L’infirmerie est un corps de métier à part. Il existe des infirmiers dans le monde portant le titre de docteur : des praticiens ayant suivi des études universitaires. C’est le cas de la lauréate du Prix Reconnaissance, organisé par le Réseau international des infirmières francophones (Siddiief), la docteure Awa Seck, une infirmière affichant plus de trente ans de service. Son ambition est de donner plus de crédit au métier d’infirmière grâce à une formation rigoureuse des professionnels de ce corps.
Une infirmière détentrice d’un doctorat en santé communautaire, cela ne court pas les couloirs des établissements sanitaires au Sénégal. Mais pour la Dr Awa Seck, cette performance, loin d’être une fin en soi, est avant tout une source de motivation. Le métier d’infirmier est, la plupart du temps, exercé par un personnel médical détenteur d’une formation académique de niveau baccalauréat ou du Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Awa Seck souhaite avant tout être au service du monde médical auquel elle a dédié sa vie professionnelle. Mariée et mère de famille, l’infirmière « doctoresse » garde toujours le sourire, un sourire qui ne la quitte jamais devant ses patients.
Discrète, elle ne revendique pas le titre de « docteur » face aux médecins. Awa Seck, lauréate du Prix Reconnaissance, visage radieux, teint noir, sourire permanent, considère le métier qu’elle exerce depuis 30 ans comme un sacerdoce. « J’ai débuté ma carrière d’infirmière à l’âge de 23 ans », glisse-t-elle. En plus de son diplôme technique en soins infirmiers, elle est titulaire d’une maîtrise en santé communautaire obtenue à l’Université Laval, au Canada, puis d’un doctorat dans le même établissement. Elle est la seule infirmière au Sénégal à détenir un doctorat. Awa Seck est également titulaire d’une licence en administration des services de santé et en pédagogie délivrée par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce parcours d’exception lui a permis d’accumuler plus de 20 ans d’expérience dans l’enseignement technique et universitaire au Sénégal, au Canada et dans plusieurs autres pays africains. Tout au long de sa carrière, la Dr Seck a participé à l’élaboration de plusieurs programmes de formation initiale et continue, de modules et de guides de formation pour les infirmières au Sénégal. Elle s’est aussi distinguée par la publication périodique de fascicules de soins infirmiers à destination des étudiantes issues de milieux modestes, n’ayant pas les moyens d’acheter des ouvrages commerciaux.
Passionnée par la transmission du savoir, Mme Seck a contribué à la formation d’une vingtaine de promotions d’infirmières. Mieux encore, elle a, en collaboration avec le Centre canadien de coopération internationale en santé et développement (Ccisd), renforcé les capacités des responsables de neuf pays d’Afrique de l’Ouest, dans le domaine de la communication pour le changement de comportement, dans le cadre du projet Sida 3.
Pour un ordre des infirmiers
Son expertise en santé communautaire a été un atout certain pour son poste de professeure invitée à l’Université du Québec à Rimouski (Uqar), où elle enseignait les soins infirmiers communautaires et l’éducation pour la santé. Soucieuse de la bonne santé des populations, l’infirmière-docteure informe qu’elle avait la charge d’un centre de protection maternelle et infantile pour les femmes enceintes et allaitantes, ainsi que pour les enfants, qu’ils soient sains ou malades. « J’allais souvent dans les villages pour mener des séances d’éducation pour la santé. Et je pense que ce sont mes débuts de carrière qui ont été déterminants pour la suite », dit-elle. Elle a intégré très tôt l’École nationale des infirmiers et infirmières d’État du Sénégal qui, à l’époque, était située à l’hôpital Le Dantec.
« J’y ai travaillé pendant trois ans et, ensuite, j’ai réussi le prestigieux concours d’entrée au Centre d’enseignement supérieur en soins infirmiers. J’ai été la première infirmière du Sénégal à y accéder. Ce centre avait été mis en place par l’Organisation mondiale de la santé au Sénégal et au Cameroun pour former des cadres infirmiers et sages-femmes intermédiaires. Le Sénégal y recrutait cinq personnes par an : trois infirmiers et deux sages-femmes », explique la lauréate.
Évoquant le prix avec toute la modestie qui la caractérise, elle indique qu’il permet de rendre visible la contribution des infirmières à l’échelle internationale, en mettant en lumière celles qui se sont distinguées dans leur domaine au sein de l’espace francophone. « Le prix récompense des services rendus à la santé des populations. Pour ma part, c’est surtout ma contribution à la santé publique à l’échelle internationale, mais aussi au rayonnement de la profession infirmière et à la formation des professionnels de santé. C’est un prix extrêmement important car il rend visible la personne, mais aussi, au-delà de la personne, la profession infirmière dans son pays », explique-t-elle.
Tout n’est toutefois pas rose dans son métier. Elle exprime son inquiétude quant à la qualité de la formation actuelle des infirmiers affectés aux postes de santé ruraux. Elle appelle à une meilleure organisation de la profession. Elle confie avoir reçu une formation qu’elle juge supérieure à celle des jeunes infirmiers formés aujourd’hui. « Avant, il n’y avait qu’une seule école formant les infirmiers. Aujourd’hui, il y en a beaucoup trop », dit-elle, en s’inquiétant de la prolifération des écoles de formation. Elle tient à rappeler que le métier d’infirmier n’est pas subordonné à celui de médecin. « Nous ne sommes pas une profession subordonnée, mais une profession alliée. Nous avons un code d’éthique et un code de déontologie, tout comme la profession médicale. Nous avons nos propres activités ainsi que des activités déléguées », précise-t-elle, soulignant la différence entre les deux métiers.
La lauréate appelle l’État et les organisations de santé à œuvrer pour la création d’un ordre professionnel des infirmiers. Car, révèle-t-elle, le Sénégal est l’un des rares pays d’Afrique à ne pas en avoir. Or, un tel cadre aurait pour premier rôle de protéger la population, de réguler la profession, et de sanctionner quand cela s’avère nécessaire.
Par Samba DIAMANKA