Prénom : Abdoulaye. Nom : Ly. Profil : ingénieur informaticien. Profil : créateur de contenus. Profil : berger. Domaine : high tech. Domaine : sensibilisation. Signe distinctif : front lumineux.
A sa droite, pas de vaches : curieux, ce berger. Curieux, ce berger : à sa gauche, pas de bœufs. Pas de bâton, et pas d’espace à perte de vue où il traînerait derrière ses troupeaux. Pourtant personne, absolument personne, ne peut lui enlever l’appellation de «berger». Devant lui, un ordinateur, deux téléphones portables. Les espaces numériques sont ces pâturages. Dans ces espaces numériques, des outils et des comptes sur les réseaux sociaux. Outils et comptes sont son bâton. A ses comptes, des abonnés (789 et plus sur TikTok). Et tel est son…troupeau (en attendant d’avoir un autre mot !). Dakar, le Plateau. Une crâne rasée, derrière un bureau. Souvent en lunettes, le monsieur est sans, pour une fois. Il est connu pour faire des vidéos qui apportent connaissances et éclairages à mille et une âmes à lui connectées par la magie du net. « Salam guys, c’est le berger high tech ».
Abdoulaye Ly a une bonne dose de pudeur dans le comportement. Il sourit et sourit furtivement. Il regarde et regarde furtivement. Mais, d’où lui vient son surnom ? « Déjà, je suis peulh, mais ce n’est pas pour ça…». Ce n’est pour cette raison évidente qu’il s’est surnommé berger : il y a du Jésus dans la raison réelle. Berger, brebis, allusion christique. Alléluia, en voilà un qui ne voit pas ses connaissances que comme du privilège. Mission ! Et il faut dire que le berger a ramassé assez d’outils dans ses parcours académique et professionnel, qui lui permettent d’avoir son mot à dire. D’éveiller ses followers. De leur éviter de voir leur laine tondue par les loups qui errent sur le net. L’ingénieur informaticien est passé par l’école Sénégal-Japon (informatique industrielle et réseaux), par l’Ecole supérieure multinationale des télécommunications (diplôme d’ingénieur en téléinformatique), par l’Université Cheikh Anta Diop (master en cryptologie, « donc, transmission de données et sécurité de l’information »). Ce, après avoir obtenu son bac au lycée Seydina Limamou Laye (série technique). Là, autant de bagages qui légitiment sa parole dans le domaine des tics sur Tiktok. Légitime encore, sa parole, d’autant plus que malgré tout ce qu’il transporte comme bagage, le berger multiplie les certifications. C’est donc tout ce background qui se mobilise, lorsque Monsieur lance l’enregistreur vidéo et déclame son habituel « salam guys, c’est le berger high tech ».
Ma méthode Clad
Son troupeau (en attendant d’avoir un autre mot !) n’est, précisément, pas un troupeau. Trente pour cent des vidéos produites par Abdoulaye Ly lui sont suggérés par celles et ceux qui le suivent, qui demandent au pâtre qu’il est lumières et conseils. Au début de l’aventure, une simple envie d’utiliser son temps disponible à quelque chose d’utile. Au stade où il en est aujourd’hui, le berger high tech n’appartient plus à Abdoulaye Ly. Ce dernier et son double ont fusionné pour atteindre le statut de maître. Maître, comme celui-là qui a craie et tableau, enseigne et corrige, indique et avertit. « Interactions » est alors le mot qui régit la salle de classe dématérialisée du maître-berger. Et qui dit enseignement dit pédagogie. L’ingénieur Ly a, outre le bagage théorique, l’ingéniosité pratique sans laquelle il y aurait bug, dans le système de transmission de l’émetteur qu’il est aux récepteurs que sont ses publics. Ainsi la pédagogie de la thêatralisation constatée sur quelques unes de ses vidéos se justifie-t-elle ! « A un moment donné, j’ai compris que le peuple sénégalais est très attiré par les théâtres. Nous sommes de vrais consommateurs de théâtre. Tant que c’est scénarisé, ça passe ». Un autre personnage s’introduit alors dans les cours qui n’en deviennent que plus interactifs. Des dialogues se construisent et rendent plus digestes les messages qui ne sont pas frontalement débités, mais déposés entre deux variations de plans. Et le berger-maître tient sa méthode Clad, qui s’ajoute au refrain fétiche « salam guys, c’est le berger high tech » !
« Mon plus grand rêve… »
C’est à Pikine que naît Abdoulaye Ly. Quand ? Peu importe ! Il y a un timide cheveu blanc dans sa barbe noire, pour qui veut faire une approximation sur son âge. Et, c’est à se demander s’il n’était destin depuis toujours à recevoir, tôt ou tard, les clés de la bergerie high tech. A dix voire onze ans, il s’intéressait aux choses de l’informatique. Le père lui fixe alors un ordinateur à la maison. L’intérêt se décuple et un oncle de mettre entre ses mains un ordinateur portable. Depuis lors, son système n’a subi aucune attaque qui aurait pu altérer sa vison de l’avenir. Cet avenir ne se fera qu’avec, que par la passion qui faisait briller les yeux de notre Amkoullel. L’enfant peulh a grandi et la lumière de la passion n’a pas quitté ses yeux. Ça brille jusque sur le poignet. L’écran de sa montre intelligente brille sous la lumière de son bureau. Tantôt, c’est une silencieuse notification d’Instagram.Tantôt, c’est une de Gmail. Sur le poignet aussi, brillent des perles. Elles portent des lettres. Ces dernières écrivent des noms. Ces noms sont ceux de ses trois enfants. « Source de motivation »… La venue de M. Ly dans ce bureau et dans le public, après le privé, est motivée par le conseil des parents. « Ils se disent qu’il y a la sécurité, il y a la retraite…». Monsieur était un peu réticent au début mais ne regrette pas son choix. Amkoullel est berger, le berger est maître, le maître est chroniqueur à la 2S TV, le chroniqueur a des rêves. En 2022, Amadou Ly disait : « mon plus grand rêve, c’est de voir l’informatique et l’Anglais intégrés dans l’enseignement primaire ». En 2025, il se réjouit du pas fait par l’Etat sénégalais concernant la partie anglaise de son rêve. Et, il réitère : « l’informatique, c’est devenu un outil de travail. Ce n’est plus un métier maintenant. Donc, si on ne maîtrise pas l’informatique d’ici quelques années, on sera considéré comme un analphabète 2.0. Maintenant, l’Anglais, c’est devenu aussi un outil, ce n’est pas une langue, parce que, déjà, la base de l’informatique, c’est l’Anglais. Si on maîtrise l’Anglais, on n’aura pas de problème pour maîtriser l’informatique. Et partout où on va maintenant dans le monde, on est obligé de comprendre ou de parler l’Anglais. Et il y a des types de boulots actuels qui commencent à émerger, les modes remote. C’est-à-dire qu’on reste au Sénégal et on travaille pour une société qui est au Canada. Et ce sera sur la base de l’Anglais que les recrutements se font. C’est pourquoi si on intègre très tôt l’Anglais et l’informatique, ça veut dire qu’on va donner la possibilité à nos futurs diplômés de travailler pour des organismes internationaux et partout dans le monde ». Pour Monsieur, le new deal est un good deal : il attend sa réalisation pour jubiler pleinement. « Tips » est utilisé à la place de « conseils » ou « astuces » dans le langage du berger, de même que « skills » l’est à la place de « compétences ». C’est dire qu’il est à fond dans l’Anglais et les anglicismes. Et l’hybridité de la culture du berger était déjà, depuis le début, dans la formule « salam guys, c’est le berger high tech ».
Sortir de l’école des cavernes
Monsieur semble être de ceux-là qui maîtrisent les procédures d’un bout à un autre. Parlant, il écrit sur un support devant lui, comme s’il avait peur qu’une bride d’idée lui échappe. Il écrit, et un de ses doigts porte une bague avec motif de dollar. « Je ne réfléchis pas en Fcfa, je réfléchis en dollar », dit-il. Un tel mindset lui vaut souvent des critiques de la part de certains, mais, « whatever ». La critique dit prétention. Le berger dit ambition. « Quand je leur disais que je ferai le tour du monde, que j’irai participer à toutes les foires où on parle de nouvelles technologies, les gens rigolaient ». Rira bien qui rira le dernier : entre décembre 2024 et janvier 2025, le berger a été au Consumer Electronics Show (Ces) de Las Vegas, qui est le plus important salon consacré à l’innovation technologique en électronique grand public. Abdoulaye Ly, à qui on avait promis les Etats-Unis, n’a pas vu son american dream se réaliser. Pas grave, si ce rêve de sports-études chez l’Oncle Sam ne s’est jamais réalisé ! Le berger réalisera ce rêve dans le domaine des techs. Ce n’est cependant pas parce que la fenêtre sports-études post-bac s’est fermée que l’ingénieur a fermé définitivement la porte sports. Derrière le bureau et derrière le caftan qu’il porte, on perçoit du muscle bien sculpté : Monsieur lève du fer ! Monsieur fait de la moto. Monsieur joue au basket. Monsieur fait du cheval. Peut-être, des vidéos lifestyle s’ajouteront-elles à celles qu’il amorce avec son fameux « salam guys, c’est le berger high tech ».
« Un outil que l’on ne maîtrise pas devient facilement un danger. Que ça soit un téléphone, que ça soit un ordinateur, que ça soit un couteau » ! Message du berger. « Pires que des bombes », les téléphones sont, quand ils sont entre les mains de ceux-là qui font des lives pour détruire autrui. Le berge énumère les dangers et glisse vers la nécessité d’inculquer aux utilisateurs des téléphones et réseaux sociaux ce qu’il appelle une cyberculture. Cyberculture : « une culture du numérique, une culture des outils qu’on a actuellement autour de nous ». Dans sa classe numérique, Abdoulaye Ly continue ses cours, tout en militant pour une école sénégalaise autre. Autre, qui ne soit celle qu’il caractérise d’ « école des cavernes », où le petit-fils est dans le même canevas que le grand-père et le père. Salam guys, c’était le berger high tech…
Moussa Seck