Après une formation à l’étranger, Fatou-Maty Diouf, 29 ans, a créé « Yonn » (mot wolof qui désigne chemin en français), une application innovante qui utilise un système d’adressage simple et universel pour faciliter la vie quotidienne au Sénégal. Son ambition : étendre cette application à d’autres pays africains et contribuer à l’autonomisation des femmes dans la Tech.
Téléphone à la main, une voix enthousiaste et des yeux qui pétillent d’énergie, Fatou-Maty Diouf zoome sur l’écran de son smartphone. Son téléphone semble être le prolongement de sa pensée, un outil avec lequel elle tente d’expliquer, avec un enthousiasme communicatif et un sourire désarmant, le fonctionnement de son application. Elle parle vite, avec une énergie débordante, cherchant les mots justes pour convaincre et faire comprendre l’utilité de ce « système d’adressage simple » qu’elle a imaginé pour faciliter la vie quotidienne au Sénégal. Sa voix est teintée d’un léger accent anglophone, héritage d’un parcours international.
Fatou-Maty Diouf est de ces entrepreneurs qui ne se contentent pas de créer une entreprise, mais cherchent à résoudre un problème, à apporter une solution concrète à un besoin réel. En effet, c’est seulement en revenant au Sénégal qu’elle trouve sa vocation. « Je ne me suis pas réveillée un jour en me disant : je voudrais être entrepreneur. C’est ici que j’ai vu un problème concret et j’ai voulu y répondre », confie-t-elle. Une solution née d’un constat simple Née au Sénégal, mais partie en France à l’âge de sept ans, Fatou-Maty Diouf a étudié à Dubaï, a obtenu un Mba à l’Essec Paris en 2014, puis un Master en Comptabilité à la London School of Economics.
Un parcours « brillant » qu’elle résume avec humilité. « J’ai toujours été studieuse, pas première de classe, mais celle qui posait trop de questions », glisse-t-elle. Bientôt la trentaine, Fatou-Maty Diouf incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs africains qui allient formation internationale et ancrage local. « Yonn », selon elle, est une idée née de l’observation. Après avoir vécu et étudié à l’étranger, elle a été frappée par la complexité du système d’adressage basé sur des points de repère souvent imprécis et changeants, avec des évolutions perpétuelles de la capitale sénégalaise. « Dans plusieurs pays, on utilise des adresses et c’est assez facile de se repérer. Mais, au Sénégal, on utilise quand même des points de repère, ringards la plupart du temps », explique-t-elle.
De ce constat est née « Yonn », une application qui permet à chaque utilisateur de créer une adresse digitale pour sa maison ou son commerce, une adresse simple, universelle, basée sur un code alphanumérique à quatre chiffres. Ce code, c’est la clé de voûte de « Yonn ». Fatou-Maty dit y avoir longuement réfléchi, consciente des spécificités linguistiques et culturelles du Sénégal. « Le code nous permet tous de nous aligner et de faire en sorte que tout le monde, malgré son background, sa langue de préférence, puisse se retrouver. « Yonn » s’appuie sur la technologie de localisation de Google Maps pour simplifier la gestion des adresses. Elle permet aux utilisateurs de créer, en quelques minutes, des adresses numériques personnalisées, associées à des informations pratiques, telles que l’itinéraire, des photos et une note vocale descriptive du lieu », détaille-t-elle.
Au cœur de la stratégie de déploiement de « Yonn », réside un capital humain, « un réseau de plus de 500 ambassadeurs répartis à travers le Sénégal ». Ces acteurs de terrain jouent un rôle crucial dans l’adoption de l’application en allant à la rencontre des commerçants pour les initier aux avantages de cette nouvelle forme d’adressage. « Cela nous a permis d’atteindre 5000 utilisateurs. Un ambassadeur, c’est quelqu’un qui va parler de l’application et va initier les utilisateurs à télécharger et à se mettre sur la carte », explique Fatou-Maty Diouf.
Ce modèle d’ambassadeurs s’avère pertinent. Il permet de diffuser l’application à une vitesse remarquable sur l’ensemble du territoire sénégalais, de Dakar en Casamance, et offre une opportunité économique concrète à de nombreux jeunes. Chaque ambassadeur perçoit une commission de 50 % sur les frais d’inscription des commerces. Fatou-Maty y voit une manière de « contribuer » à la réduction du taux de chômage chez les jeunes. Une leader humble et déterminée Son équipe est exclusivement féminine ; ce qui dénote son penchant pour le féminisme qu’elle revendique. « C’est une façon de montrer que les femmes sénégalaises ont leur place dans la Tech, pas comme des figurantes, mais comme actrices majeures », affirme-t-elle.
Au-delà de l’entrepreneuriat, Fatou-Maty est une passionnée de littérature. Elle cite Mariama Bâ comme figure féminine qui l’inspire, admirative de son écriture, de son style et de sa capacité à partager des messages profonds. Elle aime lire, découvrir de nouveaux
auteurs, s’enrichir de la diversité des mots. Elle s’intéresse également à la poterie et à l’agriculture, deux domaines qui témoignent de sa curiosité et de son ouverture d’esprit. De plus, elle pratique le padel, un sport de raquette qui se joue toujours en double sur un court fermé. « C’est intense, mais je le pratique », dit-elle. Fatou-Maty Diouf est, aujourd’hui, une jeune femme dynamique qui refuse l’étiquette d’une femme leader et qui a su tirer parti de ses expériences professionnelles variées (blockchain, communication, FinTech) pour créer un projet qui lui ressemble : innovant, utile et porteur de valeurs. Elle est consciente des défis qui l’attendent, notamment celui de convaincre une population habituée à un système d’adressage différent.
« Il sera difficile de déconstruire les mentalités sur le plan de la géolocalisation », lâche-t-elle. Mais, elle est déterminée à les surmonter, portée par sa foi dans le potentiel de « Yonn » et par son désir de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie au Sénégal. Son style de leadership, elle le décrit comme basé sur l’écoute et l’encouragement de l’initiative.
Elle valorise l’expertise de son équipe et cherche à créer un environnement de travail épanouissant. « Mon but, c’est d’avoir une équipe qui s’épanouit », dit-elle. Dans cinq ans, Fatou-Maty voit « Yonn » s’étendre dans d’autres pays africains où l’adressage reste un défi. « Je veux que cette application soit utile, qu’elle change les choses », souhaite-t-elle. Et si certains doutent encore face à l’innovation, elle répond par l’action : « Les retours négatifs ? On en a fait une force. Chaque critique m’a poussée à améliorer l’outil ». Mariée avant la fin de l’année ? Elle l’espère aussi.
Pathé NIANG