Praia (Cap-Vert) – À l’occasion de la grande conférence sur l’intégrité de l’information organisée par l’UNESCO en partenariat avec le gouvernement cap-verdien, la GIZ a organisé un panel consacré à un sujet brûlant : le fact-checking face à la crise financière qui fragilise l’ensemble de l’écosystème de vérification des faits.
Des outils prometteurs mais aux limites persistantes
Les intervenants ont mis sur la table plusieurs axes de réflexion pour diversifier les modèles économiques et renforcer la résilience des initiatives africaines. Avant de proposer des pistes concrètes, Soleil Check est revenue sur l’évaluation d’outils actuellement déployés, tels que les notes communautaires et les solutions d’intelligence artificielle contextuelle.
Selon Soleil Check, les notes communautaires permettent certes de faire entendre une pluralité de voix, mais elles génèrent aussi une cacophonie informationnelle, avec une qualité hétérogène des contributions. Ces mécanismes risquent de renforcer les biais d’échantillonnage et de connivence. Dans de nombreux pays africains, où peu d’acteurs peuvent éditer de telles notes, ces outils entretiennent surtout une posture de consommation d’information plutôt qu’une participation active. Les IA contextuelles, qui produisent des extraits et résumés de contexte, restent elles aussi limitées, notamment parce que les modèles d’IA ne sont pas encore entraînés sur les réalités africaines et les spécificités linguistiques du continent.
Vers un modèle ouest-africain radicalement nouveau
« Nous devons aller vers un modèle économique ouest-africain radicalement nouveau », a plaidé Ndeye Fatou Diery Diagne, co-fondatrice de Soleil Check. Elle propose un modèle hybride combinant intelligence humaine, outils numériques et intelligence artificielle, adapté au multilinguisme africain. Elle a également insisté sur la collaboration transfrontalière et suggéré la création d’un programme ouest-africain de résilience, adossé à un pacte fondateur et à un consortium de fact-checkeurs, ainsi que le développement d’outils libres et intelligents.
À court terme, elle appelle à impliquer directement les citoyens en les motivant à adhérer à la cause du fact-checking et en facilitant des micro-paiements pour soutenir ces initiatives.
Une convergence des acteurs africains du fact-checking
Abondant dans le même sens, Doreen, rédactrice en chef de PesaCheck, a souligné que la crise actuelle pourrait nourrir la désinformation et la mésinformation. Elle a plaidé pour une collaboration renforcée surtout lors des élections et le partage de contenus communautaires. Pour susciter une meilleure adhésion du public, elle estime que le fact-checking doit être plus attractif et inspirer confiance : « Les citoyens doivent être rassurés que ce qu’ils paient est réellement crédible. »
Elle estime que les populations doivent être convaincues que leur financement est utile et que le produit finale mérite la mobilisation financière. De son côté, Wille Diallo, représentante de la Convention des Jeunes Reporters, est revenue sur son expérience de fact-checkeuse sur TikTok, où elle mène un fact-checking inclusif avec des formats innovants, en particulier sur les questions de santé touchant les jeunes et les femmes. Elle arrive à sensibiliser sur les dangers de l’usage des certains produits tout en se rapprochant de ses cibles.
Elle a aussi présenté le programme « Les vigies de l’info », qui transforme des jeunes reporters en relais d’information et propose des formations spécifiques au fact-checking.
Enfin, Dr Abdou Diaw, représentant du CESTI, a rappelé l’importance accordée à la vérification de l’information dans la formation des journalistes au niveau cette grande école de journalisme africain. « L’évolution du métier a motivé le développement d’une offre de formation spécifique », a-t-il souligné, encourageant la production de contenus originaux et la prise de conscience des limites de chacun.
« Le CESTI a décidé d’introduire depuis plus de cinq années le fact checking dans son offre en deuxième et en troisième année en vue de pousser les jeunes à une spécialisation plus poussée », a-t-il expliqué. Il a n’a pas manqué de se poser des questions sur les rôles des uns et des autres dans la chaine de travail de vérification.
Ce panel a montré que, face aux défis financiers, technologiques et linguistiques, le fact-checking africain doit inventer ses propres modèles de survie. L’innovation, la coopération régionale et l’implication directe des citoyens apparaissent comme les clés d’une résilience durable.