omment êtes-vous entré au Soleil ? », me demande-t-on. C’est la destinée qui m’y a conduit et m’y a accompli. J’étais étudiant en Lettres modernes et nombre de mes amis avaient déjà trouvé du travail. N’ayant aucune qualification professionnelle, je me demandais quelle activité secondaire me procurerait des revenus nécessaires sans perturber mes études. Étudiant le jour, correcteur la nuit, ce serait parfait, me suis-je dit. Et bien sûr, s’imposait le choix du grand journal Le Soleil. Par chance, c’est le Directeur général lui-même, M. Bara Diouf, qui m’y a reçu. Il m’a interrogè, puis a conclu : «Pourquoi correcteur ? Pourquoi pas le métier de journaliste ?’’ Portes ouvertes, changement progressif de perspective ; pré-stage, puis stage ; c’était parti.
De la torture des doigts sur de vieilles machines à écrire, puis aux chiens écrasés qui me conduisaient chaque matin à la police, ensuite aux reportages et au passage d’un desk à un autre, ainsi commençait l’itinéraire d’une carrière, l’aventure exaltante d’une passion. Je n’avais jamais rêvé de devenir journaliste ; je n’allais jamais regretter de l’être devenu. Le Soleil et la profession m’ont permis de poursuivre une quête jouissive de l’émerveillement par le mot, d’exploration, même à mon humble niveau, de la vertu creative du verbe; m’ont fait vivre de grands moments ; m’ont donné l’occasion répétée d’apprécier le leadership exemplaire de figures remarquables, hommes d’État, dirigeants politiques, grands intellectuels, hauts cadres de l’administration, autorités coutumières, guides religieux, citoyens ordinaires. Bara Diouf en était une, ne serait-ce que parce qu’il faisait confiance à ses collaborateurs, les laissant exercer pleinement leurs responsabilités, sans interférence ; et aussi qu’il aimait s’entourer de talents, à l’opposé de la normalité prévalente de dirigeants plutôt soucieux d’écarter qui pourrait leur faire de l’ombre. Pour moi, Le Soleil c’est une culture, celle de la prééminence absolument impériale de la compétence.
Jamais je n’ai entendu une commande politique durant toute ma carrière dans ce journal. Bien au contraire, seuls y ont prévalu, au quotidien, la compétence professionnelle, le respect des règles du métier, la rigueur dans leur exécution. Directeur général, rédacteur en chef, chef de desk et reporter, étaient au même niveau durant les réunions de rédaction où seul comptait le jugement des confrères, et non l’autorité hiérarchique. Cette culture a contribué à faire du Soleil un journal de référence, et donc aussi un creuset inégalé de formation professionnelle, où presque tous les grands journalistes de notre pays ont exercé leur talent. La célébration de ce 55ème anniversaire met en exergue la continuité vocationnelle du rôle institutionnel du Soleil, indépendamment des régimes politiques. Car ce journal est au service du droit à l’information, de l’aspiration populaire, des droits des citoyens et de la démocratie républicaine, plutôt qu’à celui de l’État qui n’en est que le garant et l’agent premier. Je me réjouis de constater que notre journal continue de cultiver ces valeurs de compétence professionnelle, de fiabilité absolue, jamais encore plus précieuses qu’aujourd’hui, dans le contexte permanent de la maltraitance informationnelle. Je suis également fier de la poursuite méthodique, par la direction et les agents du Soleil, des efforts d’adaptation aux changements radicaux qu’impose la révolution numérique. Je ne doute pas que notre journal relèvera avec succès le défi existentiel auquel fait face la presse dans le monde entier.