Officier d’état civil de la commune de Diourbel et président régional de l’Unacois (Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal), Alioune Faye se fait affectueusement appeler Alioune Faye Mansour en raison de son engagement auprès de Serigne Mansour Sy, le défunt Khalife de Tivaouane dont il est un fervent disciple. Ce notable incarne à la fois la rigueur administrative et l’empathie. Depuis 2014, il fait de la lutte contre la fraude à l’état civil un combat personnel, aujourd’hui largement gagné.
Dans les couloirs feutrés du centre d’état civil de Diourbel, son nom résonne comme une promesse de rigueur et de sérénité. Alioune Faye, que l’on appelle ici avec une pointe d’affection Alioune Faye Mansour, incarne bien plus qu’un officier : il est le gardien scrupuleux d’une mémoire collective dans une région longtemps minée par des cas de fraude à l’état civil. Sous son regard vigilant, désormais, les faux actes ont perdu du terrain dans la commune.
Ce mercredi matin 16 avril 2025, alors que le soleil chauffe les murs blancs de la bâtisse, il nous reçoit dans son bureau, entre deux piles de dossiers. Une scène singulière, comme par hasard, se joue sous nos yeux indiscrets, dévoilant d’un coup, toute la gravité et parfois l’ingratitude de sa fonction. Un homme, les traits tirés, vient enregistrer un jugement au nom d’un proche. Mais l’acte qu’il tend comporte une erreur : le nom de la bénéficiaire y est mal orthographié.
Un officier exemplaire
L’officier d’état civil, droit dans sa posture, le regarde avec bienveillance, mais sans détour. « Monsieur, vous nous avez apporté un acte de jugement qui contient une erreur de frappe. Or, c’est bien le juge qui a signé ce document. Je ne peux pas y toucher, encore moins le corriger. Il faut le faire rectifier par qui de droit avant que je puisse l’enregistrer ». Le déclarant s’agace. Il croit à une manœuvre dilatoire. Son regard se durcit. « Mais enfin, c’est juste une coquille ! Le texte entier parle d’Awa Fall. Il n’y a que cette ligne qui est fautive. Vous pouvez bien arranger ça, non ? », insiste-t-il. Alioune Faye garde son calme. Il a vu d’autres tensions, entendu d’autres soupirs. « Je comprends votre frustration, Monsieur. Mais c’est l’écriture d’un juge, pas la mienne. Je n’ai pas le droit d’y changer quoi que ce soit. Retournez avec l’acte pour le faire corriger, puis revenez. Nous procéderons à l’enregistrement dans les règles », rétorque-t-il. L’homme finit par céder, visiblement dépité, convaincu d’avoir affaire à un officier d’état civil « compliqué ». Il s’éloigne à pas lents, l’acte froissé entre les mains.
Alioune Faye soupire doucement, presque avec tendresse. « Compliqué, méchant, rébarbatif… On me donne tous les noms. Mais, en vérité, je ne fais qu’appliquer la loi. C’est tout », tente-t-il de placer entre deux sollicitations dans un état civil grouillant de son beau monde. Sur son bureau, les dossiers s’empilent, le stylo griffonne, le téléphone vibre. Tout autour, l’enceinte de l’état civil bruisse d’une agitation continue : entrées, sorties, appels, des potaches qui patientent… En cette période de veille d’examens et concours, en effet, des groupes d’élèves affluent pour retirer les précieux extraits de naissance.
« La commune est vaste, et cela se ressent dans l’ampleur du travail. Je commence souvent à neuf heures et je ne rentre qu’à dix-neuf heures en raison des nombreux enregistrements et déclarations », raconte-t-il avec calme. Conseiller municipal en 2009, il a été désigné Officier d’état civil en 2014 par l’actuel maire de Diourbel Malick Fall. Chaque année, il traite plus de 10.000 actes. « Cette année, nous en sommes déjà à deux mille actes enregistrés, qu’il s’agisse d’actes de naissance, de mariage ou de décès. Le flux est constant », dit-il.
Né à Mbellacadiao en 1956, Alioune Faye a perdu ses parents à très bas âge. Sa mère décède alors qu’il avait huit ans et son père cinq ans plus tard. Recueilli par son oncle chauffeur, il apprend le métier à ses côtés et obtient successivement ses permis de conduire pour poids lourds et transport en commun. Plus tard, il se convertit en commerçant. Travaillant comme gestionnaire pour des commerçants libanais, ces derniers ont fini par lui céder un magasin pour six millions de francs. « En dix-neuf mois, j’ai remboursé la totalité de la dette. Depuis, je tiens une boutique dans le marché central de Diourbel, géré actuellement par un de mes enfants », fait-il savoir.
Un homme d’honneur
L’actuel président de l’Union nationale des commerçants et industriel du Sénégal (Unacois) de Diourbel (depuis 20 ans), en sérère bon teint, d’un noir dru, a l’éthique chevillée au corps. En un laps de temps à l’état civil, Alioune Faye a impulsé un véritable changement. Entre digitalisation, célérité dans la délivrance des papiers, lutte contre les fraudes, etc., l’homme a fait de Diourbel, aujourd’hui, un modèle dans l’administration de l’état civil. Au bonheur des populations et des responsables de la municipalité au premier rang desquels le maire de la commune, Malick Fall. L’édile ne cache pas sa satisfaction pour son officier d’état civil qu’il a nommé après l’avoir bien observé. Il s’enorgueillit : « C’est une personne véridique qui travaille tous les jours du lundi au dimanche. Il a apporté du sang neuf dans l’administration de l’état civil. Un jour, j’étais à Dakar, deux agents policiers parlaient de Diourbel en le prenant comme exemple pour le travail qu’il abat. Je leur ai dit que c’est de mon officier d’état civil dont vous parlez », a-t-il témoigné, fier. Malick Fall n’a pas manqué de relever les hautes qualités humaines de Alioune Faye qu’il considère comme un bon croyant. En effet, malgré son influence dans les cercles économique et administratif de la ville, Alioune Faye reste un homme humble, que l’on peut croiser à la grande mosquée comme au marché central, saluant chacun avec cette égale courtoisie qui désarme. Et sa maison, modeste en apparence, est vaste par l’esprit qui l’habite. Elle est devenue au fil des ans un refuge pour l’étranger perdu, un carrefour de passage obligé pour le visiteur en quête de repères à Diourbel. Alioune Faye n’accueille pas avec ostentation, mais avec cette chaleur discrète qui dit tout sans trop en faire. Sa fille Aminata témoigne : « Le vieux a réservé une chambre pour visiteur dans la maison. Nous accueillons quasiment tout le temps du monde. C’est devenu une tradition d’accueillir des voyageurs », dit-elle en toute modestie.
Un fervent tidiane
Ce disciple de Serigne Mansour Sy ne rate jamais ses Zikrs du matin et du soir. « Serigne Mansour m’a initié à la Tijaniya. De temps en temps, j’allais lui rendre visite, mais il ne me reconnaissait pas. Ainsi, je lui ai écrit une lettre pour lui dire que je voudrais qu’il me reconnaisse, car il n’est pas intéressant d’avoir un guide qui ne peut pas vous reconnaître ». Selon lui, depuis ce jour, le marabout l’a pris sous son aile et a cheminé avec lui durant toute sa vie. « Serigne Mansour a beaucoup fait pour moi. Il me prenait comme son fils, c’est lui qui m’a emmené à La Mecque », se rappelle-t-il, la voix trémolo.
Sa première épouse Fatou Faye témoigne : « Je peux dire énormément de choses sur lui, mais je dirai simplement qu’il est un bon croyant plein d’humilité et un bon père de famille. Son engagement auprès des habitants de la ville a fait de lui quelqu’un de très respecté et qui fait notre fierté », a dit la dame pleine de tendresse.
Par Souleymane WANE (Envoyé spécial dans le Baol)