Le Professeur Jean-Bernard Diatta, chef du département d’agrochimie et de bio-géochimie environnementale de l’université des Sciences naturelles de Poznań, en Pologne, a un parcours atypique.
De son village d’origine de Thionck-Essyl, en Casamance, à Poznań, il a su relever beaucoup de défis. Arrivé dans cette première université polonaise dans le domaine des sciences naturelles, depuis sa première année, il y a 39 ans, il n’a plus quitté cet environnement jusqu’à diriger l’un des départements les plus importants de cette institution.
Parcours d’un « globaliste » de Thionck-Essyl à Poznań
Le 24 septembre 2024, la délégation invitée par le ministère polonais des Affaires étrangères doit visiter l’Université des Sciences naturelles de Poznań, ville située à l’Est de la Pologne, à 300 kilomètres de la capitale Varsovie, vers la frontière avec l’Allemagne. Le temps doux et un peu ensoleillé de cette matinée contraste avec la fraîcheur du soir et de l’aube dans ce pays d’Europe centrale. Cette université, la première polonaise dans le domaine des sciences naturelles et de l’environnement, est située dans une zone agricole cernée par des champs de maïs, de blé, de légumes et de fruits à perte de vue.
Les bâtiments administratifs et autres amphithéâtres et laboratoires sont entourés d’une végétation luxuriante qui garde encore sa verdure, malgré l’annonce de l’automne. L’artisan de cette visite est un Sénégalais d’origine. Il nous reçoit avec déférence en compagnie de la porte-parole de l’Université, Iwona Cieslik. Le Professeur Jean Bernard Diatta, habillé d’une veste à carreaux de couleur verte sur une chemise blanche assortie d’une cravate et d’un pantalon kaki, est ravi de recevoir des subsahariens dans cette zone de l’Europe centrale. Ce Sénégalais originaire de Thionck-Essyl est le chef du Département d’agrochimie et de Bio-géochimie environnementale de l’Université des Sciences naturelles de Poznań.
Il nous introduit dans le bureau du recteur de l’université, le Professeur Krzysztof Szoszkiewicz, pour une séance de travail en présence de la vice-rectrice chargée de la coopération internationale, la professeure Karolina Pawlak. Ces derniers ont tous salué l’engagement du Professeur Diatta pour l’Université. Il est une sorte « de lien entre l’Afrique subsaharienne et notre université et nous sommes satisfaits de son travail », laisse entendre le recteur de l’Université des Sciences naturelles de Poznań. Lien entre l’université et l’Afrique subsaharienne Pour ses collaborateurs, Jean Diatta est aussi considéré comme le parrain des jeunes africains francophones venant dans cette université.
Avant d’être chef du Département d’agrochimie et de bio-géochimie environnementale de l’Université des Sciences naturelles de Poznań, Jean Diatta a été sous l’encadrement et l’aile protectrice de l’actuel recteur le Professeur Krzysztof Szoszkiewicz. Même originaire du Sénégal, il se considère comme « globaliste ». Il vit en Pologne depuis presque 40 ans. Jean Bernard Diatta est marié à une Rwandaise et père de deux enfants qui ont suivi leurs études entre la Pologne, le Canada et les Pays Bas. Très taquine, sa collègue du même département, la professeure titulaire Renata Gaj, nous lance : « c’est pourquoi il vous disait qu’il était un globaliste ». « Ma femme est du Rwanda. Je suis du Sénégal et c’est en Pologne qu’on vit. Nous sommes globalistes », confie Jean Diatta, le sourire bien en évidence.
Casamance, le royaume d’enfance Jean Diatta est venu poursuivre ses études en Pologne depuis 1985. Après son baccalauréat obtenu au Sénégal en série D et face aux perturbations dans les études à l’Ucad, le jeune bachelier décide de quitter le pays. Jean Diatta se souvient qu’après le bac obtenu en 1984 à Ziguinchor, il est venu à Dakar et a passé juste une année seulement à la Faculté des sciences. « Mais comme il y avait beaucoup de grèves en première année, en 1985, je me disais qu’il ne faut pas perdre le potentiel que j’avais. Il y avait des grèves interminables. Je me disais qu’il fallait que je sorte ». Ainsi deux options s’offraient au natif de Thionk-Essyl : aller vers le bloc de l’Ouest capitaliste ou vers le bloc de l’Est communiste. Séduit par les idées du communisme à l’époque, il se tourne vers ce bloc qui était, selon lui, « plus accessible ». « Après mon bac, je suis venu en Pologne pour des études dans l’agrochimie. Et après les études, j’ai fait mon doctorat dans le même domaine ». « C’est la Pologne qui m’a accueilli depuis 1985. Et après le doctorat, je me suis spécialisé dans la chimie de l’environnement, c’est-à-dire les contaminations, la rénovation des sols dégradés, la traçabilité et tout ce qui concerne l’environnement et l’agriculture. Depuis 2012, je suis professeur titulaire », confie le Professeur Jean Diatta qui nous a fait visiter les locaux de son département.
Le Département d’agrochimie et de Bio-géochimie environnementale est doté de laboratoires modernes de dernière génération. Plusieurs recherches y sont menées ou sont en cours sur l’impact environnemental de l’agriculture. Avant d’être chef de Département dans cette prestigieuse université publique polonaise, l’une des meilleures dans les domaines des sciences environnementales et de l’agriculture, Jean Diatta a eu un cursus assez riche depuis le sud du Sénégal. Même s’il est natif de Bignona en 1963, il confesse que ses parents viennent de Thionck-Essyl, son village d’origine, en Casamance. Il a vécu dans cette partie du Sénégal de son enfance jusqu’à l’obtention de son baccalauréat en 1984.
Son père étant infirmier des grandes endémies à l’époque, il a très tôt baigné dans un environnement scientifique et d’amour de la connaissance. « J’ai grandi dans ce milieu en Casamance », dit-il, la joie perceptible, malgré l’éloignement entre son lieu de naissance et son pays de cœur et de résidence depuis 39 ans. Le Professeur Jean Diatta a suivi son cycle moyen au collège René Coly de Bignona. Après, il est allé chez les Jésuites à Ziguinchor et a eu son baccalauréat au Collège Saint-Charles Louanga de Ziguinchor. « J’ai eu une éducation très bien assise avec les Jésuites canadiens. C’est vraiment un trésor. C’est une éducation que je ne regrette pas », confie-t-il. La rigueur acquise chez les jésuites au Sénégal l’a beaucoup aidé à son arrivée en Pologne. « L’école polonaise est dure, mais où l’on apprend beaucoup. Aujourd’hui, beaucoup de Sénégalais qui ont été formés en Pologne sont remarquables dans leur domaine », affirme-t-il, donnant l’exemple de l’homme politique et ancien ministre Malick Gakou. « C’est un ami intime à moi. Il y a beaucoup de professeurs qui ont fait la Pologne.
La formation est solide et de qualité. Les Sénégalais doivent explorer ces zones de l’Europe, surtout la Pologne qui a un grand potentiel ». Une université avec 7.000 étudiants et 700 enseignants Depuis 4 ans, le Professeur Diatta est chef du département d’agrochimie et de bio-géochimie environnementale. Ce département s’occupe de deux pôles fixes : l’agriculture et la protection de l’environnement. Le Pr Jean Diatta est fier de parler de l’Université de Poznań. « Mon université est une université complète avec six Facultés ». Il s’agit de la Faculté d’économie agricole et rurale, de la Faculté d’ingénierie, celle de l’ingénierie mécanique. L’université des Sciences naturelles de Poznań, qui est la première université dans son domaine, héberge aussi une Faculté d’agroforesterie et de technologie du bois « l’une des meilleures en Pologne », de même que la Faculté d’agronomie, d’horticulture et de biotechnologie. C’est de cette Faculté que dépend le département dirigé par le professeur Jean Diatta. C’est une grande Faculté, l’une des plus grandes.
L’université a aussi une Faculté de médecine vétérinaire et de biologie animale. Cette université qui était avant une école supérieure agricole et forestière jusqu’en 1951 est ainsi considérée comme la deuxième de Pologne. Elle compte 700 enseignants, dont plus de 100 professeurs titulaires ; 7.000 étudiants venant de plusieurs dizaines de nationalités, dont des Nigérians, Camerounais, Tanzaniens, Zimbabwéens. Avec l’obstacle de la langue, il y a plus d’étudiants des pays d’Afrique anglophone. Cependant, on compte une dizaine d’étudiants sénégalais actuellement dans cette université, d’après les responsables. Le Pr Diatta, cheveux poivre et sel, très dynamique et qui porte bien ses 61 ans, pense que l’Afrique peut ainsi profiter des compétences de cette université qui collabore avec beaucoup d’institutions et de pays pour la réalisation de projets. « Nous avons des axes dirigés vers la technologie alimentaire. En Afrique, 60% des produits agricoles sont malheureusement perdus ; mais les secteurs de la transformation et de la conservation sont très développés ici. Dans notre université, nous travaillons très bien dans ces domaines de la conservation et de la transformation avec la Faculté de technologie alimentaire », explique le Professeur sénégalo-polonais. Le partage d’expériences entre la Pologne et le Sénégal intéresse beaucoup le Professeur Jean Diatta.
Pour lui, la Pologne peut être un exemple pour l’Afrique, car étant « un pays qui a construit, à genou, avec ses propres mains, pour sortir des difficultés, se développer et devenir une référence dans plusieurs domaines ». Même s’il vit à des milliers de kilomètres du Sénégal, un échange de quelques minutes avec lui renseigne sur sa volonté de voir son pays de naissance atteindre l’émergence. C’est une passion qui l’anime. Dans cette dynamique, il a eu à collaborer avec les autorités sénégalaises grâce à un projet que son université développe depuis presque 5 à 6 ans dans les domaines de l’éducation et de l’hydraulique.