Les îles de la Basse-Casamance offrent le même charme à tout visiteur qui y débarque pour la première fois. Mais, elles n’ont pas forcément les mêmes difficultés. A l’île Eloubaline, les habitants, qui ont de l’eau douce, sont plutôt préoccupés par le désenclavement de leur village. Alors qu’à Haër, dans la commune de Kafountine (Bignona), les populations sont confrontées à l’épineuse équation de l’évacuation des malades. Ici, renseigne Dr Chérif Samsidine Sarr, coordonnateur du Réseau des îles de la Basse-Casamance, il est très difficile de régler la question des urgences sanitaires, parce que la seule pirogue qui permettait de transporter les malades est tombée en panne.
« Sur cette île, les populations n’avaient qu’une seule pirogue. Celle-ci faisait la navette entre la terre ferme et l’île, mais, le chef de village nous a contactés pour nous faire savoir qu’elle était en panne. Actuellement, à Haër, il n’existe pas de moyen d’évacuation des malades et c’est très difficile », déplore le Dr Sarr, enfant de Carabane. Il souligne qu’une solution doit être trouvée au plus vite, afin de garantir aux populations le droit à une prise en charge sanitaire de qualité.
« Aujourd’hui, si une personne est malade, et que son traitement nécessite une évacuation vers les autres structures sanitaires du département ou de la région de Ziguinchor, elle peut mourir. Cet enclavement sanitaire doit être résolu pour soulager les habitants », insiste-t-il, invitant l’État à accorder « une attention particulière » à ces îles de la Basse-Casamance. Le Dr Samsidine Sarr ajoute que la panne de la pirogue constitue un obstacle à l’écoulement des produits transformés par les femmes.
Ourong et ses ossements humains à ciel ouvert
Si Eloubaline est sur le point d’être engloutie par les eaux, une partie de l’île de Oudong se trouve déjà dans l’Atlantique depuis 2023. Cette année-là, les eaux ont envahi le cimetière, touchant le cœur des habitants de cet îlot, situé dans la commune de Diémbéring, non loin de Djissor. Les images de ce lieu sacré filmées lors d’une visite guidée par des médias locaux, notamment le site d’informations K7 Tv, sont bouleversantes. L’eau a réussi à déterrer des corps laissant apercevoir des ossements humains. A chaque île sa spécificité et ses difficultés.
Ourong, voisine de l’île d’Ehidj, fait aussi face à la mer qui avance et l’inquiétude gagne du terrain. Laissées à elles-mêmes, les populations sont inconsolables. « Les années passées, on ramassait les restes de nos parents inhumés dans notre cimetière mixte », pleure Aliou Gomis. Habitant la localité qui se trouve à quelques jets de pierre de Katakalousse et de la route principale menant au Cap-Skiring, ce jeune fait le tour du cimetière tous les samedis pour ramasser les restes humains et les enterrer à nouveau. Il soutient que les tombes de ses tantes et grands-parents ont été absorbées par la mer, depuis des années, et depuis il en fait son activité quotidienne.
Premier adjoint au maire de la commune de Diembéring, Abdourahmane Diallo, n’en revenait pas. « Ce que nous voyons est vraiment triste. Ce sont les changements climatiques qui sont à l’origine de cette situation », déplore-t-il. Dans les îles de la Basse-Casamance, les habitants sont confrontés au supplice de à l’enclavement, à la salinisation des sols et au manque de moyens pour les évacuations sanitaires d’urgence. Outre Ourong, Cachouane l’île voisine de Djirouatou subit de plein-fouet les affres de l’érosion côtière.
Dans les années 1994-96, le premier adjoint au maire, Abdourahmane Diallo, se rendait très souvent à Cachouane où son grand frère et un de ses parents avaient implanté leurs boutiques, non loin de la plage. Aujourd’hui, relate-t-il, le constat est amer. « Tout a été englouti par les eaux. Mes parents ont été contraints de quitter pour aller s’installer à Oussouye », se désole le collaborateur du maire Léopold Abba Diatta. Notable à Cachouane, Ibrahima Diop rappelle que les îles sont vulnérables aux changements. C’est pourquoi, demande-t-il à l’État, de venir en aide à ces habitants qui ont eu la chance ou la malchance d’habiter dans ces zones à haut risque. « Les eaux ont arraché tous les palmiers et les arbres sur leur passage pour finir par le cimetière du village, dont une grande partie se trouve déjà sous les eaux. Nous vivons une situation catastrophique », larmoie M. Diop.
Dr Chérif Samsidine Sarr, géographe-environnementaliste : « On ne peut pas continuer à regarder l’eau emporter les tombeaux »
Géographe-environnementaliste, et coordonnateur du Réseau des îles de la Basse-Casamance, le Dr Chérif Samsidine Sarr s’intéresse aux questions de vulnérabilité au niveau du littoral. Dans cette interview il décrit le supplice que vivent les insulaires et lance un appel à l’État à qui il suggère de concocter un plan d’aménagement spécifique, pour ces îles afin d’atténuer les souffrances.
Les changements climatiques sont devenus inéluctables et les habitants des îles en souffrent. Selon vous, pourquoi ces territoires présentent un taux de vulnérabilité élevé ?
Les îles de la Basse-Casamance sont des milieux assez particuliers qui ont une vulnérabilité spécifique qu’on ne retrouve pas dans tout le territoire. Cela, beaucoup d’études l’ont démontré. Aujourd’hui, le Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques produit tout le temps un rapport sur les îles. Ces études ont démontré que ces petites îles sont des zones très vulnérables. Il y a également une théorie qui dit que, plus l’île est petite, plus elle a de sérieux problèmes environnementaux. Dans les îles, nous avons trois principaux facteurs de vulnérabilité. Il s’agit de la salinisation des terres, de l’avancée de la mer et de l’enclavement. La Casamance a un fleuve qui est essentiellement inondé par l’eau de mer. Parce que, c’est l’eau de l’océan Atlantique qui entre par l’embouchure au niveau de l’île de Carabane, de Diogué et de Nikine pour inonder le reste de l’estuaire de la Basse-Casamance. Ces eaux salées font qu’au niveau des îles, l’écosystème est assez dépendant de la présence de l’eau douce.
Justement, on se rend compte que la mer, qui progresse d’année en année, continue à avaler les terres et même les cimetières. Concrètement quelles solutions urgentes pour freiner ce fléau qui indispose les habitants de ces villages isolés qui peinent à avoir de l’eau douce ?
Il est clair que les populations de ces îles ne peuvent pas lutter à elles-seules contre toutes ces problématiques majeures. Dans les îles, nous nous battons avec nos propres moyens. Par conséquent, il appartient à l’État et à ses partenaires de venir en aide à ces citoyens. Il faut un plan d’aménagement spécifique pour ces toutes ces îles. On ne peut pas continuer à regarder l’eau emporter les tombeaux de nos parents.
Pourquoi l’avancée de la mer et la salinisation des sols persistent-elles ?
Avec la petite taille des îles, le phénomène d’élévation du niveau de la mer, des inondations marines et les irrégularités des pluviométries font qu’il y a un sérieux problème de salinisation des terres, et de la nappe phréatique. C’est pour cette raison qu’il est très difficile d’avoir de l’eau douce dans les îles. Au niveau de l’île Sifoca, par exemple, il est très difficile pour les femmes de se lancer dans des activités agricoles, notamment le maraîchage à cause de la nappe phréatique qui est très salée. Le développement de la riziculture est quasi impossible. Cette montée de la salinisation menace la sécurité alimentaire des insulaires. Plusieurs îles de la Basse-Casamance risquent de disparaître un jour, parce que les populations qui sont attaquées et agressées par les eaux, n’ont pas de moyens conséquents pour faire face à l’avancée de la mer.
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Par Gaustin Diatta