité des initiateurs à concevoir un modèle sénégalais de fédération, enraciné dans nos réalités et ouvert aux exigences de gouvernance moderne. Il s’agit de valoriser notre patrimoine culturel, tout en construisant une architecture institutionnelle solide, inclusive et performante. Cela demande une volonté politique affirmée, une méthode rigoureuse et un engagement collectif autour de l’avenir de notre sport national.
Propos recueillis par Abdoulaye DEMBÉLÉ