Inor est perdu au fin fond de la forêt casamançaise. Cette commune du département de Bounkiling est très enclavée avec une seule piste qui relie le chef-lieu de la commune à Kegneto sur la route nationale n°4. Populations, autorités locales et religieux appellent à son désenclavement pour mieux tirer profit du potentiel agricole et halieutique dont regorge cette municipalité de 34 villages.
À l’entrée d’Inor, au bord de la route en latérite, l’imam Ibrahima Camara est assis à l’ombre d’un grand arbre, si géant que certaines branches touchent presque le sol. L’imam de Inor observe fièrement les jeunes qui s’activent dans son champ d’arachide. Ils sont tous en sueur après des heures de dur labeur. Dans cette contrée du département de Bounkiling, c’est la période des récoltes en ce mois de novembre. L’agriculture est l’une des principales activités dans la zone, confie l’imam.
D’un débit très lent, l’imam Ibrahima Camara, égrenant un chapelet, les cheveux poivre et sel, parle doucement. Il faut s’approcher de lui pour entendre quelques mots. À cela s’ajoute son wolof peu assimilé. Pourtant, il avait fait la précision dès le départ. « Je ne parle pas un bon wolof », avait-il dit d’emblée. Cela se comprend : Ibrahima Camara est Socé, l’ethnie majoritaire à Inor, où l’on retrouve aussi des Peuls, des Balantes, des Sarahoulés et des Diolas. En plus de son titre d’imam, Ibrahima Camara est aussi un agriculteur.
Cette activité est sa principale source de revenus, mais aussi celle de toute la population de la contrée d’Inor. Cependant, Lamine Faty, assis à côté de l’imam, déplore le manque de moyens pour exploiter tout le potentiel agricole de la zone. Un chapeau bleu bien vissé sur la tête, M. Faty rappelle que les populations de la zone utilisent toujours des méthodes rudimentaires pour pratiquer l’agriculture. Dans toute la commune d’Inor, composée de 34 villages, il n’y a qu’un seul tracteur, précise-t-il. C’est pourquoi les grands producteurs comme l’imam Camara perdent beaucoup de temps avant d’avoir accès à cet engin, ce qui impacte souvent les rendements.
C’est pourquoi Alioune Badara Sadia Mané, agriculteur, invite l’État à investir massivement dans le matériel agricole s’il veut atteindre la souveraineté alimentaire. Selon lui, la Casamance, et particulièrement une zone comme Inor, peut largement contribuer à cet objectif. Cela passera par la mise à disposition des agriculteurs de matériel agricole, de semences suffisantes, mais aussi d’engrais.
Parlant des semences et des engrais, l’imam Ibrahima Camara se réjouit de voir qu’il y a une évolution notée cette année. Même si la quantité distribuée par le nouveau régime reste « encore insuffisante », il note qu’il y a un léger mieux. « Cette année, nous avons une très bonne saison. Les récoltes sont assez bonnes. Je ne peux pas dire que cela est lié à la qualité de l’engrais distribué ou aux semences, mais nous avons de bonnes récoltes », se réjouit Mamadou Lamine Diémé, chef du village de Bissary Niosson.
« C’est l’accompagnement qui nous manque »
Le maire d’Inor, Kéba Traoré, se félicite de la visite du ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage à Inor cette année. D’après le maire, Mabouba Diagne a été à Kandialon pour visiter le champ du guide religieux de ce village, l’un des plus grands producteurs de la commune. Sur place, le ministre a échangé avec les producteurs et les autorités locales sur les défis et opportunités agricoles du département de Bounkiling, mais aussi de toute la région de Sédhiou.
« Il était vraiment satisfait de ce qu’il a vu. Les doléances que nous avons posées au ministre sont les mêmes que celles exprimées par la population », informe M. Traoré. Celui-ci rappelle que la commune d’Inor dispose de terres et d’espace pour pratiquer l’agriculture. Malheureusement, il regrette que rien n’ait évolué, car c’est toujours une agriculture archaïque qui est pratiquée dans cette commune. « Si nous avons du matériel agricole, nous allons produire de manière optimale, parce que nous avons de la terre et de l’eau. C’est l’accompagnement qui nous manque. Nous demandons cela à l’État », plaide le maire.
Le matériel agricole est aussi la doléance exprimée par Souleymane Badji, habitant d’Inor. Selon ce jeune, tant que les populations ne disposeront pas de matériel agricole de dernière génération, le potentiel agricole de la commune restera sous-exploité. Malgré ce potentiel, avec des sols très favorables à l’agriculture, des jeunes désertent la zone pour rejoindre les centres urbains comme Dakar. D’autres empruntent des pirogues de fortune pour tenter d’atteindre l’Europe. « Si nous avons l’accompagnement de l’État, aucun jeune de la commune n’aura besoin de quitter le terroir pour aller ailleurs à la recherche d’emploi. Nous pouvons vivre de l’agriculture et même nourrir une bonne partie de la population sénégalaise », explique Souleymane Badji.
Avec l’accompagnement nécessaire, l’agriculture pourrait être pratiquée pendant les 12 mois de l’année à Inor. Aujourd’hui, informe Lamine Faty, la population ne cultive que pendant l’hivernage. Tout le reste de l’année, les jeunes restent à ne rien faire. Cela constitue une perte énorme pour les populations, qui pourraient pratiquer le maraîchage après la saison des pluies. « Si tu n’as pas de moyens, tu ne peux pas faire de maraîchage dans cette zone. Cela demande beaucoup de moyens, et nous n’en avons pas », regrette Lamine Faty.
34 villages, 5 électrifiés
À ce rythme, la commune de Inor sera l’une des dernières communes au Sénégal à réussir le pari de l’électrification universelle. Avec ses 34 villages et 4 hameaux, seuls 5 villages disposent actuellement de l’électricité. Tout le reste de la commune demeure dans l’obscurité, au cœur de la verte Casamance.
De 1960 à 2022, seuls trois villages de la commune étaient électrifiés. Ce n’est qu’après 2022 que deux autres villages ont bénéficié de l’électricité, portant ainsi le total à cinq. Cette progression reste insuffisante, selon le maire Kéba Traoré, alors que les besoins des populations s’amplifient. Beaucoup de villageois doivent parcourir plusieurs kilomètres pour recharger leurs téléphones portables.
« On ne peut pas se développer sans être désenclavée »
Le maire de Inor, Kéba Traoré, plaide pour un programme spécial afin de sortir la commune de son enclavement et des ténèbres.
Une piste en latérite relie la commune de Inor à la route nationale numéro 4. « C’est la seule route de la commune de Inor composée de 34 villages et de 4 hameaux », précise le maire Kéba Traoré. Malgré le potentiel agricole, cette localité reste enclavée. Beaucoup de villages sont inaccessibles pendant l’hivernage, ce qui freine la circulation des populations surtout en cette période. La piste, réhabilitée en 2022 dans le cadre du projet de réhabilitation de la RN4, est praticable de Kegneto jusqu’à Kandialon. À partir de Kandialon, c’est le parcours du combattant pour accéder aux autres villages de la commune.
« Nous avons un déficit de pistes de production. On ne peut pas se développer sans être désenclavé. Le développement et le désenclavement vont de pair. Notre gros souci, c’est le désenclavement. Les villages sont très enclavés. Tous les villages qui sont vers la frontière n’ont pas de piste de production », rappelle l’édile de la commune. Pourtant, les plus grands producteurs et éleveurs de la commune se trouvent dans cette partie frontalière. Malheureusement, ils n’ont pas de pistes pour écouler leurs produits vers les grands centres urbains de la Casamance.
Selon le maire, Inor est une zone de pêche avec six villages situés sur le littoral. Mais pendant l’hivernage, les pêcheurs ne peuvent pas écouler leurs produits halieutiques à cause de l’état de la route. « Pendant l’hivernage, il faut payer 5.000 FCFA pour sortir, là où le prix est de 500 FCFA habituellement », regrette Kéba Traoré. « Nous sollicitons le gouvernement pour qu’il puisse nous venir en aide sur les problèmes de pistes de production », ajoute-t-il. Il réclame un programme spécial pour régler les problèmes de la commune.
Des inondations aggravées par l’état des infrastructures
L’autre difficulté engendrée par cette piste de production est liée aux inondations. L’imam de Inor, Ibrahima Camara, révèle que beaucoup de maisons du chef-lieu de la commune ont été inondées cette année, car il n’y a pas de canal pour évacuer les eaux, une conséquence de l’élévation de la piste rurale. Ce constat est confirmé par le maire.
Kéba Traoré indique que les travaux de canalisation n’ont pas pu être terminés. Il a même interpellé le chef de l’environnement du projet, mais les canalisations ne pouvaient plus être faites pendant l’hivernage. Il a fallu attendre la fin de la saison des pluies avant de terminer les travaux. Ce retard a eu des conséquences notables. « Beaucoup de bâtiments sont tombés parce qu’il n’y a pas de canalisation pour évacuer les eaux. Le 14 novembre dernier, un bâtiment s’est effondré », regrette le maire.
Toutefois, la municipalité a recensé tous les bâtiments qui se sont effondrés à cause de l’absence de canalisation après la construction de la piste de Inor. Une correspondance a été adressée au sous-préfet de Bona, avec des vidéos à l’appui et les noms, prénoms et adresses des sinistrés.
Kéba Traoré rappelle que ces inondations n’avaient jamais existé à Inor avant la réhabilitation de cette route. « La route est un peu élevée. Dans les parties où il y a de la canalisation, il n’y a pas ce problème », renchérit le maire.
Par Aliou Ngamby NDIAYE