Né en 1932 dans le village de Gabou, en Guinée-Bissau, Ousmane Baldé alias Falaye Baldé a fait ses premiers pas dans la lutte avec frappe quand il arrive à Dakar à la fin des années 50. Sous la férule de Fodé Baldé dit Fodé Doussouba, un autre grand champion, venu du Fouladou, au sud du Sénégal, qui a également régné dans la lutte, il a marqué de son empreinte l’arène. Falaye Baldé est devenu, au fil des années, l’un des lutteurs les plus doués et redoutés de sa génération, une légende de ce sport-roi.
Fils d’un cultivateur, Ousmane Baldé alias Falaye est devenu lutteur en suivant les traces de son grand-père, son père et même ses oncles qui étaient de grands champions de lutte. « Mes parents pratiquaient la lutte depuis belle lurette. J’ai donc la lutte dans le sang. Je ne suis pas venu par effraction dans ce sport traditionnel », disait-il, de son vivant. Chez lui, à Gabou, un bourg de la Guinée-Bissau, peu connu au Sénégal, les séances de lutte traditionnelle s’organisaient après les récoltes. Celui qui remportait le tournoi était légitimement désigné comme le vrai champion avec un grand potentiel. L’exercice était éreintant, très pénible. Et il était quasiment impossible de voir un athlète rester invaincu pendant deux mois. Mais le jeune Ousmane Baldé avait réalisé ce rarissime exploit. Un signe de son immense talent et de son courage de lion.
Après avoir mis tout le monde d’accord sur l’énormité de son potentiel et sa bravoure, il décide de partir à l’aventure. En 1956, pendant la saison des pluies, l’enfant du Gabou quitte sa bourgade pour aller cultiver la terre à Salikégné, un village de la région de Kolda. Il y découvre Fodé Doussouba, vaillant lutteur, très adorable pour son courage, son physique et ses compétences techniques.
Cette localité du Fouladou organise régulièrement des séances de lutte. L’événement, qui constitue une grande fête, enregistre la présence de toutes les sensibilités. La grande star, c’était déjà Fodé Doussouba. Mais, Falaye Baldé réussit à cristalliser toutes les attentions grâce à ses exploits inédits et sa carapace d’homme idéalement fait pour ce sport qui le passionne jusqu’aux tripes. À Salikégné, il terrasse tous les lutteurs locaux et devient redoutable.
Falaye débarque au Sénégal en 1957
À Salikégné, le père d’Ama Baldé a donc la chance de vivre de sa passion de lutteur. Seulement, ses parents l’ont laissé partir parce qu’il allait chez Fodé Doussouba, non pas pour compétir mais pour devenir un champion dans la culture de l’arachide. À la fin de la saison pluviale, il réalise une bonne moisson, écoule ses produits et retourne dans son village natal. Au même moment, l’envie d’aller monnayer ses talents ailleurs gronde en Fodé Doussouba. Celui-ci quitte les siens à Salikégné pour aller déposer sa valise à Tambacounda, puis à Dakar en 1957. Cette année, Falaye est obligé de rester à Gabou, pour encore y cultiver. Sentant la nécessité, son aîné Fodé envoie le chercher. Sa mère y oppose un niet catégorique. Elle demande à son fils de récolter d’abord son arachide avant de repartir à l’aventure. L’enfant chéri de Salikégné trouve des raisons valables de convaincre la génitrice de son ami. Finalement, il obtient son feu vert. Le départ est retardé d’une semaine, avant qu’il quitte Gabou. Falaye Baldé atterrit au Sénégal, le 22 novembre 1957. Témoin de l’histoire, le communicateur traditionnel Ibou Ndiaye « Niokhobaye » atteste : « C’est Fodé Doussouba qui avait amené Falaye à Dakar, en même temps que Barabara qu’on surnommait le « Professeur des arènes ». Barabara, Falaye, Mbita Baldé, Demba Baldé, Souleymane Baldé étaient tous des lutteurs et des accompagnateurs de Falaye. Ils ont tous découvert la capitale sénégalaise grâce à leur aîné, Fodé. » Une fois à Dakar, Falaye fait d’abord son entrée dans la lutte simple. Il n’y a pas le même traitement que les autres combattants. En effet, à chacun de ses combats, son adversaire empoche 10.000 FCfa, alors que lui le vainqueur, n’encaisse que 4 000 FCfa. Très penaud, Niokhobaye exprime sa colère : « Je dirais qu’on avait beaucoup exploité Falaye Baldé dans l’arène ». Désorienté par ce constat amer, le père de Pathé Baldé demande des éclaircissements. On lui explique que ses adversaires ont déjà plus de cote de popularité et de valeur marchande, puisqu’ils évoluaient déjà dans la lutte avec frappe qui rémunère mieux. On lui a fait savoir que ses protagonistes avaient accepté de lutter avec lui pour pouvoir le tester, puisque sa notoriété et son talent avaient fait le tour de Dakar.
Ayant pris ces informations, Falaye décide de faire son entrée dans la lutte avec frappe. L’objectif qu’il s’est assigné, c’est de gagner plus et se frotter aux meilleurs du moment. Estimant que son poulain n’est pas aguerri en lutte avec frappe, son tuteur Fodé s’y oppose. Ce malentendu les sépare. Falaye quitte le domicile de Fodé. Sans tarder, il s’installe ailleurs après avoir indiqué à son binôme qu’il retournait dans son village natal en Guinée-Bissau.
Ses cachets destinés à l’édification de la « Maison du Parti socialiste »
Falaye commence à pratiquer la lutte avec frappe à Thiaroye-Sur-Mer. Son tuteur Fodé n’en sait rien. Son jeunot disparaît et se terre ailleurs. Dès que le fils du Fouladou l’a su, il est encore allé le chercher. Cette fois-ci, il décide de satisfaire son rêve d’intégrer la lutte avec frappe pour ne pas le perdre. Ce rêve du fils de Gabou est réalisé. Il livre, en effet, son premier combat officiel contre Gora Guèye de Pikine. Les témoins de la confrontation rapportent que c’était un duel très difficile, où Falaye Baldé a assené de violents coups à son adversaire. Physiquement dévasté et mentalement déshonoré, son adversaire est envoyé à l’hôpital où il est interné pendant trois mois pour des soins médicaux. Un baptême du feu qui rend Fodé très redoutable. Ayant pris goût à la lutte avec frappe et à son gain plus convenable, le père d’Ama Baldé y réalise finalement une carrière peu commune. En effet, de 1961 à 1963, selon Ibou Ndiaye dit Niokhobaye, « il a livré 137 combats, pour 4 défaites et 2 nuls. Il a enregistré ses revers contre Babou Ndiambane, Bécaye 2, Landing Diamé et Boy Niague à Kaolack. Lors de ce combat, j’avais effectué le voyage avec Mbasa Samba, le père de Lamine Samba de la Tfm. Après la défaite de Falaye Baldé, nous avions pleuré de Kaolack à Dakar ».
L’ancien président du Regroupement national des managers de lutte du Sénégal, Bassirou Babou, explique que tous ses combats avec Bécaye 2 de Thiaroye étaient difficiles. À l’en croire, ils se sont affrontés deux fois. En effet, le premier a été soldé par un nul. Lors de la seconde manche, il a été battu par Bécaye 2. « Doudou Baka Sarr était très célèbre, mais c’est contre Falaye qu’il avait perdu le Drapeau de l’Arène sénégalaise. L’événement avait enregistré la présence du Président de la République d’alors, Léopold Sédar Senghor, aux Champs de Courses de Dakar. Lors de la première édition, il y a eu des heurts. C’est à l’occasion de la seconde manche que Falaye l’avait terrassé», a ajouté le premier manager d’Ama Baldé.
Selon toute vraisemblance, il existe une grande controverse autour de son parcours. Car Bassirou Babou indique, en outre, que Falaye a lutté avec Landing Diamé à trois reprises. « Chacun a terrassé son adversaire 3 fois, et ils ont fait 2 nuls. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui déclarent qu’il n’a connu qu’une seule défaite. Pierre Téning avait remporté le Drapeau de l’Arène sénégalaise face à Falaye. Ibou Senghor l’a aussi dominé, de même que Mouhamed Ali de l’écurie Walo lorsqu’il (Falaye) était en fin de carrière ».
Si tous ces témoins oculaires sont d’accord qu’il a disputé environ 137 combats, ils ne sont pourtant pas unanimes sur son nombre de revers et de nuls. Mais de sources concordantes, Falaye Baldé a fait 137 combats, 124 victoires, 9 défaites et 4 matchs nuls. Même s’il a été battu par Boy Niague, toutes nos sources précisent que l’enfant du Gabou l’a aussi épinglé à son tableau de chasse par trois fois.
Le « nguimb » qu’il nouait était en laine renforcée. Les femmes chargées de son tissage le font d’abord porter à une fille qui n’a pas encore vu ses menstrues. L’enfant de Gabou racontait fièrement son côté mystique. Il disait que beaucoup de ses adversaires craignaient d’être en contact avec lui. « Mon « nguimb » pesait au moins trois kilos. Il avait des poches contenant des amulettes et d’autres objets mystiques. Je l’ai porté pendant 25 ans sans qu’il ne s’abîme », racontait ce grand champion qui pouvait manger tout seul la moitié d’un mouton après d’âpres séances d’entraînement.
Au plan politique, Falaye Baldé était un militant du Parti socialiste (Ps). Il s’est tellement investi dans cette formation politique, qu’il a participé à l’édification de la «Maison du parti socialiste» de Colobane. À partir de 1966 et pendant cinq bonnes années, il a livré des combats à Rufisque, Mbour, Guinguinéo, Kaffrine, Nioro, Saint-Louis, Louga, Walo, Nouakchott, sans recevoir un kopeck. Son cachet était destiné à la construction de la Maison du Parti socialiste.
Par Abdoulaye DEMBÉLÉ
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