Guinguinéo a été, du temps de la grandeur des chemins de fer du Sénégal, la deuxième capitale du rail du Sénégal. Les populations sont nostalgiques de cette époque lorsque la gare de la ville était toujours animée et engendrait un dynamisme économique. Tous les habitants espèrent la relance du chemin, pour que Guinguinéo, assoupie avec l’arrêt du train, retrouve sa vie d’antan.
Gare de Guinguinéo ou ce qu’il en reste. Nous sommes en mi-novembre. Le temps est clément, contrairement à la canicule des jours précédents à Guinguinéo, chef-lieu départemental de cette circonscription de la région de Kaolack. Le vaste espace qui était le centre de l’infrastructure ferroviaire est actuellement au milieu de la capitale départementale, non loin du centre-ville et à côté du quartier Pallène. Le principal bâtiment de la gare, abandonné depuis que le train a arrêté de siffler à Guinguinéo, au début des années 2000, a perdu de sa superbe. Plus de tôle ni d’ardoise rouge sur les toits. Les murs sont délabrés, même si la peinture beige est toujours visible, de même que certaines portes et fenêtres en bois craquelées par endroits.
Seule la plaque de couleur blanche, avec l’inscription « Guinguinéo » en rouge, en face des rails, semble résister à la dégradation causée par le temps pour rappeler l’époque glorieuse de cette ville qui était considérée comme la deuxième capitale du rail du Sénégal, après Thiès. En face de l’édifice principal, où les passagers venaient acheter leurs tickets, il y a deux grands bâtiments qui servaient de dépôts des machines pour la maintenance des trains. Ces différents bâtiments, tous en ruine, sont envahis par les hautes herbes et sont souvent le repère des ânes et d’autres animaux divaguant en cette période de l’année. Par endroit, les rails sont aussi recouverts par les herbes. À côté, quelques wagons abandonnés d’un autre âge rappellent aussi que cette gare a été l’une des plus dynamiques du pays.
Dans le vaste domaine disposant même de ses propres châteaux d’eau, quelques maisons des cheminots sont encore utilisables. Il s’agit de maisonnettes disposant de cours avant et arrière ornées de fleurs et d’autres arbustes décoratifs. Même si plusieurs maisons qui appartiennent toujours à la Société des chemins de fer du Sénégal ne sont plus occupées, sont sans eau ni électricité, on constate une certaine classe se dégager de ce cadre. Les populations de Guinguinéo se rappellent que c’était une belle cité des cheminots qui faisait de la ville une localité attrayante avec le dynamisme engendré par le chemin de fer. Non loin du tracé du chemin de fer, Jaques Bernard Traoré et ses amis vulcanisateurs sont autour du thé à l’ombre d’un acacia. Très passionné par tout ce qui touche à la relance du chemin de fer, il confie que depuis que le train a arrêté de siffler à Guinguinéo, il y a une vingtaine d’années, la ville a commencé à perdre de sa superbe.
L’activité économique tourne aussi au ralenti depuis. « Du temps du chemin de fer, lorsque le train circulait normalement, il faisait bon vivre à Guinguinéo. La ville était animée et dynamique sur le plan économique. Toute l’économie de Guinguinéo tournait autour du chemin de fer. Il y avait des commerçants dans la gare et aux alentours. On avait aussi facilement des marchandises qui venaient du Mali, de Dakar et de toutes les villes traversées par le chemin de fer », se rappelle l’homme âgé de 47 ans. Jacques Bernard Traoré confesse que Guinguinéo n’avait rien à envier aux autres villes du Sénégal. Guinguinéo est aussi une ville enclavée. Elle est située à neuf kilomètres de la route nationale (axe Diourbel-Kaolack). Pour regagner la ville, les habitants sont souvent obligés de chercher un véhicule de transport à l’intersection « Back Samba Dior » (Baobab de Samba Dior en sérère).
Du temps du chemin de fer, il y avait un train qui faisait la navette Guinguinéo-Dakar tous les jours. « Le chemin de fer nous permettait d’aller et de venir sans problème. Cela évitait les nombreux accidents. Maintenant, tous prennent la route », dit-il, espérant la relance du chemin de fer pour que Guinguinéo retrouve son dynamisme économique.
Les bienfaits du chemin de fer
Même avis chez Diéry Wade, né à Guinguinéo il y a 57 ans. Cet homme à la taille moyenne et au teint noir est aussi témoin de cette époque où la vie dans la localité se conjuguait avec le chemin de fer. Conducteur de moto « Jakarta » à ses heures perdues, il a le cœur meurtri lorsqu’il évoque l’arrêt des trains. « On peut dire que la ville de Guinguinéo se meurt depuis que les trains ne roulent plus. Guinguinéo étant une localité enclavée, le train nous permettait d’être connectés aux grandes villes », se rappelle-t-il. L’homme à la barbichette blanche, rencontré non loin du centre de santé de Guinguinéo, fait remarquer que le chemin de fer permettait aussi aux habitants de la ville et des villages environnants de mieux s’en sortir sur le plan économique. « À la fin de l’hivernage, on parvenait à écouler notre production agricole grâce aux trains. On vendait nos arachides, notre mil, niébé et autres productions agricoles à Dakar, Thiès ou au niveau des autres villes que les trains traversaient. On partait le matin vendre nos produits. Le soir, on revenait grâce au « train Express » avec des marchandises des villes comme le poisson, les fruits et légumes, etc.
La vie était belle avec le train et le commerce était développé », se souvient M. Wade. Ce dernier de regretter qu’avec « la mort du chemin de fer », il n’y a plus d’activités pour les jeunes à part la conduite de « Jakarta ». Même notre interlocuteur, bien qu’âgé (plus de 57 ans), s’adonne à cette activité pour joindre les deux bouts, de temps en temps. Waly Samb est enseignant à la retraite. Il maîtrise bien l’histoire du département de Guinguinéo. Celui qui est actuellement le comptable de la seule radio communautaire de Guinguinéo, « Geo Fm », estime que le chemin de fer a été une opportunité pour sa ville. Il souligne qu’après leur entrée en sixième à Guinguinéo, il fallait s’inscrire ailleurs, car la localité n’avait pas de collège. Les jeunes élèves de Guinguinéo étaient obligés, à l’époque, de s’inscrire à Gossas pour faire le collège. Heureusement, le chemin de fer leur permettait, chaque jour, d’aller au collège à Gossas et de revenir à Guinguinéo.
« Avec des promotionnaires dont les parents étaient des cheminots, cela facilitait notre déplacement. On prenait le train le matin et le soir. On a fait notre cursus scolaire comme ça à Gossas. Guinguinéo était, en ce moment, dans la région de Fatick et dépendait du département de Gossas. La gare était toujours animée », confie le doyen Waly Samb rencontré au cybercafé de la radio « Geo Fm ». L’ancien intendant du lycée de la localité précise que Guinguinéo était le deuxième dépôt national des chemins de fer du Sénégal, derrière Thiès ; ce qui en faisait la deuxième capitale du rail. Il confirme qu’il y avait toute une économie autour du train, de Dakar à Tambacounda, avec la disponibilité des produits agricoles partout dans le pays grâce au train qui les disséminait à chaque gare. « Chaque fois que le train passait, les populations sortaient avec leurs récoltes, profitaient de ces instants pour écouler leurs produits comme les arachides, le mil, les niébés, le maïs, etc. Ces populations n’avaient même pas besoin d’aller à Dakar. Le chemin de fer générait une économie dans la ville », renseigne Waly Samb.
Celui qui a été également le premier président de l’Organisation départementale de coordination des activités de vacance (Odcav) de Guinguinéo regrette de constater qu’avec le déclin du chemin de fer, la localité est devenue comme « une ville morte ». Il n’y a plus de dynamisme économique. « Guinguinéo étant une cité enclavée, le train contribuait aussi à désenclaver la localité et tant d’autres communes. Les gens du département se déplaçaient facilement entre Guinguinéo et les autres localités du pays, et jusqu’à Bamako », insiste M. Samb.
La relance du chemin de fer souhaitée
Pour retrouver ce passé glorieux, les populations invitent les nouvelles autorités à relancer le chemin de fer. Diéry Wade espère que le chemin de fer sera bientôt relancé. Il y avait aussi beaucoup d’employés de la Société nationale des chemins de fer qui vivaient dans la ville. « Une gare, c’est des dizaines d’emplois et une économie tout autour. On était la deuxième capitale du rail. On disait, à l’époque, qu’à Guinguinéo, il n’y avait que des cheminots. Les chemins de fer étaient la principale entreprise de la ville », lance Diéry Wade. Soutenant la même thèse, Waly Samb de la radio « Geo Fm » invite aussi les autorités à prendre en charge le projet de relance du chemin de fer. Pour lui, il n’y a pas un instrument qui peut davantage développer un pays mieux que le chemin de fer qui permet d’identifier le potentiel économique de toutes les régions traversées, notamment la production agricole, fruitière, etc.
« Express », « Dieg », « Laisser Touba »…Ces noms locaux des trains
Les habitants de Guinguinéo sont fiers aussi de rappeler les noms locaux donnés aux différents trains qui passaient par leur ville ou qui y prenaient départ. Diéry Wade se souvient du train dit « Express » qui assurait la liaison Dakar-Bamako. Avec ce train, les populations avaient accès aux marchandises comme les mangues, les fruits maliens, etc. Il y avait aussi le train dit « Laisser-Touba » qui allait de Guinguinéo à Touba ; le train appelé « Dieg » parce qu’il permettait aux dames d’aller, chaque matin, au marché de Kaolack s’approvisionner en légumes et revenir faire la cuisine pour leur foyer. Le train « 27 » arrivait à Guinguinéo à 21 heures, selon Diéry Wade. Ce train « 27 » passait la nuit à Kaolack pour revenir à Guinguinéo à 6 heures pour se rendre à Dakar. Confirmant ces noms, l’enseignant à la retraite Waly Samb confie que c’était de beaux souvenirs qui faisaient la fierté de Guinguinéo. « Le train faisait vivre beaucoup de population de Guinguinéo. Ainsi, chaque train avait son propre nom local. C’était la belle époque », confesse M. Samb.
« Tous les travaux sont faits pour que les voies soient praticables… »
Les habitants de Guinguinéo souhaitent la relance du chemin de fer pour pouvoir profiter comme avant des potentialités qu’offrent la gare et cet outil de transport pour l’économie. Sur le terrain, les habitants voient depuis quelque temps des cheminots, avec des gilets fluorescents, s’activer sur le tracé du chemin de fer.
Pour plus d’informations, nous avons fait un tour à l’ancienne cité des cheminots où plusieurs maisons sont abandonnées non loin de la gare. Cependant, quelques demeures reprennent vie même si les bâtiments au style colonial ont besoin d’être rénovés. Dans une des demeures qui font face aux rails, loge Abdoulaye Ndoye. Ce jeune, affecté il y a juste un mois comme chef du District ferroviaire de Guinguinéo, prend possession de la gare et du secteur sous sa responsabilité. Il a comme objectif, avec son équipe, de rendre opérationnels les rails. Il a sous sa direction huit agents.
Cependant, avec le renfort de la Division des grands travaux des chemins de fer du Sénégal, ils sont presque 24 à travailler sur le tracé du district de Guinguinéo. Abdoulaye Ndoye, que nous avons tiré de sa journée de repos, le samedi 16 novembre 2024, nous révèle que le district de Guinguinéo qu’il dirige est long de 65 kilomètres et va de la sortie de Diourbel à l’entrée de Kaffrine en passant par Guinguinéo. « On a reçu plus de 35.000 attaches pour réfectionner les rails. Il faut savoir que les attaches servent à maintenir les rails sur les traverses. Sans attaches, on ne peut pas parler de chemin de fer », explique-t-il.
Le chef du District ferroviaire de Guinguinéo indique que les réparations à faire sont importantes parce que « Guinguinéo est une zone sensible avec beaucoup d’actes de vandalisme ». Images de son téléphone à l’appui, il nous explique que des gens ont démonté les attaches en fer et utilisé des scies à métaux pour couper des parties des voies. Ils les revendent après en ferraille. C’est pour cela que les cheminots utilisent maintenant des attaches en plastique. Toutefois, M. Ndoye fait noter qu’ils font « tous les travaux pour que les voies soient praticables », la relance du chemin de fer étant d’une grande urgence pour le Sénégal et la zone.
Plus grande gare du Sénégal « Guinguinéo est le centre du développement du chemin de fer. Le domaine de la gare de Guinguinéo est le plus grand du Sénégal. Guinguinéo est la plus grande gare du Sénégal. C’était la base, le fief de la zone centre. Il y a plus de 15 voies de rails dans la gare de Guinguinéo », explique Abdoulaye Ndoye. Ce dernier précise aussi que la gare de Guinguinéo est la seule à disposer d’une boucle ferroviaire qui permet aux trains de changer de direction avant le terminus. Même Thiès n’en a pas. Cela confirme le statut de deuxième capitale du rail de Guinguinéo. La gare dispose aussi, même s’ils sont délabrés, de plus de 25 bâtiments, d’un parc de voies impressionnant, en plus d’un grand dépôt où on stockait et faisait l’entretien des machines et trains en détresse. Grâce à son embranchement aussi, la gare de Guinguinéo connecte Kaolack, Diourbel, Thiès, Touba, sans compter Tambacounda et Dakar. Pour cela, les populations et les cheminots ont hâte que le train recommence à siffler.
Par Oumar KANDÉ (Envoyé spécial à Guinguinéo)