De Bokidiawe, village du Fouta sénégalais, aux allées brillantes de la finance parisienne, Aly Mbaye trace un parcours d’exception. À 35 ans, cet ingénieur financier, à la voix limpide et à la jovialité communicative, est le fondateur de Welly, une application innovante qui réinvente l’expérience d’achat au Sénégal. En redonnant vie à l’esprit du « wakhalé » (marchandage) grâce au cashback, il offre aux consommateurs un nouvel outil pour renforcer leur pouvoir d’achat, tout en soutenant les commerces locaux. Plus qu’un entrepreneur, Aly est un bâtisseur de ponts entre traditions et modernité, porté par une vision claire d’un Sénégal tourné vers l’avenir.
Sa voix est limpide, comme débarrassée de toute hésitation. Une voix claire, calme, presque musicale, qui semble porter en elle une direction, une vision : celle d’un homme qui sait où il va. Quand il parle, Aly Mbaye ne cherche pas l’effet. Il partage. Avec une jovialité tranquille, un enthousiasme discret, mais communicatif, il vous entraîne dans le récit d’un parcours atypique : celui de Bokidiawe, petit village du Fouta sénégalais, aux tours de verre de la finance parisienne, en passant par les galères étudiantes. À 35 ans, ce spécialiste en ingénierie financière, installé en France depuis une quinzaine d’années, incarne une nouvelle génération : connectée, audacieuse, ancrée dans sa culture tout en regardant loin devant. Il est aujourd’hui l’inventeur de «Welly», une application de cashback née d’un besoin simple : redonner du pouvoir d’achat aux Sénégalais tout en valorisant les commerces de proximité. Mais plus encore qu’un outil technologique, Welly est une déclaration d’intention : celle d’un entrepreneur qui veut conjuguer impact économique, inclusion financière et attachement aux racines.
Quand la tech parle peulh
Avant même de parler d’algorithmes ou de partenariats commerciaux, Aly Mbaye parle de sens. Et ce sens commence par un mot. Un seul : Welly. Un nom qui, à première écoute, sonne comme un prénom ou une marque branchée. Mais pour son créateur, il résonne bien plus profondément. « Welly, ça veut dire tout ce qui est bon, tout ce qui est bonheur, tout ce qui est bien-être, tout ce qui est aimé », explique-t-il avec un sourire sincère, presque tendre. Dans sa bouche, ces mots ne sont ni techniques, ni calculés. Ils viennent du cœur, et racontent une volonté : celle de bâtir un produit enraciné, reconnaissable, familier. Fier de ses origines peulh, Aly a fait un choix à contre-courant : pas d’anglicisme, encore moins de jargon branché. « On voulait vraiment créer une attache locale, quelque chose qui nous ressemble, qui nous parle », dit-il, en insistant doucement sur le « nous ». Car au-delà de l’utilité de l’application, le nom «Welly» raconte une philosophie : celle d’une innovation qui ne cherche pas à imiter les modèles venus d’ailleurs, mais à répondre à une réalité locale avec des codes culturels assumés. Une application moderne, oui, mais qui parle la langue du bien-être, celle que l’on comprend sans effort, même sans mode d’emploi. S’il fallait un déclencheur, une étincelle, ce serait celle-là : la disparition progressive du « wakhalé » (le marchandage), cet art ancien de la négociation qui continue d’animer les marchés sénégalais. Une pratique autant sociale qu’économique, aujourd’hui mise à mal par l’essor des supermarchés, des boutiques aux prix fixes, des services standardisés.
Aly Mbaye l’a observé avec regret. « Il n’y a plus de réduction possible », soupire-t-il. Et dans cette frustration collective, il a vu une opportunité. Welly est née de ce manque. Une application gratuite qui réinvente, sans nostalgie ni folklore, le principe de la remise, sous une forme compatible avec les usages actuels : le cashback.
Un homme pressé, mais pas pressant
Le principe est simple : l’utilisateur crée un compte, identifie un commerçant partenaire, paie via Welly et reçoit automatiquement un pourcentage de son achat reversé sur son compte. Les montants varient entre 5 % et plus de 30 %, selon les enseignes. Plus encore : le système récompense la fidélité. À mesure que l’on utilise l’application, on progresse dans des statuts Silver, Gold, puis Diamond, qui offrent des taux de remboursement encore plus avantageux.
« C’est un système totalement gagnant pour le client », résume Aly. Et la promesse va plus loin. En effet, les fonds remboursés sont utilisables librement, sans frais, que ce soit pour de nouveaux achats ou pour des transferts vers Orange Money, Wave ou d’autres services de mobile money. « Welly» ne cherche pas à enfermer l’utilisateur : elle lui donne des marges de manœuvre. Et avec déjà plus de 400 commerçants partenaires, l’écosystème prend forme. Une économie circulaire, numérique et locale, où chacun retrouve un peu de pouvoir d’achat… et beaucoup de sens.
L’intuition d’Aly Mbaye ne s’arrête pas aux particuliers. Avec «Welly», il déploie une vision holistique où les entreprises deviennent, elles aussi, des vecteurs de bien-être économique. Son idée est de proposer une alternative moderne, souple et inclusive aux chèques-cadeaux traditionnels : des bons d’achat digitalisés, fractionnables et utilisables chez l’ensemble des commerçants partenaires de l’application. Une innovation simple, mais qui change tout. « Welly, c’est vraiment tout un univers qui essaie de favoriser les commerces locaux, mais aussi d’aider les entreprises à faire plaisir à leurs salariés, et d’aider tout un chacun… à gagner de l’argent pendant qu’il fait ses courses », explique-t-il, toujours avec cette voix posée qui éclaire ses idées sans forcer le ton. Dans cette logique, les bons «Welly» deviennent des leviers de reconnaissance sociale. Ils permettent aux entreprises, notamment en période de fêtes ou d’événements internes, d’offrir plus qu’un simple montant : une liberté d’achat, une expérience valorisante.
Quand on lui demande de se définir, Aly répond presque du tac au tac : « Pressé. Je suis une personne de nature pressée ». Une impatience qu’il assume et transforme en moteur. Ce n’est pas de la précipitation, mais une soif de concrétisation, un refus d’attendre que les choses se fassent d’elles-mêmes. Chez lui, la vitesse est liée à la responsabilité : quand un problème se pose, il faut agir. Et vaille que vaille. Ce tempérament s’est forgé très tôt. Élève studieux, souvent premier de sa classe au lycée de Matam, Aly décroche un bac en série S1. « J’étais le seul élève de cette série », se remémore-t-il. Ce qui lui a valu une admission à la prestigieuse École nationale supérieure d’informatique et de mathématiques appliquées (Ensimag) de Grenoble. Mais l’excellence académique ne l’a pas épargné des difficultés. Ses premières années en France sont rudes. Ce fut un choc culturel. « Je suis issu d’une famille relativement, on va dire, pauvre », confie-t-il. Il enchaîne les petits boulots, passe six années sans rentrer au Sénégal, travaille pendant toutes ses vacances pour financer ses études. Une longue épreuve, silencieuse, mais fondatrice. Elle lui a appris la valeur de l’effort, la discipline, et surtout, le goût de l’indépendance. Un entrepreneur ancré dans le réel Aujourd’hui encore, Aly Mbaye conserve la simplicité de ceux qui n’ont rien oublié. Marié, père de deux jeunes filles, il conjugue son rôle d’entrepreneur avec une vie de famille paisible. Ses petits plaisirs ? Un bon « soupe kandia », préparé avec soin, et son incontournable bissap, qu’il sirote comme un retour aux sources. Mais son véritable exutoire, c’est le jogging. Chaque course est un moment de solitude fertile, une parenthèse pour réfléchir, structurer, projeter. C’est souvent sur ces routes silencieuses qu’il imagine l’avenir de «Welly». Il la voit grande, ambitieuse, transnationale.
Une « fintech nationale et internationale » capable de porter la voix d’un Sénégal innovant et fier, au-delà des frontières. Le Sénégal, un futur hub de l’entrepreneuriat africain ? Il en est convaincu. Son optimisme n’est pas naïf. Il s’appuie sur des constats solides : une stabilité politique remarquable, des talents locaux exceptionnels, et un esprit d’initiative profondément ancré dans les mentalités. « Depuis l’enfance, on voit nos parents entreprendre…Chacun, à sa manière, est déjà un entrepreneur », affirme-t-il. Ce qu’on appelle parfois « débrouille », il le considère comme le socle d’un génie entrepreneurial sénégalais encore trop peu valorisé. Et selon lui, avec les bons outils, le bon encadrement et un investissement stratégique dans la technologie, le Sénégal peut devenir le centre névralgique de l’entrepreneuriat francophone en Afrique.
Créer du sens, pas seulement du chiffre
«Welly» s’inscrit dans cette vision. L’application permet à certains utilisateurs d’économiser jusqu’à 30.000 FCfa par mois, tout en réinjectant ces économies dans l’économie réelle. Un cercle vertueux où l’innovation numérique devient levier d’inclusion sociale. Ce qui touche le plus Aly, ce ne sont pas les tableaux de croissance ni les parts de marché. Ce sont les messages des utilisateurs, leurs remerciements, leurs témoignages sincères. « Rien que de me dire cela, je sais que c’est utile », dit-il, le regard paisible. Son ambition dépasse le succès entrepreneurial. Il veut être utile, construire des réponses durables, créer de l’impact. Et cette quête d’utilité, silencieuse mais constante, continue de guider chacun de ses pas.
Par Pathé NIANG