Depuis toujours, les arènes sénégalaises résonnent des voix envoûtantes des cantatrices. Hier comme aujourd’hui, elles incarnent cette fusion unique entre sport, culture et tradition. Bien plus que de simples accompagnatrices, elles insufflent aux combats de lutte une intensité unique, captivant le public et inscrivant leur art dans la mémoire collective. Et dans leurs chants, c’est toute l’âme du Sénégal qui s’exprime, rendant chaque combat inoubliable.
Elles sont les reines du spectacle et pour les amateurs de lutte, il est impensable d’assister à un gala de lutte sans entendre leurs chants. Les lutteurs eux-mêmes trouvent dans ces mélodies une source d’énergie et de courage. Les cantatrices occupent une place centrale dans cet univers où le sport et la culture s’entremêlent.
De grandes divas comme Ndèye Ngom Bambilor, Khar Mbaye Madiaga et Fatou Thiam Samb ont, de par leur talent, marqué plusieurs générations de lutteurs et de spectateurs. Véritables passeuses de mémoire, elles ont, à travers leur voix et leur présence, enrichi la lutte sénégalaise et contribué à transmettre son histoire, ses valeurs et son énergie aux générations suivantes. Ces dernières décennies, des icônes ont émergé, façonnant cette tradition.
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Khady Diouf, Mahé Ndèp, Faya Mbodj ou encore Ndèye Fatou Adama Dialy, Ndickou Thioune ont marqué de leur empreinte les plus grandes soirées de lutte. Chacune d’elles a apporté sa touche personnelle : des chants mélodieux, des rythmes ensorcelants, des paroles porteuses de messages. Aujourd’hui encore, une nouvelle génération de cantatrices perpétue cet héritage.
Ces artistes, formées auprès de leurs aînées, ont su s’imposer et séduire à leur tour les amateurs de lutte. Parmi elles, Mbayang Loum règne en maîtresse. Sa voix puissante et sa présence scénique lui ont permis de s’imposer comme une figure incontournable du moment. Lors des programmes de lutte, son nom résonne désormais avec respect et admiration.
À ses côtés, d’autres talents brillent également, à l’image d’Agnès Diogaye, héritière désignée de Mahé Ndèp. Bien que moins présente sur scène en raison de son âge avancé et de problèmes de santé, elle reste une vedette respectée, symbole de continuité et de transmission. Son parcours illustre le dévouement et l’exigence de cet art, où chaque voix est le fruit de longues années de pratique, d’écoute et d’inspiration.
La relève est donc assurée. Les arènes continuent d’être illuminées par ces voix féminines qui, bien plus que de simples accompagnatrices, sont de véritables actrices de la lutte sénégalaise.
Mahé Ndèp et Khady Diouf, deux voix immortelles
Elles ont prêté leur souffle à des générations de lutteurs, rythmé les arènes et donné une âme à la lutte sénégalaise. Mahé Ndep Ngom et Khady Diouf incarnent deux visages d’un même héritage. Celui des cantatrices, ces femmes qui portent l’histoire, la ferveur et l’identité culturelle d’un sport national devenu un phénomène social. À 78 ans, Mahé Ndep Ngom a été une figure vivante de cette tradition.
Originaire de Fatick, héritière d’une famille d’animateurs, elle s’est imposée grâce à sa voix et à son charisme. Pieds nus, elle exécute des pas de danses dignes d’un Manga 2 et captive les foules par ses chants en sérère. Même ceux qui ne comprennent pas ses paroles ressentent leur intensité.
Présente aux mariages, baptêmes ou cérémonies familiales, Mahé Ndep a toujours mis son art au service de la communauté. Pourtant, derrière l’aura de ses prestations, elle déplore des conditions précaires. « Les gens pensent que nous gagnons beaucoup, mais il n’en est rien. Si l’on défalque transport, repas et location, il ne reste pas grand-chose. Nous méritons plus de reconnaissance », précisait-elle.
Mahé Ndep a accompagné de nombreux champions, dont Yakhya Diop « Yékini », qu’elle a chanté jusque dans sa finale perdue contre Zale Lô lors du Drapeau du chef de l’État en 1996. Pour elle, la langue importe peu : les chants motivent, inspirent et soudent. Elle plaidait pour une association permettant aux Sérères d’apprendre à chanter en wolof et vice-versa, convaincue que la musique transcende les communautés.
Sa fille, Agnès Diogoye, perpétue l’héritage ; même si la montée de nouvelles stars comme Mbayang Loum rend la concurrence plus rude. Agée de 47 ans, la jeune dame a intégré la troupe de sa maman alors même que cette dernière était en activité. Elle l’a donc côtoyée jusqu’en 2016, l’année où Mahé Ndep a arrêté. Responsable de la troupe Mahé Ndep, elle fait le job avec d’autres dames plus âgées qu’elle.
Il s’agit notamment de Bernadette, Khady Diouf ou Seynabou Diouf. Pour perpétuer l’héritage, elle avoue que ce ne sera pas facile qu’elle puisse égaler le niveau de sa génitrice. Par contre, Agnès rassure que sa troupe est régulièrement engagée dans des activités et qu’elle et ses collaboratrices régalent le public. Khady Diouf, elle, est entrée dans la légende.
Native de Yerwago, dans la région de Fatick, la sœur de l’ancien lutteur, Alioune Diouf, a marqué de son empreinte les arènes Adrien Senghor et le terrain Gal Gui de Khar-Yalla. Son répertoire compte des titres devenus mythiques : « Dioffior arrondissement », « Fabi bop mbétandokhyo » « Yamou Sarr », « Bateau Sénégal » … Son style unique a suscité l’admiration, mais aussi des polémiques.
Le chanteur Pape Diouf reprit « Dioffior arrondissement » sans l’avertir ; ce qui créa un scandale. Khady Diouf s’était insurgée. « Je me suis réveillée un jour pour entendre ma chanson à la radio. Si j’avais eu Pape Diouf au téléphone, je lui aurais réclamé deux millions de Fcfa pour me faire justice », clamait-elle, très douce.
Toutefois, elle refusa d’engager des poursuites, préférant préserver son art. Décédée le 14 septembre 2013, à Dakar, après une courte maladie, Khady Diouf a laissé un vide immense derrière elle. Depuis, son nom, symbole d’une époque où les cantatrices étaient respectées et adulées, indissociables des combats les plus mémorables, résonne encore dans les arènes.
Par Abdoulaye DEMBÉLÉ