Des enfants talibés se promènent dans les rues de Dakar avec des QR codes. Le phénomène est à la mode.
Une photo devenue virale sur les réseaux sociaux, montre un enfant en situation de rue tendant un pot de mendicité. Collé dessus : un QR Code permettant un paiement via Wave. Rapidement, la scène presque surréaliste fait le tour des plateformes au point d’être évoqué par le premier ministre, Ousmane Sonko, lors de la randonnée pédestre pour les enfants. Le chef du gouvernement qualifie d’inacceptable la professionnalisation de la mendicité et les abus envers les enfants talibés.
Dans une société sénégalaise en pleine digitalisation, où des marchés au Taxi, le cash disparait au profit des plateformes de paiements mobile comme Wave ou Orange Money, une question fuse alors : les mendiants s’adaptent-t-ils aussi au digital ? Vendredi, jour de prière, 11h50 au centre-ville de Dakar. Dans un premier temps, on ne les remarquerait presque pas tant ils se fondent dans le décor. Juste une bande de copains posée près d’une station-service du quartier de Sandaga, en plein cœur de Dakar. Et puis, on ne voit plus que ça : les contrefaçons « Gucci » trop grande aux pieds de l’un, le trou dans le pantalon de l’autre, les pots « chocopain » pour recevoir l’aumône suspendus à leurs bras.
À chaque passant, la bande se rapproche et demande de l’argent, repart bredouille ou non. À la grande surprise de ceux qui disent ne pas avoir de cash, le groupe se retourne vers l’un d’eux, Diallo, qui sort rapidement de sa poche un téléphone. Pas de cash ? Pas de problème, il a Wave dans son smartphone noir. « Quand la personne veut vraiment faire de l’aumône mais qu’elle n’a pas de monnaie, je lui passe mon QR Code », révèle le petit.
Diallo, enfant talibé, fait partie des milliers d’enfants-mendiants que compte à elle-seule la ville de Dakar. À 9 ans, il a quitté sa Gambie natale pour entrer dans un daara de Ben Barack. Aujourd’hui, il a 16 ans et n’a jamais revu ses parents. Tous les jours, il commence à mendier dès 06h du matin et doit verser à son maître coranique 550 FCfa par jour (1.100 FCfa les jours de prières). « J’ai installé Wave pour y garder mon argent. Je peux y épargner 11.000 FCfa par mois. J’ai acheté mon téléphone à 20.000 FCfa avec mes économies », ajoute Diallo.
12h 18. Sur la route qui mène au marché Sandaga, ce sont d’abord les odeurs qui frappent. On devine avant même de le voir, le commerçant qui cuisine des sandwiches à base d’œuf et de pomme de terre. Deux nourrissons dorment sur un pagne à côté de l’échoppe de leur mère, semblable à toutes celles de ce quartier animé de Dakar. C’est ici qu’Ousmane se promène. Il a l’air timide et semble vouloir disparaitre dans son long t-shirt bleu. Son air morose contraste avec le jaune couleur soleil de ses sandales. Avec son regard sérieux et sa grande taille, on lui donnerait quelques années de plus. Pourtant, lui aussi talibé, n’a que 12 ans. 12 ans seulement. Mais il se promène seul dans ce brouhaha au centre-ville. « Je reçois souvent l’aumône via Wave. J’ai l’application depuis la fête de Korité.
Il affiche fièrement son butin, 2 000 FCfa
C’est pratique pour recevoir l’aumône », confie le talibé. Plus la journée est pieuse, plus les passants sont généreux. Les vendredis et les journées de fêtes religieuses sont les plus « rentables » pour mendier puisque dans l’Islam, donner l’aumône – la sadaqa – est un acte recommandé. Les passants le savent, les enfants et les marabouts aussi. Ces derniers, plus exigeants, réclament plus d’argent de la part des talibés en ces jours sacrés. « C’est pratique aussi pour la monnaie. Quand quelqu’un veut donner mais qu’il n’a pas d’échange, il peut scanner le Qr Code », indique Ousmane. Cet argent lui permet aussi de compléter le montant qu’il doit verser à son marabout quand il ne parvient pas à récolter les 1.000 francs attendus après une journée de mendicité.
Aujourd’hui, il a commencé à 9h. Et pas de bol, il a oublié son portable. Vendredi, jour de prière, 12h40. Aliou est haut comme trois pommes et s’exprime comme tous les enfants de 12 ans. Sa voix perchée n’a pas encore mué et sa concentration se porte sur tout ce qui l’entoure : les sirènes de l’ambulance qui passent, ses amis qui jouent à quelques mètres de lui. Tous les matins, il quitte son « daara » de Pikine pour venir mendier près du marché Sandaga. Originaire de Dara Djoloff, le téléphone, qu’il cache au marabout, est un cadeau de sa mère. « Ma mère m’a envoyé ce portable pour que l’on puisse garder le contact cependant, je l’utilise également pour y recevoir mon aumône », confie Aliou.
Un vendeur ambulant, s’étonne de le voir brandir une application de paiement mobile mais Aliou n’écoute pas sa remarque. Il est fier de sa récolte. Comment ne pas l’être ? Il n’est pas 13h et il a déjà réuni le montant journalier attendu par son maitre coranique. L’après-midi s’annonce plus détendu. Même si le cash reste le premier réflexe, Wave semble s’imposer dans la rue où dès 12 ans, certains jeunes possèdent un compte. Dans un monde connecté, la mendicité, elle aussi se digitalise.
Par Djenny Malaika CIFENDE (Stagiaire)