Certaines décisions ont le claquement sec d’un gouvernail que l’on redresse en pleine tempête, quand la mer se fait lourde et que l’horizon se brouille. Celle prise à Abuja, confiant au Sénégal la présidence de la Commission de la CEDEAO, appartient à cette catégorie rare. Elle n’est ni un geste de courtoisie ni une politesse diplomatique de fin de sommet. Elle marque un déplacement du centre de gravité du pouvoir régional. Elle engage l’avenir. Elle repose sur une confiance accordée à un pays et à un homme, le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
Diriger la Commission de la CEDEAO, ce n’est pas occuper un fauteuil d’apparat ni présider un ballet de communiqués. C’est tenir la salle des machines, là où grondent les choix structurants. C’est concevoir et piloter les politiques économiques, sécuritaires et institutionnelles. C’est orienter la libre circulation, arbitrer les priorités budgétaires, donner une direction à l’intégration régionale. C’est, en somme, gouverner l’exécutif communautaire, cet espace discret mais décisif où se fabriquent les réalités concrètes de la sous-région.
Après près d’un demi-siècle d’absence à ce niveau de responsabilité, le Sénégal revient au cœur du jeu. Non par nostalgie des grandeurs passées, mais parce que la conjoncture l’exige. La CEDEAO traverse une période de fragilisation profonde. Des juntes militaires ont rompu le pacte démocratique. Des États se sont mis en marge. La parole communautaire est contestée. Les peuples doutent de l’utilité d’une organisation perçue comme lointaine. Dans le même temps, la menace terroriste progresse, les frontières deviennent poreuses, la violence s’installe durablement dans le Sahel et menace désormais les pays côtiers.
C’est dans ce paysage fissuré que les chefs d’État ont fait un choix lourd de sens. Ils ont désigné un point d’équilibre. Un pays qui, malgré ses fragilités, n’a jamais cédé à la tentation du coup de force. Un pays qui a fait du débat politique une norme et du dialogue un réflexe. Un pays dont la diplomatie inspire confiance parce qu’elle est constante, lisible et prévisible. Ils ont choisi le Sénégal.
Ce choix éclaire le style et la trajectoire de Bassirou Diomaye Faye. Depuis son accession au pouvoir, il s’est imposé sans tapage, par la sobriété du verbe et la fermeté des positions. À Abuja, il n’a pas récité un discours convenu. Il a parlé vrai. Il a posé les questions que beaucoup murmurent sans oser les formuler. À quoi sert une organisation régionale si elle ne protège plus les peuples ? Comment prétendre défendre la démocratie sans repenser ses mécanismes ? Jusqu’où peut aller l’intégration si elle reste déconnectée des réalités sociales et économiques ?
Cette parole nette a tranché dans le brouhaha diplomatique. Elle a été perçue non comme une impertinence, mais comme une preuve de maturité politique. Elle a révélé une capacité à penser l’avenir, à anticiper les fractures, à proposer des pistes de réforme. C’est cette lucidité qui a pesé dans la décision finale. Car la CEDEAO n’avait pas besoin d’un gestionnaire de routine. Elle avait besoin d’un cap.
La décision d’Abuja n’est donc pas un ruban honorifique accroché à une veste présidentielle. C’est un levier de pouvoir réel. Elle place le Sénégal au centre de la fabrique des politiques régionales. Elle lui permet d’influer sur les grands projets d’infrastructures, sur les choix énergétiques, sur la connectivité régionale, sur l’harmonisation des normes économiques. Elle ouvre des perspectives nouvelles pour les entreprises sénégalaises sur un marché communautaire élargi. Elle renforce la capacité du pays à défendre ses intérêts tout en contribuant à la stabilité collective.
Sur le terrain sécuritaire, l’enjeu est encore plus vital. L’Afrique de l’Ouest est devenue une ligne de front. Face à cette réalité, Bassirou Diomaye Faye n’a pas choisi la posture confortable du commentateur. En Guinée-Bissau, il a pris des initiatives concrètes. Face aux coups d’État, il a condamné sans ambiguïté. Sur la question des forces régionales, il a insisté sur leur financement réel et leur opérationnalisation effective. Le leadership, dans ces circonstances, ne se mesure pas à la dureté des mots, mais à la capacité d’agir avant que le chaos ne s’installe.
Cette confiance accordée au Sénégal est aussi un hommage à une diplomatie patiente, construite sur la durée. Une diplomatie héritée de Senghor, nourrie par la stabilité institutionnelle, renforcée par l’expérience multilatérale. Une diplomatie qui privilégie la cohérence à l’agitation, la crédibilité aux effets d’annonce. Bassirou Diomaye Faye s’inscrit dans cette tradition tout en y ajoutant une exigence nouvelle, celle de la réforme et de la vérité. Il n’a pas flatté la CEDEAO. Il l’a prise au sérieux. Il l’a invitée à se regarder sans complaisance.
Les débats internes, les tensions politiques, les équilibres partisans relèvent de la respiration normale d’une démocratie vivante. Sur la scène régionale, ce qui compte, c’est la solidité de la ligne et la clarté de la vision. À Abuja, le Sénégal n’a pas cherché un symbole à exhiber. Il a apporté des réponses à des questions brûlantes. C’est cette attitude qui a convaincu.
En prenant la tête du moteur exécutif de la CEDEAO, le Sénégal accepte une responsabilité historique. Il ne s’agit plus seulement de proclamer l’intégration, mais de la faire avancer, patiemment, concrètement, dans une région traversée de fractures. Il ne s’agit plus d’invoquer les peuples, mais de les placer au centre des politiques publiques régionales. La décision d’Abuja ouvre une fenêtre rare. Au président Bassirou Diomaye Faye de la transformer en passage durable. Non par le bruit, mais par l’action. Non par les slogans, mais par la preuve.
Par Lamine NIANG


