Alors qu’au Sénégal, on n’a pas fini de se poser des questions sur le refus de visa par les États-Unis à nos basketteuses, on apprend que le consulat de France à Dakar, souvent très critiqué par les peuples africains dans ce domaine, vient encore de s’illustrer.
Il a refusé le visa à un académicien de renom : le Dr Moctar Touré, président de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (Ansts). Ce refus, selon son collègue, le Dr Pape Abdoulaye Seck, également membre de cette académie, et de cinq autres (soit six au total), intervient alors que le Dr Touré était invité à faire une communication scientifique dans le cadre d’une rencontre internationale. Dans un groupe que nous partageons, le Dr Seck, visiblement très outré, n’a pas manqué de publier la lettre de protestation qu’il a adressée au consul général de France. Il a qualifié cette décision « d’humiliation inacceptable pour la science et pour le Sénégal, difficilement excusable ». Il n’y voit rien d’autre qu’un « geste d’un autre âge, empreint d’une condescendance qu’on croyait disparue ».
Cela, eu égard à l’envergure scientifique du Dr Moctar Touré, qui fut ancien directeur général de l’Isra, ancien haut fonctionnaire à la Banque mondiale. Dès lors, l’empêcher d’accomplir sa mission intellectuelle revient, pour lui, à « s’attaquer à l’idée même de la coopération scientifique, mais aussi à envoyer un signal désastreux à tous les scientifiques africains : vos voix, vos idées, vos expertises ne valent pas le déplacement ». Faut-il le rappeler ? En Afrique, les taux de refus de visas français et des autres pays de l’espace Schengen sont inquiétants. Ils sont souvent plus élevés pour les demandeurs africains que pour d’autres nationalités. Un rapport de Henley & Partners souligne que les demandeurs africains subissent des taux de refus bien plus élevés que leurs homologues asiatiques ou d’autres régions.
En 2023, bien qu’ils aient formulé deux fois moins de demandes que les pays asiatiques, les Africains étaient deux fois plus susceptibles de se voir refuser un visa, avec un écart moyen de 14 points de pourcentage. En 2024, les statistiques montrent que, parmi les dix pays enregistrant les plus hauts taux de refus de visas Schengen, six sont africains. Les Comores affichent un taux alarmant de 61,3 %, suivies par la Guinée-Bissau (51 %), le Ghana (47,5 %), le Mali (46,1 %), le Soudan (42,3 %) et le Sénégal (41,2 %) (cf. africanews.fr). Les chiffres officiels du ministère français de l’Intérieur confirment cette tendance haussière des refus de visas : 578 687 en 2024, contre 506 611 en 2023, et 194 181 en 2021. Durant la période 2017–2019, on comptait en moyenne 4,3 millions de demandes par an, avec entre 537 000 et 686 000 refus. Parallèlement, le tarif des visas de court séjour (type C) n’a cessé d’augmenter : passé de 60 à 80 € en 2020, puis à 90 € en 2024. Résultat : les pertes financières pour les demandeurs se creusent, sans aucun remboursement possible en cas de rejet. (SENE.NEWS, le 05/05/2025).
Ce rejet de visa Schengen, selon Rfi, « a coûté près de 54 millions d’euros aux demandeurs africains en 2023 » (cf. www.rfi.fr, le 16/06/2024). Ces refus entravent également les échanges économiques, intellectuels, etc. C’est cela que le Dr Pape Abdoulaye Seck, comme tant d’autres intellectuels sénégalais – voire africains – dénonce avec véhémence. Légitimement, d’ailleurs. Car, finalement, aucun corps de métier n’échappe à la politique désastreuse d’octroi de visas des pays occidentaux. Parfois, cela frôle non seulement la condescendance, mais surtout le mépris. En réalité, plusieurs Sénégalais sont victimes de cette politique occidentale depuis fort longtemps.
Que l’on soit homme d’affaires, artiste, étudiant, homme politique, etc., personne n’y échappe. Les consulats font la pluie et le beau temps dans nos pays. Pourtant, ces Occidentaux se rendent facilement dans nos États. Et lorsque vous parlez de principe de réciprocité, c’est toute une armada de mesures répressives, parfois très sournoises, qui s’abat sur le pays. Qu’à cela ne tienne ! Les gens ont une dignité à défendre. Qui peut penser un instant que le Dr Touré souhaite rester en France ? Lui refuser un visa n’est rien d’autre qu’un affront. La seule façon de remédier à ce manque de respect, c’est d’appliquer le principe de réciprocité. daouda.mane@lesoleil.sn