Dans un contexte de stress hydrique croissant et de défis environnementaux majeurs, le laboratoire Photonique Quantique, Énergies et NanoFabrication de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), propose une alternative audacieuse au dessalement classique. Ici, avec une technologie développée à partir de résidus agricoles transformés en nanomatériaux, on ambitionne de produire de l’eau douce sans impact environnemental négatif.
La Faculté des sciences et techniques (Fst) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), abrite un structure dénommée le laboratoire photonique quantique, énergies et nano fabrication. Une véritable révolution scientifique dirigée par le professeur Balla Diop Ngom et ses équipes. Ils transforment les déchets agricoles en or énergétique. Soutenu par la Royal society de Londres, l’équipe développe des nanomatériaux de stockage d’énergie à base de résidus organiques locaux, offrant des perspectives durables pour les batteries et supercondensateurs de demain. Mais derrière cette réussite scientifique se cache un engagement citoyen et une ambition plus large : faire de la recherche un levier de souveraineté technologique et de justice environnementale en Afrique.
Les effluves d’hibiscus (bissap) calciné flottent encore dans les couloirs du laboratoire. Sous les paillasses encombrées de fioles et d’électrodes, de jeunes chercheurs s’affairent à extraire la quintessence du vivant : ici, des épluchures d’arachide, et par là, des tiges de maïs carbonisées, bientôt transformées en matériaux de haute technologie. « Ce que le monde appelle déchets, nous, on appelle ça matière première », lâche le professeur Balla Diop Ngom, un brin provocateur. Depuis des années, il mène une révolution silencieuse, convaincu que les solutions aux défis énergétiques et environnementaux du continent ne viendront pas d’ailleurs, mais bien d’ici, à partir des savoirs et des ressources locales. Son combat : une science enracinée, libre, et utile.
Une avancée technologique
Spécialiste de la physique du solide et des matériaux, le Pr Balla Diop Ngom est à la tête du Laboratoire Photonique Quantique, Énergies et Nano Fabrication, un pôle de recherche innovant niché au cœur du département de physique de la Fst. Ce laboratoire, fruit de plus de vingt ans de travail acharné, concentre ses efforts sur la transformation des résidus agricoles tels que le manioc, le maïs, la coque d’arachide, etc, en matériaux nanostructurés pour la fabrication de cathodes et d’anodes. Contrairement aux systèmes conventionnels de dessalement qui rejettent des cristaux de sel et perturbent l’écosystème marin, la méthode développée dans ce laboratoire repose sur un principe d’ionisation. « Nous, on ionise le sel, c’est-à-dire qu’on sépare les deux éléments chimiques, puis on les reforme. Il n’y a donc pas de rejet de cristaux. C’est zéro rejet », explique le Pr Ngom. Ce procédé physico-chimique utilise la polarisation des ions pour rompre les liaisons moléculaires du sel, garantissant une eau potable tout en préservant les organismes vivants des milieux aquatiques.
Au-delà de l’aspect écologique, le professeur souligne un autre avantage : la valorisation du sel récupéré. « L’État peut exploiter ce sel à d’autres fins. Il s’agit donc d’une solution durable, respectueuse de l’environnement, mais aussi économiquement bénéfique », souligne le Pr Ngom. Cependant, dit-il, cette avancée technologique nécessite un accompagnement financier. « On connaît déjà le matériau, on a le site et le dispositif. Il ne manque que le financement », a-t-il indiqué. Il s’agit selon lui de passer à l’échelle supérieure, avec l’ambition d’implanter des unités de traitement d’eau basées sur cette technologie. Son approche incarne une vision scientifique au service de la souveraineté hydrique, où la recherche locale s’attaque à des problèmes globaux. Le laboratoire de Balla Diop Ngom pourrait bien être le berceau d’une nouvelle ère de gestion intelligente et durable de l’eau au Sénégal et en Afrique notamment à travers le dessalement d’eau de mer. « Nous développons un procédé qui permet d’ioniser le sel pour le séparer de l’eau, sans rejet de cristaux, donc sans impact environnemental », explique le M. Ngom. Ce procédé, dit-il, pourrait alimenter l’usine de dessalement de Dakar, un projet crucial pour la sécurité hydrique de la capitale. « Contrairement aux technologies classiques qui rejettent les cristaux et perturbent l’écosystème marin, notre méthode repose sur la polarisation des ions, ce qui permet de les recombiner ensuite. C’est une approche propre, respectueuse de l’environnement », insiste-t-il.
Un bijou scientifique à l’arrêt
Le Laboratoire Photonique Quantique, Énergies et NanoFabrication de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, bute cependant sur un obstacle : Le dispositif de pointe, fruit d’un financement prestigieux, est aujourd’hui à l’arrêt faute de moyens pour acheter les gaz nécessaires à son fonctionnement. Conçu pour fabriquer des matériaux bidimensionnels à haute performance énergétique, le dispositif phare du laboratoire, financé pourtant à hauteur de 41.000 dollars par la Royal Society, ne peut toujours pas fonctionner. « Le dispositif est constitué d’une fourche qui peut aller jusqu’à 1500 degrés, d’une chambre qu’on appelle un Glockbox que j’ai moi-même conçue. L’idée est de créer un environnement sans contact entre le carbone et l’oxygène, pour éviter la production de CO2», a expliqué le Pr Ngom.
Mais pour que la magie opère, il faut créer un environnement parfaitement inerte, exempt d’oxygène. Et c’est là que le bât blesse : « Il nous faut du gaz inerte comme l’argon ou l’azote, et surtout de l’hydrogène pour nettoyer le milieu. L’hydrogène capte l’oxygène résiduel et le transforme en vapeur d’eau, qu’on peut ensuite évacuer. Le Problème, c’est que l’hydrogène est explosif, et nécessite un système de distribution sécurisé depuis l’extérieur du laboratoire, explique l’enseignant- chercheur. Ce système a-t-il indiqué a un coût, et il s’agit de trouver 13 millions de FCfa, selon le devis fourni par Molekul Gaz. Une somme que le laboratoire n’a pas aujourd’hui. « C’est ce montant qui bloque tout. Et pourtant, si on parvient à mettre le dispositif en marche, on pourra innover en remplaçant les coques d’arachide par un matériau bidimensionnel encore plus performant », a indiqué le Pr Ngom. Le projet a pourtant mobilisé l’énergie et les ressources du professeur, jusqu’en Californie. « Je me suis déplacé moi-même pour rencontrer les fournisseurs et faire concevoir ce dispositif. À l’époque, on avait de l’argent grâce au projet, mais aujourd’hui le financement est terminé et on est bloqué », déplore-t-il. Il plaide pour une meilleure synergie entre chercheurs, industriels et pouvoirs publics. « Nous avons la matière grise, les idées, la volonté. Il ne manque que l’outil politique et économique pour faire éclore une industrie technologique Made in Sénégal », fait-il savoir.
En alliant science de haut niveau, conscience écologique et engagement social, le professeur Balla Diop Ngom et son équipe montrent que la recherche peut être un moteur de transformation structurelle. Son laboratoire est bien plus qu’un lieu de production de savoirs : c’est une fabrique d’avenir.
Par Daouda DIOUF