Nommé administrateur du diocèse de Thiès après le départ de Mgr André Guèye pour l’archidiocèse de Dakar, l’Abbé Albert Sène porte désormais la lourde mission de guider temporairement l’Église locale dans l’attente d’un nouvel évêque.
Dans les rues sablonneuses de Bambey, le petit Albert s’amusait à « dire la messe » avec du pain, de l’eau et un tabouret. Sa mère aimait raconter ce rituel improvisé du petit garçon de trois ans, profondément marqué par la messe dominicale. Ce jeu d’enfant préfigurait une vocation profonde et tenace, forgée dans la durée. Pour l’Abbé Albert Sène, être prêtre n’a jamais été un accident de parcours, mais un désir enraciné, un appel constant – malgré les doutes, les tentations d’autres chemins et les incertitudes propres à la jeunesse.
Cette vocation a été nourrie par des figures puissantes et aimantes. Le Père Barras, prêtre suisse en poste à Bambey, incarna très tôt l’image d’un homme de Dieu proche, généreux et attentif. Sa voiture amusait les enfants, mais c’est surtout sa joie, sa disponibilité et son accueil qui ont profondément marqué le jeune Albert. D’autres figures ont suivi : l’Abbé Jean Faye, prêtre sénégalais dynamique, incarnait la possibilité d’un sacerdoce africain, brisant l’image jusque-là réservée aux prêtres blancs. Puis est venu l’Abbé André Guèye, futur archevêque de Dakar, dont la bienveillance et la proximité ont conforté cette vocation naissante.
Ordonné prêtre en juillet 1998 par Mgr Jacques Sarr, Albert Sène entre dans le ministère comme vicaire à la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Thiès. Cette ville devient aussitôt son territoire de mission et d’enracinement. À quelques exceptions près, notamment ses séjours d’études à Strasbourg, il n’a jamais quitté ce diocèse. Il y a servi dans les trois principales paroisses, connu ses familles, ses périphéries, ses failles et ses forces. « Thiès est une ville d’avenir, mais économiquement appauvrie », observe-t-il. Il y voit un dynamisme certain, porté par la jeunesse, mais freiné par un manque cruel d’industries et d’opportunités. Le contraste entre les embouteillages croissants et la précarité des quartiers périphériques illustre bien ce double visage. C’est pourtant là qu’il a choisi de rester, d’enseigner, de servir et de grandir.
Entre droit canonique, plaidoirie et fonction pastorale
Homme de terrain, l’Abbé Albert Sène est aussi un intellectuel rigoureux. Il obtient un master en droit canonique et une licence en musicologie à Strasbourg, où il retourne plus tard pour préparer un doctorat. À son retour, il cumule les fonctions : curé de paroisse, chancelier du diocèse, avocat au tribunal interdiocésain de Thiès, directeur de l’Institut supérieur d’administration des entreprises.
Dans cet établissement d’enseignement supérieur, il forme de jeunes bacheliers aux métiers de demain : gestion, informatique, sciences politiques, hygiène, agrobusiness. Pour lui, la formation est une œuvre évangélique, au même titre que la catéchèse. « Il faut que les jeunes aient des compétences, des armes pour transformer leur environnement », affirme-t-il.
Sa mission au tribunal ecclésiastique le rapproche aussi des réalités humaines les plus fragiles : séparations, mariages blessés, incompréhensions conjugales. « Le mariage à l’Église est indissoluble. Mais parfois, il n’a jamais vraiment existé à cause de vices de consentement : crainte, mensonge, pression… Le rôle du droit, ici, est de restaurer la vérité et la paix », explique-t-il.
L’humilité d’un pasteur de transition
Le 5 mai 2025, après le départ de Mgr André Guèye pour Dakar, l’Abbé Sène est élu administrateur du diocèse par le collège des consulteurs. « C’est une marque de confiance et une lourde responsabilité », dit-il avec pudeur. Le rôle d’administrateur diocésain est transitoire. « Il ne crée pas, n’innove pas. Il administre, maintient l’élan, prépare le terrain pour le successeur », rappelle-t-il avec fierté et humilité.
Et pourtant, cette charge n’est pas neutre : il faut prendre soin du clergé, assurer les finances, nommer temporairement les responsables pastoraux, maintenir la vie sacramentelle, présider les grands événements, dialoguer avec les autorités. « C’est un ministère de la continuité, mais aussi de la cohésion. Il faut garder l’unité, fortifier la foi, rester proche des fidèles », souligne-t-il.
Son message pastoral est clair : connaître le Christ, l’aimer, le faire aimer. « Le pasteur, c’est celui qui conduit vers de bons pâturages. Il offre les sacrements, l’écoute, la consolation. Il favorise la relation des fidèles avec Dieu », explique-t-il. Il insiste sur l’amour comme cœur du christianisme : « Jésus n’a laissé qu’un seul commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », rappelle l’Abbé Sène.
Cette charité prend des formes concrètes dans l’Église de Thiès : écoles, dispensaires, hôpital, Caritas. « Tout le monde y a accès : catholiques, musulmans, personnes dans le besoin. C’est ça, notre mission : servir sans distinction », fait-il remarquer.
Les jeunes, les femmes et les enfants sont des priorités pastorales assumées. Le pèlerinage des enfants à Mont-Rolland, les Journées mondiales de la jeunesse, les rassemblements féminins sont maintenus et encouragés. « L’Église est une famille. Chacun a sa place, chacun doit être écouté », insiste-t-il.
Le dialogue interreligieux est également un pilier. Thiès, terre de confréries musulmanes majeures comme Touba ou Tivaouane, est un creuset de fraternité. Des visites régulières, des lettres pontificales traduites en arabe, des colloques islamo-chrétiens témoignent d’une volonté d’unité. « Dans nos familles, dans nos rues, chrétiens et musulmans vivent ensemble. Le dialogue n’est pas une théorie, c’est une vie », affirme-t-il.
Chaque année, le pèlerinage marial de Popenguine est un moment phare de la vie diocésaine. L’Abbé Albert Sène s’y investit pleinement : préparation spirituelle, coordination des marches, messes d’envoi, messages aux jeunes. Le thème est médité pendant neuf jours. Des fidèles de tous âges et de toutes régions convergent vers ce lieu marial pour prier, marcher, se confier. « Marie est un modèle d’humilité, de confiance, d’obéissance. En l’imitant, nous devenons de meilleurs croyants, de meilleurs citoyens », ajoute-t-il.
Jeunesse, dialogue et enracinement
Dans ce diocèse à la fois vaste et pauvre, le défi est grand. Mais l’Abbé Albert Sène s’y attelle avec énergie et prudence. Il reste fidèle à l’œuvre de ses prédécesseurs – Mgr Dione, Mgr Sarr, Mgr Guèye – tout en préparant l’avenir.
Le choix du prochain évêque suit un processus rigoureux : âge, formation, moralité, gestion, réputation… Trois noms sont proposés à Rome, et le pape choisit. « Il faut un pasteur selon le cœur de Dieu », dit-il.
L’Abbé Albert Sène n’a pas l’étole de l’évêque, mais il en porte déjà le poids. À travers son parcours exemplaire, sa foi profonde, son engagement intellectuel et pastoral, il incarne une Église fidèle à l’Évangile et proche du peuple. « Tout part du cœur. Si l’on a de l’amour, on peut gouverner avec justice, servir avec joie, construire la paix », conclut-il. Dans l’attente d’un successeur, il poursuit le chemin, avec humilité et espérance.
Par Daouda DIOUF