N’en déplaise à ceux qui véhiculent les stéréotypes et critiques sexistes sur le féminisme, Amy Sakho se réclame du féminisme. La juriste incarne aujourd’hui le combat pour la légalisation de l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste. Directrice de programme plaidoyer Afrique de l’Ouest de l’Ong Planned Parenthood Global, Amy Sakho ne vit que pour le combat pour les droits des femmes.
On ne peut pas parler de légalisation de l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste sans citer Amy Sakho. Actuellement directrice de programme plaidoyer Afrique de l’Ouest de l’Ong Planned Parenthood Global, spécialisée dans la santé de la reproduction des femmes et des filles, elle mène le combat pour l’avortement médicalisé au Sénégal depuis plusieurs années. On se souvient de son impact au sein de la Task Force du comité de plaidoyer en faveur de l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste, de 2013 à 2021. Amy Sakho, quadragénaire à la peau d’ébène, porte en elle le feu tranquille du militantisme.
Silhouette discrète, presque effacée, elle avance pourtant droite dans ses convictions, insensible aux flèches décochées par les cercles anti-droits ou les dogmes conservateurs. Sa voix, douce et vibrante comme une corde tendue, révèle pour autant une forme de retenue, tandis que ses gestes, eux, feutrés, presque furtifs, sont empreints d’une pudeur qui pourrait passer pour de l’hésitation. Mais il n’en est rien. Car derrière cette douceur apparente se dresse une femme résolue, arc-boutée contre les violences faites aux femmes, et ardente défenseure de leur émancipation. « Ce plaidoyer, c’est mon affaire », affirme-t-elle, l’éclat tranquille dans le regard.
Un militantisme né alors qu’elle était encore au collège. Un coup du destin, peut-être, car Amy Sakho rêvait de devenir journaliste. À l’école, elle s’essayait même à la présentation. Mais, une fois au Cem Ibrahima Thiaw des Parcelles Assainies, l’histoire d’une de ses voisines a été un déclic. Celle-ci, abandonnée avec ses enfants par son mari qui venait de prendre une seconde épouse, la jeune Amy, bouleversée par les pleurs de la femme, lui suggère d’aller au tribunal. La malheureuse refuse, ne voulant pas traduire le père de ses enfants en justice ni être la risée de sa famille.
Sacerdoce
Forte de son engagement naissant, la collégienne se met alors dans la peau d’une avocate pour la défendre. « Je me suis mise à faire des recherches pour savoir comment saisir les tribunaux. Je me suis dit que j’allais faire du droit pour réparer cette injustice, cette violence subie par la dame », se remémore Amy Sakho, les yeux pleins de lassitude, comme si elle revivait l’histoire. Son impuissance à l’aider a fini de la convaincre de faire des études de droit. En Terminale au Lycée Limamoulaye de Guédiawaye, elle choisit la Faculté des sciences juridiques pour les trois options. « On m’a dit qu’il ne fallait pas choisir une seule matière, j’ai rétorqué que je ferais du droit. Depuis lors, je ne vis que pour le droit », dit celle qui est sortie de l’Université Bourguiba de Dakar avec un Master en droit des affaires et droit international.
Ce diplôme lui a ouvert la porte de plusieurs cabinets d’avocats où elle a travaillé comme juriste interne. Cependant, la proximité avec les avocats et les magistrats ne lui a pas donné l’envie de fréquenter les juridictions en tant qu’acteur judiciaire.
« Il y a cette interaction qui me manquait. Je voulais plus interagir avec les victimes et leur apporter mon soutien d’une autre manière », explique l’ancienne juriste interne et animatrice d’émissions sur le droit des femmes. Sous le prisme de ce sacerdoce, elle intègre l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) en 2011. Ce qui lui a permis de côtoyer plusieurs victimes de viols et d’incestes, surtout de petites filles. Cette situation la révulse et renforce davantage son engagement à soutenir les victimes d’abus sexuels. « J’avais tellement d’empathie pour ces petites filles-là qu’à un moment donné, je me suis dit que je n’avais pas le droit de ne pas m’engager parce que je le vis au quotidien. Je les côtoie au quotidien et je leur apporte mon assistance, mais pour moi, l’assistance ne suffit pas. Il faut aller au-delà de la condamnation des violeurs », confie Amy Sakho. Joignant l’acte à la parole, elle commence à aider l’Ajs dans l’élaboration des documents et l’organisation d’activités. Son expérience acquise au niveau des cabinets d’avocats de Me Ciré Clédor Ly et de la Scpa Diop, Sy et Camara, mais également à la Maison de justice des Parcelles, lui permit de gravir les échelons et d’affirmer son leadership. Car l’assistante passe de consultante titulaire au bout de six mois.
Elle devient ensuite coordonnatrice de la boutique de Médina. Avec l’ouverture de la boutique de Pikine en 2013, la coordonnatrice y est affectée. Poursuivant son ascension fulgurante, en juillet 2017, Amy Sakho rejoint le siège de l’Ajs à Liberté 6 en tant que chargée de programme et de communication. En juin 2021, c’est le début du succès international avec son recrutement à l’Ong canadienne Ceci en tant que spécialiste égalité femmes-hommes. Là, ce n’est que le début d’une riche carrière internationale puisque trois mois après, elle atterrit comme chargée de projet à l’Ong américaine Planned Parenthood Global. Les succès s’enchaînent pour la militante des droits des femmes qui, au bout d’un an, est nommée manager de programme plaidoyer avant d’occuper, six mois après, le poste de directrice de programme plaidoyer Afrique de l’Ouest. Mais toujours est-il que les dix années passées à l’Ajs ont forgé son militantisme féministe.
Car, là-bas, Amy Sakho a rencontré beaucoup de femmes engagées. Mais l’une d’elles, Fatou Kiné Kamara, professeure à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Dakar, l’a boostée. La connexion et l’admiration envers la présidente de l’Ajs d’alors ont permis à Amy Sakho de découvrir qu’elle avait le féminisme dans les veines. « Je n’avais aucune notion du féminisme. Je voyais des femmes qui s’en réclamaient, mais j’ignorais que ce que je faisais c’était du féminisme. C’est Fatou Kiné Kamara qui m’a fait découvrir que j’en suis une », clame Amy Sakho. Combat pour l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste Son engagement lui permet de surmonter les stéréotypes, les critiques et les attaques.
« Je me plais à me réclamer féministe », insiste-t-elle, avant de soutenir que les préjugés sont l’œuvre de ceux qui ne comprennent pas le sens de son engagement. « C’est une construction qui résulte du système patriarcal qui veut tout simplement nuire à l’image des féministes », balance celle qui rêve de voir le Code de la famille réformé pour que toutes les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes et des filles soient modifiées et adaptées au contexte sénégalais. Son rêve est aussi que l’avortement médicalisé soit autorisé en cas de viol incestueux. Pour Amy Sakho, ce jour-là, on rendrait le meilleur service aux victimes.
Fatou SY