Paradisiaques ! Elles le sont. Les îles, ces terres bénies par la nature. On y respire de l’air pur. On y mange du poisson frais, à défaut de les vendre pour avoir des ressources. Cependant, d’Eloubaline à Saloulou, en passant par Cachouane et Haër, les habitants constatent, au fil des années, l’avancée fulgurante de la mer et craignent le pire. Ces insulaires qui vivent loin du bruit et de la pollution des centres urbains, sont confrontés aux évacuations sanitaires d’urgence et restent vulnérables aux changements climatiques. Vivre dans les îles, est à la fois un luxe et un pari risqué.
ZIGUINCHOR- Derrière des forêts drues de palétuviers du village de Kameubeul, on retrouve Eloubaline ou Eloubalire, une île difficile d’accès. Située dans la commune d’Oukout, à l’autre bout de la capitale départementale du Kassa (Oussouye), cette localité d’un enclavement sans précédent est habitée par des populations qui vivent avec dignité. Pour s’y rendre, il faut, à partir de la terre ferme, dans la commune d’Enampore, s’attacher les services d’un bon piroguier car, des fois, le fleuve est très agité. Le samedi 8 mars, nous avons tenté cette expérience pour la première fois. On a foulé les berges du fleuve Casamance vers 10 heures et sur place, en attendant l’arrivée du piroguier Idrissa Bassène, on en profite pour contempler la belle forêt de mangroves.
Dix minutes plus tard, l’embarcation du jeune est à quai. C’est l’heure de la traversée vers l’île d’Eloubaline. A bord, il y a des habitants du village de Djifanghor, dans la commune Niaguis. « C’est parti. On va bientôt accoster. Ça ne sera pas long du tout », renseigne le jeune piroguier Idrissa Bassène qui nous rappelle que la traversée dure 20 à 30 minutes. Dans la barque, seul moyen pour rallier Eloubaline, il y a un calme absolu. Tous, pensifs, se souviennent peut-être du chavirement qui a eu lieu en 2019, sur le même trajet. Cet accident avait fait 8 morts et 24 rescapés. Heureusement que pour cette matinée, le fleuve était tranquille, la marée basse.
A notre gauche, sur la partie qui mène à la Pointe Saint-Georges et Djiramaït (Oussouye), on dépasse une jeune demoiselle de teint noir. Assise seule dans son embarcation de fortune, elle cueille des huîtres. On progresse sereinement. Eloubaline se laisse découvrir un peu plus, même si on a l’impression que la traversée dure une éternité. Plus de 30 minutes après, nous voici dans cette île dont on entendait parler depuis plusieurs décennies, grâce au talent d’une de leur ancienne équipe de football. Au débarcadère, une rive pleine de cailloux et de morceaux de coquillage accueille le visiteur. La végétation de mangroves est luxuriante. On découvre également une population majoritairement de teint clair. Bienvenue à Eloubaline, antre de l’enfant chéri Djignabo Bassène, parrain depuis 1964, du plus grand lycée de la commune de Ziguinchor.
Les craintes d’une disparition imminente
Village traditionnel, Eloubaline conserve jalousement les vestiges du passé. Ici, toutes les constructions sont identiques. On y trouve toujours des maisons en paille et banco. C’est ce qui fait le charme de cette petite bourgade qui s’ouvre sur les bolongs. Bâtie sur une superficie de 12 km², l’île est peuplée de 300 habitants pour 55 ménages. Elle est limitée au nord par Enampore, royaume du défunt roi Affilédio Manga, à l’Est par le village de Kameubeul, au Sud par Kaléane et à l’Ouest par les bourgs de Edioungou et Djivente. Loin de la terre ferme, les populations disent y vivre paisiblement. Le climat y est doux et généreux mais en dépit de cela, elles craignent le pire.
Chef de village d’Eloubaline depuis 2010, Victor A. Bassène affirme que leur localité pourrait disparaître du jour au lendemain. Pendant la saison des pluies, entre août et septembre, une crue envahit les maisons, et Eloubaline vit avec des inondations. Durant cette période, leur cimetière mixte devient inaccessible. Face à la persistance de ce fléau, les insulaires qui vivent de pêche et de culture du riz, sollicitent l’appui de l’État et de ses partenaires. « Nous avons de l’eau potable, parce qu’on a été raccordés au forage d’Eyoune (Siganar et Carounate). Mais, notre plus gros problème, c’est l’avancée de la langue salée, avec des conséquences incommensurables, avec la perte de beaucoup de nos rizières. Sur l’île, tout est salé et on ne peut pas y développer l’horticulture », regrette Victor Bassène.
Regard lointain, le chef de village pensif, soutient que les habitants pourront être contraints d’abandonner leur île, si rien n’est fait pour protéger les maisons et les rizières. De plus, M. Bassène indique que tous les villageois le savent. « On demande qu’une seule chose à l’État : nous aider à désenclaver notre village. On peut marcher dans les mangroves pour sortir au pont de Niambalang. C’est dans cette partie-là que nous voulons construire une digue car, sans cela, le village disparaitra un jour. Nous avons de l’eau, en plus d’une mini centrale solaire qui alimente le village en électricité. Maintenant, le seul gros problème, c’est le désenclavement qui va nous permettre de maintenir notre village debout », renchérit Victor Bassène.
A Eloubaline, les populations sont au front pour lutter efficacement contre l’érosion côtière qui anéantit tout espoir de développement. Elles s’organisent pour freiner l’avancée de la mer avec les moyens dont ils disposent. Cela passe par la construction d’une digue devant permettre de repousser la remontée saline et ses effets négatifs. Selon le chef de village, tout le monde est mobilisé autour de cet enjeu majeur.
Focus territoire : Freiner l’avancée de la mer par les bras

« Dans le passé, nous avions essayé, mais par la suite, on s’est rendu compte qu’il était impossible, avec nos mains, de relever une digue. Il ne pleut plus comme avant et à cause de l’effet du sel, la digue peut s’affaisser très rapidement. Si ne nous ne réalisons pas ce projet, l’île pourrait être engloutie par les eaux », poursuit le chef de village. Les jeunes du village ne sont pas en reste. Conscients du fait qu’ils sont la boussole de ce vieux et petit village, ils s’investissent à fond. De l’avis de William Bassène, président de l’Association sportive et culturelle (Asc), qui compte plus de 100 membres, l’avenir du village est entre les mains de sa jeunesse. « Les jeunes de ce village luttent contre l’avancée de la mer, qui affecte pratiquement toutes les îles de la Basse-Casamance », renseigne William Bassène. Tout comme son chef, le jeune promoteur touristique souligne l’impérieuse nécessité de travailler à réaliser une digue pour sauver et protéger l’île contre ce fléau.
Pour réussir ce pari, une cotisation a été fixée ; Tout villageois, âgé de 18 ans, doit impérativement donner 2500 FCfa et un comité a été mis en place pour veiller sur l’effectivité des cotisations. « Nous lançons un appel aux autorités étatiques pour qu’elles nous aide à sauver notre île. On se demande où est-ce qu’on pourra trouver refuge si cette île venait à être avalée par les eaux. C’est la plus grande inquiétude », affirme William Bassène, qui dirige l’Asc Eloubaline depuis 2015. Île à double identité, car culturellement rattachée au royaume du « Mof Avi », et administrativement reliée à la commune de Oukout, Eloubaline continue de vivre dans la dignité, tout en tendant la main à l’État du Sénégal, qui pourra l’aider à protéger ses terres et ses maisons.
Carabane la « sainte » vit des heures sombres
Elle a un pied dans l’embouchure du fleuve Casamance et ses nombreux cocotiers, qui donnent sur la plage, ont fait d’elle un endroit paisible, avec un climat doux et agréable. Carabane ! Île mémoire et pleine d’histoires. En Basse-Casamance, on peut affirmer que cette île fût le bastion du colon, déterminé dans le temps, à faire accepter sa culture et sa religion aux autochtones. Pour se rendre dans ce premier comptoir colonial français en Casamance, qui abrite la tombe du capitaine Protêt, enterré debout, dit-on, il faut passer par le village d’Elinkine, dans le département d’Oussouye, commune de Mlomp. A l’image des autres localités insulaires, Carabane n’est accessible que par pirogue. La traversée peut durer plus de 30 minutes.
De loin, même à partir d’Elinkine, on aperçoit cette île. Sur place, l’on découvre un site avec ses bâtiments qui datent de la période coloniale. Au-delà d’être la première capitale administrative, cette île qui abrita la première cabine téléphonique, et la première église de la Casamance inaugurée 1897, n’échappe pas à la furie des vagues. D’une superficie totale de 57 km2, l’île, qui fait face à la pointe de Diogué, dans la commune de Kafountine, département de Bignona, à un peu plus de 500 km de Dakar dispose de toutes les potentialités pour amorcer son processus de développement économique. Mais, au quotidien, elle fait face à la menace de l’érosion côtière qui plombe son essor économique, avec des vagues, qui emportent tout espoir d’épanouissement des populations.
Diembéring, une commune vulnérable
Commune essentiellement littorale, Diembéring vit au rythme de l’avancée de la mer. Au mois de juin 2019, lors de la célébration de la journée mondiale de l’environnement, l’ancien maire de la commune Tombon Guèye avait invité l’État à apporter des solutions à l’érosion côtière qui « menace fortement » l’existence de ladite municipalité. Mais, jusque-là, rien, disait-il. « Nous sommes une localité essentiellement littorale. La vitesse de décapage de notre côte est tout à fait inquiétante, parce qu’il y a des endroits, où nous notons une vitesse de 3m par an », avait souligné le prédécesseur de l’actuel maire Léopold Abba Diatta.
Spécialiste des questions environnementales, Tombon Guèye avait indiqué que la côte, qui s’étale de Kabrousse à Nikine, et distante de plus de 25 km, mérite une attention particulière de la part des autorités étatiques. Dans cette zone, a-t-il soutenu, l’avancée de la mer menace également la survie des hôtels, qui pour la plupart, sont en train de fermer, en plus des rizières déjà envahies par la mer. Nikine, un village qui fait face à l’île de Diogué, accessible à partir de Carabane, connait aussi une érosion côtière, depuis plusieurs décennies. Ce hameau, qui s’ouvre sur l’océan Atlantique, est sans protection. Quand le vent souffle, les arbres, notamment les filaos, tombent. La mer en profite pour avancer vers les rizières et les habitations. Les « Nikinois », eux, continuent d’implorer le Tout-Puissant pour qu’Il veille sur leur village, en attendant, peut-être, qu’un jour, l’État du Sénégal et ses partenaires puissent penser à la zone et apporter un salut majeur aux générations actuelles et futures.
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Par Gaustin Diatta (Correspondant)