Le Centre de recherche et de documentation du Sénégal (Crds, ex-Ifan) va abriter, du 3 mai au 3 juin 2025, la 11e édition des Itinéraires artistiques de Saint-Louis. Pendant un mois, la ville tricentenaire va vibrer au rythme d’une exposition internationale d’arts visuels. Cet événement, inscrit dans le calendrier culturel sénégalais, est l’une des activités culturelles phares de la ville de Mame Coumba Bang. Les Itinéraires artistiques de Saint-Louis sont organisés par l’association « Ndar Création », conduite par l’artiste visuel Abdoukarim Fall.
L’initiateur des Itinéraires artistiques de Saint-Louis est né en 1982 dans le célèbre et mythique quartier des pêcheurs de Saint-Louis, Guet Ndar. Très tôt piqué par le virus de l’art, Abdoukarim Fall ne s’est pas attardé sur les bancs de l’école. Il a eu juste à fréquenter les écoles Léontine Gracianet et Clédor Ndiaye de Saint-Louis avant de partir vivre son rêve d’artiste. Les rêves pleins la tête, le jeune artiste commence à se former tout seul en réalisant des dessins. Il touche le pinceau pour la première fois en 1996, lors d’un atelier organisé au Centre de recherche et de documentation du Sénégal (Crds). « Cela a fait que le Crds est un site qui signifie beaucoup pour moi. J’y ai fait mes débuts dans la peinture. Un Mexicain avait organisé un atelier en juin 1996 et j’y participais, cela a renforcé mon envie de pratiquer l’art », nous confie M. Fall. En 1998, il intègre les ateliers « Araignée » de Baye Mouké Traoré, ce dernier est lauréat, en 1996, du Grand prix du chef de l’État pour les arts. Dans ces ateliers, Abdoukarim Fall s’initie au travail de licier plus connu sous le nom de tapisserie et participe à d’autres activités artistiques comme les « Les talibés de Mame Coumba Bang ».
Jeune prodige
En 2001, Fall acquiert assez de bagages sur la pratique de la peinture. Son amour pour cette discipline ne cesse de grandir. Il décide alors de s’y consacrer entièrement. C’est en 2003 qu’il fait sa première exposition individuelle au Centre culturel français de Saint-Louis. De là, le jeune natif de Saint-Louis commence à vivre pleinement son art. La même année, il représente Saint-Louis au Fesnac et participe à différentes éditions de la Biennale de Dakar. En 2008, le jeune artiste saint-louisien remporte le concours de peinture organisé par la Fondation Cuemo, aujourd’hui partenaire principal des Itinéraires artistiques. Il est sélectionné avec 9 autres artistes pour aller à Monaco. Abdoukarim Fall fait partie des trois meilleurs artistes primés. Il participe également au Salon national des arts plastiques à la Galerie nationale. Il s’illustre particulièrement avec son exposition intitulée « Rêveries d’un fleuve ». En 2008, le jeune prodige de Guet Ndar fait encore parler de lui à travers son exposition intitulée « Sauvons le patrimoine ». Dans sa ville natale, le jeune artiste déplore un manque d’organisation des acteurs pour mieux vivre leur art. Il met alors en place l’association « Ndar Création ».
Une association qui regroupe une vingtaine de membres et qui a pour mission la promotion de l’art et de la culture dans la région nord du Sénégal et dans le reste du monde. « Il s’agissait pour nous de mieux organiser et de structurer le secteur ici à Saint-Louis pour ainsi gagner plus de reconnaissance et de respect », a-t-il expliqué. Pour Abdoukarim Fall, Saint-Louis, terre de culture, d’histoire et de patrimoine, doit occuper une place de choix dans le secteur des arts. Elle doit être, selon le Guet-ndarien un cadre qui permet aux artistes de s’épanouir, de s’exprimer. C’est ainsi qu’à travers son association, il initie en 2013 les Itinéraires artistiques de Saint-Louis, une exposition d’arts visuels. L’artiste veut ainsi repositionner Saint-Louis au centre de l’art, la culture. « L’idée des Itinéraires artistiques m’est venue après deux participations au Salon national des arts plastiques et aux biennales. J’ai remarqué que tout se faisait à Dakar », souligne le plasticien. Chemin faisant, il s’est dit pourquoi ne pas mettre en place quelque chose à Saint-Louis qui permette aux artistes de se retrouver. Saint-Louis, remarque A. Fall, est classée patrimoine mondial, c’est la première capitale du Sénégal, « elle doit donc jouer un rôle important dans le secteur de la culture.
C’est pourquoi nous avons mis en place cette exposition ». Depuis 2013, les Itinéraires artistiques font leur bout de chemin. Aujourd’hui, cette exposition s’est positionnée comme l’un des évènements majeurs de la ville tricentenaire. L’activité a connu des débuts difficiles liés au manque de soutien, mais son initiateur se réjouit qu’aujourd’hui elle traverse les frontières et attire de plus en plus d’artistes et des gens du monde de l’art. « Maintenant nous lançons des appels à candidatures pour la participation aux Itinéraires. Nous recevons tellement de dossiers que nous sommes obligés de faire une sélection. Les candidats nous viennent de partout », se félicite Fall. L’évènement est marqué par des formations en arts visuels, des ateliers workshop, des expositions et le développement de disciplines artistiques comme la peinture, la photographie, la sculpture, la mosaïque, le design et l’art numérique. La dernière édition a vu la participation de 200 artistes venus du Sénégal et des autres coins du monde et l’exposition de 500 œuvres dont 89 ont été vendues.
L’enfant du quartier niché entre le fleuve Sénégal et l’océan Atlantique veut à travers cet événement doter les jeunes artistes d’un cadre pour exprimer leur talent. « À travers les ateliers, nous formons les jeunes à la peinture, nous soutenons aussi les jeunes artistes dans l’obtention du matériel et cela permet aux jeunes de côtoyer les grands artistes pour partager avec eux. L’exposition permet aussi de montrer leurs créations et de vendre des tableaux », relève l’artiste. Aujourd’hui, le rêve d’Abdoukarim Fall est de doter Saint-Louis d’un espace propre aux artistes saint-louisiens, mais également permettre aux jeunes talents de réaliser des expositions individuelles et internationales. Ambitions Des difficultés, l’artiste en rencontre encore, elles sont liées au manque de structures dédiées, l’indisponibilité du matériel à Saint-Louis. Il plaide pour plus de soutien aux jeunes artistes afin qu’ils puissent avoir accès à certains espaces. Son regret aujourd’hui est le manque de soutien des autorités. « Nous ne sentons pas la présence de nos autorités à nos côtés. Elles ne viennent pas assister à nos évènements alors que celles d’autres pays viennent. Un exemple, depuis qu’on a entamé les démarches pour la 11e édition, on a envoyé un courrier au ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Nous n’avons toujours pas de réponse », regrette Fall. Pourtant, ajoute-t-il, la Gambie voisine qui est l’invitée d’honneur de l’édition a déjà réagi. « Nous voulons sentir nos autorités à nos côtés parce que nous participons à la promotion de la destination Sénégal », a lancé l’artiste. Des conseils pour ces jeunes confrères, Abdoukarim en a, il leur recommande l’abnégation, le professionnalisme, la patience, mais surtout l’unité. En plus des Itinéraires artistiques, Abdoukarim Fall continue ses expositions individuelles au Sénégal et un peu partout dans le monde.
Par Jeanne SAGNA (Correspondante)