L’intelligence artificielle (IA) commence à transformer en profondeur le journalisme au Sénégal. Dans plusieurs rédactions, elle est utilisée comme outil de recherche, de correction ou de traitement technique de l’information, apportant rapidité et efficacité, en particulier aux jeunes journalistes. Mais si elle ouvre de nouvelles opportunités, son usage soulève aussi des questions éthiques et déontologiques sur la fiabilité des contenus et le rôle du journaliste.
Les temps changent. Le monde avec. L’intelligence artificielle (Ia) transforme en profondeur les pratiques médiatiques. Et le Sénégal n’est pas en reste. Dans plusieurs rédactions, cette nouvelle technologie devient un support de recherche, de correction de texte ou de traitement technique de l’information. Comme toute innovation, ce sont les jeunes qui se l’approprient en premier. Ainsi, l’Ia est souvent utilisée dans les rédactions par les plus jeunes journalistes qui lui trouvent un certain nombre d’avantages.
C’est le cas de Serigne Gackou Aidara, journaliste à Zoa, la nouvelle plateforme médiatique du groupe France Médias Monde. « J’utilise personnellement l’intelligence artificielle surtout pour la recherche, notamment avec « Perplexity », qui fournit généralement les sources. C’est une excellente base de comparaison pour effectuer la triangulation », fait-il savoir, précisant que son usage de l’Ia connait des limites. « Dans la rédaction, d’habitude, je ne l’utilise pas », dit-il. Un avis que partage, dans une certaine mesure, Bocar Tall Kalambaan, journaliste à Radio France internationale Fulfulbé. «
L’intégration de l’Ia dans nos travaux quotidiens se fait, en ce qui me concerne, de manière très sobre. Nous n’avons pas encore pleinement profité de son potentiel », reconnaît-il. Selon lui, son usage de l’Ia se limite au travail préparatoire lié à la recherche et à la rédaction. « Pour l’essentiel, je ne l’utilise que pour faire des recherches ou corriger des textes, pour un style plus propre », ajoute-t-il, précisant qu’il garde toujours en tête le respect des règles d’éthique et de déontologie du métier.
Prisée par les jeunes journalistes
Cependant, Bocar Tall dit « Kalambaan », Journaliste radio, pointe du doigt les raisons techniques qui limitent l’utilisation de l’Ia dans son travail. « En tant que journaliste radio, je pense que c’est un peu compréhensible. Les voix générées ont encore cet aspect robotique, facilement détectable. Or, quand on fait des voix, il faut transmettre des images et des émotions à nos auditeurs. L’Ia n’en est pas capable », observe-t-il. Mais loin de faire de l’intelligence artificielle une menace, Kalambaan insiste sur la responsabilité des journalistes : « L’Ia ne peut en aucun cas aller sur le terrain faire des interviews. Ce n’est qu’un outil, comme la tablette ou le dictaphone ». Mais il appelle à « accentuer la formation » pour éviter que le Sénégal ne prenne du retard dans cette transition technologique.
Si Kalambaan parle de « retard » dans l’utilisation de l’Intelligence artificielle pointant du doigt « une phobie pour certains à trop se baser sur l’Ia », Serigne Gackou Aidara, pour sa part voit un déploiement en fulgurance de cet outil dans le paysage médiatique. Pour lui, au-delà même de la recherche et du traitement, l’Ia est même utilisée aujourd’hui en postproduction. « Au sein de Zoa, nous avons notre propre Ia qui nous aide à générer des images d’illustration lorsque les images ne sont pas disponibles.
Avantages et limites éthiques
On l’utilise également pour améliorer la qualité sonore des reportages lorsque les enregistrements présentent des défaillances. Et pour cela un outil comme Ia Adobe est efficace pour réduire le bruit et mettre en avant la voix », a-t-il noté. Serigne Gackou Aidara met toutefois en garde. Selon lui, l’efficacité de l’Ia ne doit pas masquer les risques. « L’Ia, ce n’est ni la Bible ni le Coran… Les résultats générés ne sont pas fiables à cent pour cent. C’est dire que l’Ia reste un outil, et non l’inverse par conséquent il ne peut se substituer au journaliste », constate-t-il, appelant à un usage à bon escient.
Car pour le professionnel de l’information, le danger apparaît lorsque le journaliste se contente des réponses produites sans vérification. Partant, il alerte aussi sur la qualité des requêtes : « un prompt mal formulé peut conduire à des informations erronées », dit-il. C’est pourquoi, il plaide pour « un manuel d’usage à distribuer dans les rédactions sénégalaises » afin de sensibiliser sur les forces et les limites de l’outil.
Dans cette perspective Mamadou Yaya kanté, fact-checker pour Dubawa (Cjid – Centre for Journalism innovation and development) plaide pour un usage modéré de l’Ia. Selon lui, l’Intelligence artificielle doit servir d’appui et non se substituer au journaliste. Ainsi, il suggère de trouver des moyens « pour vérifier la production des journalistes, grâce aux outils de vérification, afin de mesurer la part réelle de l’Ia dans un travail journalistique ». Selon lui, cela relève avant tout de l’éthique. « Pour ma part, je me verrai mal signer un texte généré par l’Ia », témoigne Yaya Kanté.

