Elle a semé la bonne parole dans bien des cœurs d’étudiants. Elle l’a professée dans le champ politique. Elle la sème en espérant qu’elle engendrera des épis de paix. Elle l’a transcrite dans le langage des droits de l’Homme. Elle l’a traduite en actes. Serait-elle la cousine de Massamba Guèye ? Dans tous les cas, le professeur Amsatou Sow Sidibé dit et répète : «Nay rafet !»
«Je ne regrette rien », dit-elle ! Un peu de musique de fond, plus d’emphase sur certaines parties de cette petite phrase et l’on aurait cru entendre Édith Piaf. La chanteuse qui disait « Non, je ne regrette rien » en 1960 et celle qui affirme la même idée en 2025 ont en commun leur manière de rendre les « R ». Elles ont aussi ceci de commun qu’elles sont des dames de scène. Les scènes de spectacle musical pour la première, le théâtre des amphithéâtres pour la seconde. L’une disait des mots aux cœurs, l’autre guérira les esprits des maux de l’ignorance en enseignant le droit.
Lorsqu’Édith Piaf chantait « Non, je ne regrette rien », Amsatou Sow Sidibé n’avait que sept ans. 1953 : année de naissance de celle dont le nom ne se dit plus sans qu’on le fasse précéder de « Professeur ». Et quelle passeuse de savoir fut-elle ! « L’enseignement, le professeur Amsatou Sow Sidibé en a la science, mais aussi l’art. Elle est une enseignante au sens senghorien du terme, c’est-à-dire former les individus en les informant, pour leur permettre de se réaliser en tant que personnes et développer en eux la faculté qui exprime l’activité générique de l’Homme : la créativité ».
C’est Cheikh Abdou Wakhab Ndiaye, étudiant devenu collègue, qui témoignait ainsi sur un de ses maîtres.
Harmoniser
Que ne regrette-t-elle donc pas ? D’avoir agi de telle sorte qu’on peut désormais, encore aujourd’hui, accoler à son nom le titre d’un livre comme épithète. « Amsatou Sow Sidibé, le savant et le politique », pour emprunter à Max Weber son épithète-titre, est en effet possible, puisqu’elle est l’un et l’autre. Des cours de droit, donc, à la cour politique où, parfois, les coups bas fusent. Mais même si elle pouvait en recevoir, A. S. Sidibé s’était engagée à ne pas en donner. Avec la Convergence des acteurs pour la défense des valeurs républicaines/Leneen (Car Leneen), elle venait tracer ce qu’elle appellera la troisième voie. Elle est, énumère la première femme candidate à la présidentielle du Sénégal, la voie de la citoyenneté, de la justice, qui permet de protéger les citoyens et, à chacun, de jouir de ses droits. « J’ai pensé, en faisant de la politique, qu’il fallait investir son énergie dans les règles démocratiques, le respect des droits humains et la paix ».
D’être venue en politique, Madame ne regrette aucunement, puisqu’elle pense avoir insufflé un supplément d’âme à la politique sénégalaise. « Le mot valeur, utilisé par-ci, par-là, je ne veux pas manquer de modestie en disant que je l’ai mis en exergue dès les années 2010 dans le champ politique. »
Parmi ces mots qui guident la troisième voie, il y a harmonie. Un mot ? Une attitude politique ! Ce serait un trouble à l’harmonie que de continuer d’être présidente de parti tout en dirigeant la Commission nationale des droits de l’Homme. Ainsi, Madame gela-t-elle ses activités de parti.
Un mot ? Une attitude vestimentaire ! Qui ne reconnaît pas cette manière particulière qu’elle a d’agencer les couleurs ? Harmonie : pas paillettes. Harmonie : raffinement. Et il faut dire que ce désir d’apparaître très correcte l’a toujours habitée. Derrière son bureau, elle se rappelle cette petite qu’elle était, qui pensait constamment au toilettage. Et qui sait, ç’aurait pu faire d’elle une Piaf et non une prof. Mais papa était là, qui a très tôt endigué le mouvement vers les paillettes et indiqué le chemin des cahiers. Maman aida. La fille comprit.
Résultats : docteur d’État en droit (Université Paris 2 Panthéon-Sorbonne), agrégée des facultés de droit (Cames), elle deviendra professeur titulaire de classe exceptionnelle. Elle assurera, dix ans durant, la direction de la formation de l’Institut des droits de l’Homme et de la paix. Puis, dix ans durant, sa direction générale.
Ouf ! La retraite venue, elle la prendra…sûrement pas !
« Au niveau de l’université, je suis retraitée depuis plusieurs années. Mais je sens que je peux être encore utile au pays, à l’Afrique et au reste du monde », dit-elle. C’est ce qui se comprend lorsque, quelques années auparavant, elle se disait retraitée d’un type nouveau.
Au Sénégal comme en Russie
Le professeur Amsatou Sow Sidibé a quitté l’université : l’université n’a pas quitté le professeur Amsatou Sow Sidibé. L’encre ne cesse d’irriguer ses veines. Parlant, elle se saisit d’un stylo, griffonne – elle seule sait quoi – sur un agenda, avant de rediriger ses lunettes vers son interlocuteur. Autre chose, peut-être héritée du métier de prof : Madame ouvre plusieurs fenêtres dans son discours, évoquant une idée principale, ouvrant des parenthèses de sous-idées, les refermant après traitement, retournant à la principale et déroulant.
Là, c’est Édith Piaf : les mains montent et descendent suivant l’inflexion de la voix, se ferment et s’ouvrent suivant la gravité de l’idée et l’intensité voulue pour la rendre. Les coudes, sur la table. Les calendriers sur lesquels elles se posent s’en trouvent légèrement dérangés par leur mouvement.
Là, c’est un peu l’inspecteur Monk : les lunettes se redirigent vers le bas, des doigts rétablissent, au centimètre près, la position initiale des calendriers empilés. C’est aussi ça, Amsatou Sow Sidibé : l’enchevêtrement des détails n’exclut pas l’harmonie.
Cette idée d’enchevêtrement harmonisé a d’ailleurs son pesant d’or dans la philosophie politique de celle qui a écrit « Le pluralisme juridique en Afrique ». Pour l’actuelle présidente de la Cndh, il n’y a pas, d’une part, le droit et, d’autre part, l’économie. Sa conviction : « Il y a donc ce lien étroit entre droit et économie. L’économie doit être organisée : c’est le droit, d’abord, qui organise l’économie. Et les politiques doivent être fondées sur le droit et sur les droits.
Le droit, en tant que règle de droit, et les droits en tant que prérogatives rattachées à la personne humaine, en tenant compte de la règle de droit ». Elle évoque alors une multitude de droits dont l’application ne doit pas être dissociée mais effectuée en même temps, les rattachant ainsi à l’économie.
Madame la Présidente ne prêche pas qu’à partir de son bureau dakarois. Au niveau international aussi, ce même discours est mis en avant. Elle défendra de ce fait les droits économiques, sociaux et culturels lors de la VIIIe Conférence internationale scientifique et pratique sur les problèmes de protection des droits de l’Homme, en Russie. Insistant sur ce point : « On ne peut pas parler de démocratie, on ne peut pas parler de droits humains, on ne peut pas parler de développement, on ne peut pas parler de paix, si ces droits ne sont pas réalisés ».
Droit et politique, interdépendance entre économie et droit, nécessité du droit quand on veut instaurer un développement durable…sur ces thèmes, l’agrégée s’exprime avec passion… positive. Aussi s’insurge-t-elle contre la passion lorsqu’elle devient négative, envahit les cœurs, envenime les discours, piétine la dignité humaine et menace la paix sociale. Cette paix sociale à laquelle elle tient, et dont elle connaît peut-être plus la valeur que d’autres, parce qu’ayant sillonné des contrées où elle n’existait pas, où il fallait la faire revenir à coups de médiations. Au risque de sa vie, plus d’une fois, confie-t-elle. Mais lorsqu’on a la paix en bandoulière et un bâton de pèlerin qui ne connaît que cette voie de salut, on y va. Madame prêche donc en paroles cette paix qu’elle a prêchée en actes : « Que chacun se mette à l’esprit que la dignité humaine, elle vient de Dieu. C’est Dieu qui a créé la personne humaine et lui a donné des droits… ».
Âme vaillante, adolescente engagée
Énumération ! Puis, attention, lâche-t-elle : c’est une retraitée qui n’a pas envie de se taire avec son savoir et son expérience qui parle, et qui parle d’une cohésion sociale qui lui est chère. « Je ne regrette rien ! » Elle ne regrette ni la politique ni la société civile qu’elle a fréquentées. La société civile et elle, c’est depuis l’adolescence : « J’étais dans le groupe des Âmes vaillantes (le temps de sourire). Il y avait les Âmes vaillantes, les Cœurs vaillants, à l’âge de seize ans ». La société civile est pour elle formatrice : esprit de groupe, de cohabitation, d’amitié, d’amour, d’engagement. Esprit d’engagement : c’est elle qui a rédigé les statuts de Yéwu-Yéwu.
Esprit de groupe : elle a été secrétaire générale de l’Association des juristes sénégalaises. Elle se souvient de ces matins d’un autre temps, qu’elle traversait pour se rendre à la Radio Télévision Sénégalaise, par devoir de sensibilisation des populations autour des règles du Code de la famille.
Beaucoup de choses. Elle se rappelle. Elle ne regrette pas. Elle se réjouit. Et comment ne pas se réjouir, sachant qu’en 2000, parmi cette multitude de visages qui s’illuminaient des rayons de savoir qu’elle dispensait, il y en avait un qui venait de Ndiaganiao. Et qui est devenu ce qu’il est devenu…
Par Moussa SECK