C’est l’une des méthodes les plus utilisées au Sénégal pour épargner de l’argent, notamment pour les acteurs de l’économie informelle. Au marché central aux poissons de Pikine, dans la banlieue dakaroise, chacun y va avec ses revenus, afin de se faire des économies sur le long ou le moyen terme.
Lieu de négoce, le marché central aux poissons regroupe en majorité des acteurs de l’économie informelle, notamment des pêcheurs, mareyeurs, vendeurs de poissons, de légumes, des caristes… Bien qu’étant dans des activités généralement libres, ces derniers restent organisés et ne dépensent pas toutes les ressources qu’ils gagnent au quotidien.
Ils mettent de côté une partie de leurs bénéfices pour régler leurs besoins futurs ou investir dans des projets personnels sans faire recours à un prêt bancaire.
« J’ai opté pour les tontines afin de pouvoir épargner de l’argent. Chaque jour, je verse de l’argent au gestionnaire et à la fin du mois, il me donne le montant épargné. Il n’y a pas de montant fixe. Chaque membre épargne en fonction de ses revenus. Cet argent nous permet de gérer nos besoins, notamment en cas d’urgence », confie Fatou Faye, vendeuse de friandises au marché aux poissons.
Cette dame, la cinquantaine, assise sous l’un des grands hangars en tôle qui ornent le marché, essaie de temps en temps d’essuyer sa marchandise couverte de poussière, à cause des travaux de voirie en cours sur place.
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Au-delà de cette tontine au marché, Mère Faye cotise mensuellement 5000 francs CFA chez elle. « C’est juste en famille et celui dont le nom est tiré au sort a 150 mille francs CFA. Je n’utilise pas de coffre pour épargner et je n’ai pas confiance aux plateformes numériques pour garder de l’argent. J’ai été une fois arnaquée et on m’a soutiré 40 000 f CFA sur mon compte. Et jamais, au plus grand jamais, je ne garderai mon argent sur ces plateformes. Même si on m’y envoie de l’argent, je le retire aussitôt », dit-elle toute souriante.
Contrairement à Fatou Faye, Modou lui, garde son argent via les plateformes de mobile money en dehors des tontines. « J’épargne de l’argent via mon compte Orange Money. Je préfère ces plateformes aux banques. Parce que les procédures sont plus simplifiées si on peut retirer son argent, notamment en cas d’urgence », avoue-t-il, en montrant son téléphone, un petit appareil Techno noir, pas du tout smart.
En réalité, ce mareyeur reconnait que ce sont les tontines qui les « sauvent ». Parce que le commerce ici n’est pas une activité stable. Il peut y avoir souvent des tensions à cause de la rareté des ressources halieutiques.
« Aujourd’hui, on peut vendre et faire des bénéfices et demain enregistrer des pertes. Donc, ces épargnes nous permettent de nous en sortir. Donc, si on a par exemple 10 mille francs de bénéfice, on peut épargner les 2000. Mais, il y a des gens qui épargnent plus ici. Certains cotisent au quotidien dans les tontines entre 5000 et 15 000 et parfois même plus », explique-t-il.
Si Mère Faye et Modou arrivent à épargner au quotidien malgré la conjoncture, tel n’est pas le cas pour, Adja, une jeune dame dans la trentaine, vendeuse de poulets de chair au sein de ce marché. Assise sous ce chaud soleil, ses poulets étalés sur un plateau, elle se plaint de la rareté de la clientèle.
Quand la conjoncture freine l’épargne
« Les temps sont durs mais on essaie de joindre les deux bouts afin d’épargner quelque chose. Je suis membre d’une tontine trimestrielle. On cotise chaque jour 1000 francs CFA au minimum et au bout des trois mois, chacun prend son argent en fonction de ce qu’il épargnait au quotidien. Il y a des gens qui se retrouvent avec 100 000 et d’autres avec 200 000 francs ou plus. Au-delà de cette tontine, je n’épargne rien, car je ne fais pas assez de bénéfices pour me le permettre », a-t-elle affirmé le regard fixe.
« Notre business est presque à l’agonie. Donc, comment pourrions-nous épargner un centime ? Les temps sont trop durs. Nous sollicitons l’intervention de l’État pour que nos activités puissent décoller afin de subvenir aux besoins des populations », renchérit Khady Diagne.
Installée à quelques pas d’Adji, cette mareyeuse affirme aussi que le marché est difficile ces temps-ci. « On peut venir ici, de 8 h à 12 h, avant même d’apercevoir un client. Les rares qui viennent ne font que marchander au point que parfois, on a envie de leur laisser les clés de nos conteneurs et s’enfuir. Parce que les temps sont durs pour tout le monde et en tant que parent et soutien de famille, cela nous fait mal de voir un parent qui se lamente parce qu’il n’a pas quelque chose pour nourrir ses enfants », narre-t-elle la gorge serrée.
Donc, actuellement, poursuit cette veuve, elle ne peut « rien épargner ». Or, il y a quelques années, elle a construit sa maison grâce à l’argent des tontines.
« Ici, au niveau du marché, on cotisait chaque jour 3000 francs et tous les 5 jours, on le donnait à quelqu’un qui gagnait un million de francs CFA. Et personnellement, j’assure cinq cotisations au quotidien avec cette tontine. Et c’est grâce à ces épargnes que j’ai pu construire ma maison sans faire un prêt à la banque », raconte-t-elle d’un air nostalgique.
Mariama DIEME


