Capitale sénégalaise et carrefour de multiples destins, Dakar voit affluer chaque jour des femmes venues du Mali, du Niger ou de l’intérieur du pays. Entre mendicité et petits commerces de survie, elles racontent ; parfois à demi-mot, parfois en silence, l’exil, la faim et l’espoir d’offrir un avenir meilleur à leurs enfants.
Sur l’avenue Bourguiba, des femmes, hijab enveloppant le corps, font face aux interminables lignes de voitures qui défilent sous leurs yeux. Impossible de ne pas remarquer le visage de ces femmes de nationalités différentes accompagnées d’enfants. Aminata, une malienne, qui sait seulement donner son nom en wolof, informe tant bien que mal qu’elle est « bambado ».
Des mouchoirs dans un sachet bleu et un sac d’écolier dans l’autre main, elle confirme par un acquiescement de la tête les vendre à 500 FCfa. Couverte d’un mini hijab blanc, elle guette sa fille du regard. Celle-ci, Mamintou se plaît à observer les voitures et les passants dans un grand bonheur enfantin. Toute souriante, la mère saisit un bras de sa fillette et poursuit son chemin sous le soleil du vendredi 29 août 2025. Contrairement à Aminata, l’autre femme, assise sous un arbre, chapelet blanc en main, entourée d’un seau au couvercle rouge et de pots, ne comprend aucun mot en wolof ni en français. « Haousa, Haousa », « Niger » sont les seuls mots qu’elle a communiqués à part sa réponse en arabe : « Que la paix soit avec vous ».
Dès lors, le recours à un interprète s’impose afin de connaître l’histoire de cette jeune nigérienne si absente de la place où elle s’asseoit. Parfois, on l’aperçoit somnoler malgré le vrombissement des voitures. Le lendemain, l’interprète, Ramatou Abdourahamane Gali Adam, doctorante en science juridique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), vient à sa rencontre.
À son tour, elle tente de percer le mystère, l’histoire de cette jeune femme haoussa. Un petit garçon agitait entre les mains, c’est sous des sourires tristes qu’elle répond aux salutations de Ramatou. L’enfant commence à pleurer et la mère tente en vain de le calmer. Il refuse même de téter le sein. L’interprète lui explique qu’elle souhaiterait lui poser quelques questions.
Dans un premier temps, elle accepte. Mais à la première question, elle refuse de donner son nom. À la deuxième question permettant de connaître son âge, elle lui répond 27 ans. Elle soulève ainsi un doute, car elle paraissait avoir entre dix-huit et vingt ans. À une question de curiosité qu’on lui pose sur le nombre de ses enfants, elle se tait et refuse de répondre à travers un silence pesant. À partir de cet instant, elle refuse toute communication malgré maintes tentatives de l’interprète pour la rassurer. Ramatou lui a même montré une vidéo de déguerpissement qui a eu lieu au tunnel du pont « Dioutiba » de Rufisque. L’on aperçoit ainsi des larmes au coin de ses yeux. Tenant toujours l’enfant en pleurs, elle a l’air d’une personne qui veut être laissée se noyer dans ses propres peines.
« Partons, elle ne veut pas parler », dit l’interprète. En partant, cette dernière prononce des mots vibrants en haoussa qui font dire des « Ameen » à la jeune femme, la tête en hijab vert penchée sur l’enfant.
Nourrir sa famille, un motif de mendicité
De la pharmacie Baobab où est assise cette dernière, l’on prolonge l’avenue Bourguiba jusqu’au croisement Casino. Après, le tracé du Brt, des mendiants sont assis sous un arbre, entourés de petites filles de deux à trois ans. Ces dernières viennent à notre rencontre dans l’espoir d’obtenir une pièce. Mais à la place, une discussion s’engage, l’une d’elles qui parle wolof dit s’appeler Mariama. Les autres donnent leur nom en haoussa et continuent de discuter avec l’interprète. Mariama est en réalité une sénégalaise, tout comme sa mère assise sur un sachet de riz où sont allongés deux jumeaux. Les mains en l’air, ils sont en plein jeu de bambins joyeux. Tout en soulevant un des jumeaux et le déposant sur ses genoux, Dibor Guèye dit être originaire de Diourbel. Elle dit venir mendier à Dakar pour les besoins de ses enfants, particulièrement les jumeaux.
D’ailleurs, avant de discuter avec Dibor, deux femmes nigériennes, Zeytouna Badamassi et Mariama, trouvées sous le grand arbre, informent qu’elles partagent ce lieu de fortune avec des mendiants de toutes nationalités de la sous-région : Mali, Burkina Faso, Guinée…Et d’ailleurs des Sénégalais. Derrière elles, un homme fort âgé, observant ses jambes amaigries, est un mendiant sénégalais, renseignent-t-elle. De même qu’une femme âgée assise près de Dibor et de ses jumeaux. Visage éploré par la précarité d’une vie de mendicité, bien dégagé en gros plan par le hijab, la voix aigüe de Zeytouna Badamassi perce le bruit des moteurs des différents calibres de voitures qui attendent au feu rouge. D’un épanchement du cœur, elle raconte leur calvaire.
Zeytouna et Mariama ont effectué trois mois de voyage pour arriver au Sénégal parce qu’elles n’avaient pas de quoi payer un ticket de bus direct. Le voyage s’effectuait au moment où elles avaient de quoi payer le ticket d’un endroit à un autre jusqu’ici. Fatiguées de suivre la discussion, les filles se mettent à jouer non loin de l’arbre et du goudron sous le regard des passagers de bus, de taxis ou de particuliers. Les regards curieux se prolongent aussi sur les mendiantes et les deux jeunes femmes assises près d’elles et qui, en les faisant parler, déchaînent en elles toutes sortes de gestes et de sourires. Tantôt, les mains en l’air vers le ciel, tantôt autour des reins, Mariama, âgée de trente ans, en complicité avec Zeytouna confie : « Personne n’aimerait quitter sa famille pour rien au monde, ce sont les circonstances de la vie qui nous poussent à le faire et on prie le bon Dieu d’améliorer notre situation pour que ça soit la première et la dernière fois que nous partons à l’aventure ».
Puisque les hommes qui sont censés les nourrir et en prendre soin ne le peuvent pas, elles ont décidé de partir à l’aventure afin de sauver leur famille de la faim comme le font toutes les femmes de nos jours. Elles ne voulaient pas rester les bras croisés, précisent-elles. Originaires de la région de Magaria, elles avaient chacune, une activité économique peu rentable. Zeytouna vendait de la nourriture et vivait des bénéfices. Quant à Mariama, elle cultivait le mil, le haricot, l’arachide et le sorgho pour nourrir sa famille. Puisque l’agriculture est difficile, et qu’elle ne s’en sortait pas tellement, elle a décidé de tenter l’aventure de l’émigration. La précarité qu’elles vivaient et qu’elles continuent de vivre à Dakar est insupportable, mais elles s’en remettent à Dieu.