Figure spirituelle centrale du Pakao, le Khalife de Jeddah Khalifa, Serigne Abdoukhadre Seydi Sall est bien plus qu’un guide religieux. Héritier d’une lignée sainte, maître coranique, agriculteur et veilleur mystique, il incarne l’âme sacrée du Pakao, terre d’islam et foyer spirituel. Entre vulgarisation des connaissances islamiques, culture des champs et prières, le Khalife de Jeddah Khalifa est un modèle d’homme de Dieu respectable et vénéré qui fait la fierté du Pakao.
À l’entrée du domaine du Khalife général de Jeddah Khalifa, les versets du Coran s’élèvent, récités à voix basse par une ronde de disciples assis devant ses appartements. L’homme n’est pas encore visible, mais il est déjà présent. Tout autour de lui respire l’ordre, la paix, le sacré. Serigne Abdoukhadre Seydi Sall n’est pas un simple homme : il est une continuité. Une transmission. Une lumière discrète, mais puissante, qui éclaire le cœur du Pakao depuis des décennies.
Héritier d’une dynastie mystique qui remonte aux grandes figures de l’islam du Fouta, Serigne Abdou khadre Seydi Sall est le fils d’El Hadj Mouhamadou Khalifa Seydi Sall, fondateur de la contrée de Jeddah Khalifa. Ces grands-parents ont contribué à l’islamisation du Pakao peuplé autrefois par des populations animistes. Son grand-père Abass Seydi plus connu sous le nom de Djaré Seydi est venu du Fouta dans le village Djaré, d’où son surnom tout comme ses plus lointains ancêtres tels que Fodé Laaly Diassé, Seydi Mamadou Lamine, Cheikh Sanoussy Seydi et Fodé Alkaly Seydi Sall un fidèle compagnon d’El hadji Omar Foutiyou Tall.
Ce dernier, lorsqu’il a envisagé d’aller faire le Jihad avait sollicité Fodé Alkaly Seydi Sall, l’ancêtre de l’actuel Khalife de Pakao Jeddah qui lui avait répondu : « Je vais d’abord consulter ». C’est dire le poids du spirituel sur l’action de ces hommes.
Un pilier de la communauté
Après consultation, il révéla à Cheikhou Oumar qu’ils ne reviendront pas de leur Jihad et par conséquent, il préfère ne pas partir. Selon Abdou khadre Seydi, c’est au cours de cette consultation, que son grand-père a eu la révélation qu’El Hadj Mouhamadou Khalifa Seydi Sall, son père lui-même, sera le premier descendant de leur famille à effectuer le pèlerinage à la Mecque.
« Il a été révélé à mon grand-père qu’un enfant parmi ses descendants qui aura accompli le pèlerinage à la Mecque assurera à son retour l’héritage mystique de la famille et œuvrera davantage à la vulgarisation de l’islam », fait-il savoir. C’est ce qui s’est confirmé avec le retour de la Mecque d’El Hadj Mouhamadou Sall en 1976 qui s’installe à Salikégné et fonde en 1979 un foyer religieux, Jeddah Khalifa, qui deviendra l’un des plus respectés du Pakao.
Dès lors, le vieux recommande à son fils de ne pas quitter la terre natale : « Reste ici. Les gens viendront jusqu’à toi, c’est ici ta mission et tu auras tout ici, tu n’envieras personne ». Le jeune Abdoukhadre obéit. Partant, il ne s’est jamais séparé de son père, le suivant dans toutes les étapes de la vie religieuse et sociale.
À 7 ans, il mémorise le saint Coran. « Mon père nous a confié avec mes frères trois impératifs : notre pratique religieuse et mystique, l’éducation des disciples et le travail de la terre. », affirme-t-il d’un ton tranquille.
Au décès de son père en 1997, alors qu’il avait 40 ans, Abdou khadre Seydi Sall reprend le flambeau spirituel et devient le Khalife de Jeddah Pakao. Affable, pédagogue, il se révèle être très humain dans ses interactions avec tout le monde.
En bon peul qui a fini par s’acclimater en milieu mandingue, le Khalife manie bien cette langue. « Nous sommes Peulhs du Fouta mais nous sommes bien intégrés dans le Pakao. Mon père disait que : notre nom tout comme notre sang est peulh mais notre langue est le mandingue ! », affirme-t-il, tout sourire.
Faisant du travail, un pilier de la foi, le Khalife cultive chaque année plus d’une centaine d’hectares de terre pendant l’hivernage. « Le travail, c’est l’adoration », dit-il. « Cette année, j’ai mobilisé plus d’une trentaine d’ânes. Avec l’aide des talibés, nous allons cultiver 40 hectares d’arachide, 30 hectares de mil et 20 autres hectares », fait-il savoir. Et comme chaque année, à l’issue de l’hivernage, il distribue plusieurs centaines de sacs de céréale à travers le Pakao.
C’est dire qu’au-delà du spirituel, Serigne Abdou khadre Seydi Sall est un acteur de développement local. Ancien conseiller rural respecté de la sous-préfecture de Djenné, il entretient d’excellentes relations avec les autorités.
« C’est quelqu’un sur qui la communauté compte. Il a beaucoup de disciples, mais il n’attend rien de personne et il fait beaucoup pour nous. Son rôle pour la cohésion sociale est reconnu de tous. Mais je dois dire que son plus grand mérite est le fait qu’il est prompt à s’acquitter de ses obligations fiscales.
Héritage mystique
Chaque année à date échue, il paie convenablement ses impôts », témoigne Yacouba Seydi, conseiller municipal à Djenné. Ce même Yacouba ajoute : « Ce n’est pas l’aîné de la famille, mais c’est lui que le destin a choisi. À sa naissance, son grand-père l’a enveloppé dans son kaala. Il a toujours été préparé à ce rôle ».
En 1983, son père lance le « gamou » annuel de Pakao pour louer le seigneur et prier pour la paix et la stabilité. Il n’en célèbre que deux éditions avant son décès. Mais dès 1998, Abdoukhadre reprend la tradition. Depuis, chaque année, des foules de fidèles viennent vibrer au rythme des chants religieux et des invocations.
Le dernier « gamou », célébré, le 3 mai 2025, a attiré des milliers de pèlerins. Le prochain est prévu, le 25 avril 2026. Sous son impulsion, le « gamou » de Pakao Jeddah Khlaifa est désormais une institution.
Perpétuant toujours la tradition de son valeureux père, Abdou Khadre veille à la sécurité de la communauté et prie quotidiennement en ce sens. Dès lors, il ne rate jamais la traditionnelle lecture quotidienne des 1.000 sourates Yassine et l’exégèse 5 fois de suite du saint Coran.
« Cette pratique est une tradition qu’on a commencée depuis mon père. Avec les problèmes d’aujourd’hui, nous devons augmenter les prières », justifie-t-il. Et d’ajouter : « du temps de mon père la sourate Yassin était récité tous les jours 40 fois, aujourd’hui, nous le faisons 1000 fois tous les jours. Désormais, en plus de Yassin, chaque vendredi, nous effectuons avec les disciples 15 lectures complètes du Coran. Ces prières sont destinées à la paix dans les familles, à la stabilité du pays et à l’épanouissement de nos populations », indique le Khalife.
« Il ne prie jamais pour lui seul », souffle Omar Dramé, son neveu et disciple. Selon lui, le Khalife recommande aux disciples l’assiduité dans leur pratique religieuse, le travail et la discipline.
« Il travaille pour l’unité de la famille. C’est pour ça qu’on l’aime. En plus, il est très respecté dans la Pakao car il œuvre pour l’unité de toutes les familles religieuses », affirme encore Omar Dramé.
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Par Souleymane WANE