Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité n’a cessé d’interroger les mécanismes de sa propre justice lorsqu’il s’agit de répondre aux atrocités les plus graves. Génocides, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes d’agression forment le socle des crimes internationaux, ces violations si graves qu’elles offensent la conscience universelle. Le Tribunal militaire international de Nuremberg, créé en 1945, a posé les premières pierres de cette justice internationale, mais la route vers une justice globale, impartiale et efficace reste semée d’embûches.
Nuremberg a jugé les principaux dirigeants nazis pour leurs responsabilités dans l’Holocauste et les crimes de guerre. Il s’agissait d’une justice de vainqueurs, comme le critiquent certains historiens, mais elle a tout de même établi des principes fondamentaux, dont la responsabilité pénale individuelle et la non-impunité des chefs d’État. Toutefois, ce tribunal violait déjà un principe essentiel du droit : le double degré de juridiction, c’est-à-dire le droit à faire appel. Cette carence fut également reprochée aux tribunaux pénaux internationaux (Tpi), notamment le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (Tpiy) créé en 1993 et le Tribunal pénal pour le Rwanda (Tpir) en 1994. Créés par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (827 et 955), ils visaient à juger les auteurs des crimes les plus graves commis dans ces régions.
Malgré des avancées significatives comme la reconnaissance du viol comme arme de guerre, la qualification du génocide rwandais et une jurisprudence importante, ces tribunaux ont été critiqués pour leur lenteur, leur éloignement des populations concernées, et leur coût exorbitant. De plus, leur fondement onusien les rendait dépendants d’intérêts politiques, illustrant la difficulté à rendre une justice indépendante au niveau international. Dans l’arsenal du droit international, certains principes dits « jus cogens », normes impératives en encore normes intransgressibles, s’imposent à tous les États sans exception. Ils interdisent la torture, l’esclavage, le génocide, ou les traitements inhumains et dégradants.
La Convention contre la torture de 1984 réaffirme ces interdictions et impose aux États de poursuivre ou d’extrader tout suspect, indépendamment de sa nationalité ou du lieu du crime. Ce fondement appuie le principe de compétence universelle, qui permet à un État de juger des crimes internationaux même s’ils n’ont aucun lien direct avec lui. C’est en vertu de ce principe que l’ancien président tchadien Hissène Habré a été jugé et condamné à Dakar en 2016 par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), un tribunal hybride rattaché à la justice sénégalaise mais de compétence internationale. Ce procès historique fut salué comme une avancée majeure pour l’Afrique et pour la justice universelle.
La Cour internationale de justice, gardienne des normes internationales
La Cour internationale de justice (Cij), organe judiciaire principal de l’Onu, tranche les différends entre États. Elle s’est prononcée sur des questions cruciales de violations du droit international, comme dans l’affaire des activités armées au Congo ou les différends entre l’Ukraine et la Russie. Bien qu’elle ne juge pas les individus, la CIJ joue un rôle central dans l’interprétation des normes jus cogens. Elle a aussi souligné que les États ont l’obligation d’empêcher et de punir le génocide, même hors de leur territoire, renforçant ainsi la logique de responsabilité collective face aux crimes internationaux (Cf: l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt C.I.J du 26 février 2007). A côté de la C.I.J, une autre cour internationale a été mise en place pour traquer, juger et punir les auteurs de crimes internationaux.
Tribunaux spéciaux et hybrides : vers une justice contextuelle
Pour surmonter les blocages de la justice internationale classique, plusieurs tribunaux hybrides ont vu le jour. Ils mêlent droit national et international, juges locaux et internationaux, comme le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, ou le tribunal spécial pour le Liban ou encore les chambres Cambodgiennes. Ces mécanismes offrent un meilleur ancrage local, une plus grande légitimité populaire, et réduisent les coûts. Ils montrent que la justice internationale ne doit pas forcément être centralisée à La Haye, mais peut s’exercer là où les crimes ont été commis, avec les sociétés concernées. Malgré ses failles, la justice pénale internationale a permis d’en finir avec l’impunité absolue. Elle donne aux victimes un espace de reconnaissance et à la communauté internationale un cadre pour affirmer que certains crimes ne peuvent rester impunis.
Cependant, les inégalités dans son application, les lenteurs procédurales, et les obstacles géopolitiques, interrogent sa légitimité. Le traitement différencié entre les crimes commis par des puissances occidentales et ceux perpétrés en Afrique ou au Moyen-Orient continue d’alimenter la critique d’une justice à deux vitesses. La solution réside peut-être dans un renforcement des juridictions nationales, soutenues par des mécanismes internationaux souples et adaptés aux contextes locaux. Comme l’a montré l’affaire Habré, une justice enracinée mais universelle est possible. Reste à la communauté internationale d’assumer pleinement cette ambition dans un contexte d’intensification des crimes internationaux et de violations constants du droit international et de ses principes.7
La Cour pénale internationale : espoirs, limites et critiques
Créée en 1998 par le Statut de Rome, entré en vigueur en 2002, la Cour pénale internationale (Cpi) est la première juridiction permanente chargée de juger les individus pour les crimes les plus graves. Son originalité tient dans le principe de complémentarité : la CPI n’intervient que si les juridictions nationales sont incapables ou refusent de juger les suspects de manière sincère. Elle dispose de compétences sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et le crime d’agression. Mais la Cpi reste contestée. Certaines grandes puissances, comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou Israël, refusent de reconnaître sa compétence ou n’ont pas ratifié le Statut de Rome. D’autres, comme les Philippines, s’en sont retirés. Washington a même imposé des sanctions contre certains juges de la Cpi, accusant la Cour de s’en prendre de manière “injuste” à ses ressortissants, notamment dans le cadre des enquêtes en Afghanistan ou en Palestine. Ces résistances révèlent le dilemme central de la justice pénale internationale : l’absence d’un pouvoir coercitif mondial face à des États souverains jaloux de leur autonomie.
Par Daouda DIOUF