Les Bediks et les Bassaris sont confrontés au double défi de conserver leurs traditions, religion et habitats et à la nécessité de vivre dans un monde moderne pourvu de commodités. La préservation du legs reste difficile pour ces habitants des collines et grottes qui tirent leur origine du Mali et de la République de Guinée. Ils demeurent des peuples fiers avec des spécificités et richesses culturelles. Ayant de nombreuses similitudes, ils sont dans la catégorie des minorités ethniques, avec les Diallonké et les Cogniagui. Focus sur ces peuples de Bandafassi et de Salémata. Une minorité qui cache une richesse et une diversité de ses peuples.
Bandafassi ! Le nom est aussi mythique que nombre de localités de la région de Kédougou qui renvoient à l’idée d’éloignement. Située à une trentaine de kilomètres de la capitale régionale, la commune, anciennement chef-lieu de canton et de communauté rurale, a bénéficié, en 2014, de l’Acte 3 de la décentralisation pour accéder à ce statut.
Véritable carrefour du Pays bassari, la commune de Bandafassi est un melting-pot qui réunit Peuls, Beddicks, Bassaris, Malinkés dans ses 42 villages dont 20 officiels.
Vivant principalement d’agriculture, d’artisanat et d’élevage, les populations s’activent, dans une moindre mesure, dans le tourisme qui amène nombre de jeunes à devenir guides eu égard aux potentialités touristiques et culturelles de la zone. Lesquelles ont milité en faveur de son statut de Patrimoine mondial de l’Unesco. Aussi, l’incontournable Centre culturel, organisateur du Festival annuel regroupant toutes les ethnies minoritaires, le baobab de Iwol, plus grand du Sénégal, la montagne d’Ethiouwar sont, entre autres, des sites et des sanctuaires dans cette partie du pays bassari. Une partie qui se prolonge jusque dans les profondeurs du département de Salémata.
Avec environ une population de 21.000 habitants, la commune de Bandafassi est une zone de montagnes et de grottes qui s’offrent à l’infini et à l’horizon du visiteur. Elle est subdivisée en quatre zones : Bandé 1, Bandé 2, Fouta et Dikha. Ces zones laissent voir une vie en harmonie entre différentes ethnies, nonobstant les « difficultés d’accessibilité dans certaines zones, le manque d’eau et d’infrastructures sanitaires, le manque d’emplois des jeunes », selon Ibrahima Bâ, le premier adjoint au maire de la commune. Son appel est « d’aller vers la formation et la mise en place d’unités dédiées à la formation pour les groupements féminins pour la création d’emplois, une transformation du fonio, une denrée cultivée par de nombreuses femmes de la contrée ».
N’étant pas une zone aurifère comme Saraya, le pays bassari reste essentiellement agricole. L’art est aussi présent dans les différentes ethnies où les forgerons sont présents. Tout comme les sculpteurs et potiers bediks réputés pour leur art céramique. « Les populations ont besoin d’aide et il nous faut dépasser l’inégalité qui caractérise différentes localités du pays. Bandafassi ou Kédougou peuvent être vues comme éloignées, mais nous pouvons aussi dire que c’est Dakar qui est éloignée. Il nous faut penser au monde rural et accompagner les populations et valoriser les potentialités dont elles disposent », invite le maire Ibrahima Bâ.
La culture du maïs, du riz, du fonio et de plus en plus de l’arachide est réelle dans cette partie bien arrosée durant l’hivernage. Cependant, l’agriculture peine à prendre son envol, selon le chef du village de Bandafassi, Moussa Diallo. Celui-ci pointe l’insuffisance de matériels (tracteurs) qui ne parviennent pas aux champs quand il pleut. Ou encore celle des semences ; ce qui rend difficile la cession aux paysans. Il invite l’Etat à fournir une quantité plus importante.
Prêchant pour son village de 2.175 habitants et 112 concessions qui prend de plus en plus les allures d’une ville, Moussa Diallo note que sa création remonte au début des années 1900. Il fait des Bediks ses premiers habitants, tout en saluant la « bonne cohabitation » entre les différentes ethnies.
Ces Bediks constituent, avec les Bassaris, Conginaguis et Diallonkés, une minorité très présente dans la région orientale et sur les montagnes. Avec des noms de famille propres (Camara, Keïta, Sandiankhou, Samoura, Kanté), ils seraient venus du Mali et de la République de Guinée. Les Camara seraient, selon Gabriel Camara, agent de l’état-civil de Bandafassi, les premiers à arriver de la Guinée et se sont installés sur la montagne. « Les Keïta sont venus après du Mali, mais sont restés sur la terre ferme. Quand les deux groupes ont compris qu’ils appartenaient tous à la même ethnie, les Camara invitent les Keïta à s’installer sur la montagne. Ils leur confient la chefferie tout en gardant les coutumes et traditions tandis que les Samoura et Kanté sont les forgerons », explique Gabriel Camara. Les Bediks commencent alors à essaimer dans la zone et prennent possession de la localité d’Ehtiouwar.
Se définissant comme agriculteur et guide indépendant, Marc Keïta est l’une des personnes ressources recommandées quand on veut aborder l’histoire et la vie des Bedik. Installée sur la route de Salémata, il est plus précis sur les origines de son peuple qui viendrait, selon lui, du pays Dogon au Mali. « Nous avons quitté le pays Dogon il y a très longtemps, vers le 11e siècle. Nous étions un peuple animiste et minoritaire et nous ne voulions pas nous mêler aux problèmes de royauté entre Soundjata Keïta et Soumahoro Kanté. Nous sommes partis à la recherche de refuge et devenus les premiers habitants de Kédougou », soutient Marc Keïta.
Vivant principalement de chasse et de cueillette à l’époque, les Bediks ont su conserver jalousement leurs us et coutumes qui plongent dans l’animisme. Des missionnaires sont parvenus, dans les années 1950, à convertir au christianisme certains d’entre eux.
Ironie du sort, les Bedik se seraient réfugiés dans les montagnes et grottes pour échapper à l’islamisation d’Alpha Yaya Diallo, une grande figure islamique guinéenne considérée comme un « envahisseur ».
« Le refus de l’islam s’expliquait par la volonté de ne pas perdre la culture animiste. Il faut également dire qu’Alpha Yaya s’y était pris par la manière forte en voulant les convertir contre leur gré contrairement aux missionnaires qui ont eu une meilleure approche », souligne Gabriel Camara qui estime son peuple à environ 15.000 personnes.
Si les Bedik s’ouvrent au monde moderne, cèdent à l’exode rural, quittent les hauteurs du fait des problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité et embrassent les religions révélées (il y a de plus en plus de musulmans), il n’en demeure pas moins qu’ils veulent « préserver l’ethnie et ses valeurs ». « Nous sommes obligés de nous ouvrir au monde aujourd’hui et d’avoir une autre vision du monde. Mais nous tenons à conserver la tradition même si nous envoyons nos enfants à l’école », déclare Gabriel Camara qui a été à l’école jusqu’en terminale. « Dans la croyance animiste, nous avons un dieu créateur avec qui on ne peut pas communiquer directement. Nous sommes obligés de passer par des dieux intermédiaires. Même si certains d’entre nous se convertissent au christianisme et à l’islam, nous gardons l’animisme dont l’une des pratiques est le bois sacré, l’initiation des enfants de 0 à 14 ans par la famille avec une transmission orale », précise Marc Keïta révélant un pan de la culture bedik.
Les rites traditionnels et la culture occupent une très grande place chez les Bediks. Une communauté dont la vie est rythmée autour de nombreuses fêtes. Le bois sacré est revivifié à l’âge de 14 ans. L’enfant est ainsi initié à « différentes épreuves de la vie qui vont de la débrouillardise au respect de l’ancien en passant par celui des pratiques ». L’enfant bedik apprend, selon la tradition, à « supporter la soif quand il n’a pas d’eau par exemple ou à tirer le meilleur des écorces d’arbres qui ont de nombreuses vertus », souligne M. Keïta.
La migration, le plus grand défi des Bedik
Un Grand-reportage de Ibrahima Khaliloullah NDIAYE