À Rufisque, Dieynaba Wellé incarne une nouvelle forme de résilience. Handicapée motrice, elle a dû apprendre à se battre pour exister et pour aider les autres. Aujourd’hui, elle dirige un salon de coiffure, coordonne un groupement de femmes et préside une section locale d’une association, tout en formant gratuitement de jeunes filles.
« Il m’arrive d’oublier que je vis avec un handicap » ! Une déclaration qui confirme son courage, son abnégation au travail et sa détermination à aller de l’avant contre vents et marées.
Dieynaba Wellé souffre d’un handicap moteur, mais elle n’a jamais laissé cette situation définir qui elle est. Ce handicap n’a pas non plus constitué un frein à ses ambitions et à la réalisation de ses objectifs et de ses rêves.
« Je me suis toujours battue et je continue à me battre pour mon épanouissement personnel. Je ne suis pas et je ne serai jamais une personne dépendante », dit-elle avec conviction. Son objectif : réussir sa vie dans la dignité.
Âgée de 39 ans, native de Grand-Yoff, Dieynaba a quitté les bancs de l’école en classe de Cm2. Elle ne se souvient pas de l’année, mais les conditions difficiles auxquelles elle était confrontée pour rejoindre son lieu d’apprentissage restent gravées dans sa mémoire. Elle ne peut pas les oublier. Ses souvenirs sont tout frais.
« Je me déplaçais difficilement et je n’avais ni béquilles ni chaise roulante. Je rampais pour aller étudier. C’était très difficile pour moi, car mon école n’était pas proche de chez nous. J’ai arrêté parce que je n’en pouvais plus », confie-t-elle, avec désolation.
Des membres de sa famille ont, selon elle, saisi l’occasion pour lui proposer de se lancer dans la mendicité. Une proposition qu’elle a refusée immédiatement. Avec fermeté. « Moi mendier, cela ne m’effleurait même pas l’esprit. Je préférais mourir plutôt que de tendre la main pour vivre », dit-elle fièrement.
Femme engagée
Dieynaba Wellé fait partie de ces jeunes femmes qui ont choisi de se battre pour leur avenir. Consciente que la vie est un éternel combat et qu’il faut farouchement se battre pour tracer son propre chemin, elle décide de prendre son destin en main.
Son premier job : la restauration. Elle travaillait chez « sa grande sœur », tenancière d’une gargote au garage de Grand-Yoff. Elle y a fait quelques années, mais gagnait peu. Une modique somme qui ne lui permettait pas de satisfaire tous ses besoins. Elle a dû arrêter, refusant l’exploitation.
Sans perdre de temps, elle entre en contact avec l’association des personnes handicapées située à Derklé pour voir si elle n’offrait pas de formation. Elle reçoit une réponse positive. Elle commence une formation en confection de poupées en fil de fer.
« C’était une formation intéressante. Elle développait notre esprit créatif », apprécie-t-elle, mais elle s’empresse de préciser : « ce n’est pas un domaine dans lequel je voulais me spécialiser ».
Ainsi, en 2005, à l’âge de 18 ans, une opportunité lui est offerte. À cette époque, une « grande coiffeuse » rufisquoise, du nom de Diatou Dièye, décide d’offrir dix bourses de formation à dix femmes souffrant d’un handicap. Dieynaba Wellé dépose son dossier de candidature. La chance lui sourit.
Elle fait partie de celles qui ont été retenues pour suivre la formation. Très vite, elle s’intègre, prend ses marques et se met au travail. Elle effectue un parcours sans faute de la première à la quatrième année. Son abnégation et son sérieux dans son apprentissage sont récompensés par une attestation qu’elle a fièrement encadrée et fixée sur le mur de son salon de coiffure, ouvert en 2010.
Ce salon se trouve à Rufisque Est, non loin du terminus de la ligne 57 des bus Tata. L’intérieur est sobrement décoré. Un sofa pour accueillir les clients, un espace de travail avec quatre chaises, une vitrine contenant des produits de traitement y sont visibles.
« Je n’ai pas un salon de coiffure luxueux, mais ici, la cliente est traitée comme une reine », rassure-t-elle avant de détailler les services qu’elle offre : « Je fais du maquillage, des tresses, des soins du visage, du traitement capillaire. Bref, nous faisons tout ce qui embellit la femme ».
Par ailleurs, Dieynaba Wellé forme gratuitement à la coiffure de jeunes filles qui ont quitté l’école. « Je veux accompagner mes sœurs, partager avec elles mon expérience pour leur montrer que nous devons nous battre pour gagner notre place dans la société. Nous vivons dans un pays où l’inclusion sociale fait encore défaut. On m’a aidée pour en arriver là, je dois faire autant », dit-elle avec une générosité sincère.
Dieynaba Wellé est l’incarnation parfaite de la femme engagée. Elle est membre très active de réseaux qui œuvrent pour la promotion des droits des femmes au Sénégal. Elle a reçu un renforcement de capacités qui lui permet de mieux défendre la cause des femmes. Avec pertinence.
Plusieurs casquettes
En plus de son métier de coiffeuse, Zeyna, comme l’appellent les proches, porte d’autres casquettes. Elle est la présidente d’un groupement d’intérêt économique (Gie), regroupant 22 femmes souffrant d’un handicap. Elles s’activent dans la transformation de céréales locales.
« Thiakry », brisure de maïs, semoule de mil et de riz sont les différents produits qu’elles vendent. Leur plus grand partenaire : la cantine scolaire de Rufisque. « C’est nous qui fournissons toute la commande, pendant l’année scolaire, de cette cantine. Nous vendons aussi à d’autres particuliers », explique-t-elle, précisant que leurs activités ralentissent pendant la période de l’hivernage parce que, d’une part, la cantine scolaire ne fonctionne pas durant les trois mois de vacances et, d’autre part, à cause des inondations.
Dans ce Gie, les femmes ne sont pas payées à la fin du mois. Les bénéfices qu’elles font sont gardés dans un compte bancaire et, c’est lors de grands événements comme la rentrée scolaire, la Tabaski et la Korité qu’elles font le partage.
« C’est toujours un partage équitable. Avec ce qu’elles perçoivent, elles auront de quoi passer de bonnes fêtes et acheter de beaux habits pour leurs enfants », explique-t-elle.
Une autre fonction occupée par Dieynaba : elle est la présidente du réseau des femmes de Rufisque Est nommé « And Xeex Niaak ». Cette association lutte pour l’autonomie des femmes. Avec les fonds qu’elles collectent, toute femme membre de ce réseau peut bénéficier d’un crédit pour démarrer une activité. Un prêt à taux zéro.
« C’est un réseau très dynamique. Nous n’avons pas de partenaires, mais nous essayons d’avancer avec les cotisations des membres. Nous travaillons sur la création d’une mutuelle de santé. La santé coûte très cher au Sénégal. Notre objectif est que toutes les femmes de notre réseau puissent accéder à la santé sans problème », souligne-t-elle.
Pour mener à bien les différentes fonctions qu’elle assume, Dieynaba est bien organisée. Elle planifie tout.
« Chaque matin, je pars au Gie. C’est moi qui supervise et contrôle ce que font les femmes. Je veille au bon traitement des clients et que les gens viennent travailler à l’heure. Le soir, je vais travailler au salon. Pour le réseau, on se réunit chaque mois. Tout est donc une question d’organisation », dit-elle avec fierté.
Présidente de la section féminine de l’Association des handicapés de Rufisque, Dieynaba se définit comme « une personne intéressante » qui renvoie des ondes positives à son entourage. Elle dit être fière de sa trajectoire et de sa contribution au développement de sa localité.
« Chaque fois qu’on cite les femmes battantes de Rufisque, j’en fais partie et j’en suis très fière », souligne-t-elle modestement. Ses proches et amis louent sa persévérance dans le travail.
« Elle est une grande battante. Elle se donne à fond pour atteindre ses objectifs. Elle mérite d’être soutenue, elle mérite d’être prise en exemple », témoigne Ndèye Séni Ngom, présidente du comité des femmes de la fédération départementale des associations de personnes handicapées.
Des projets, elle en a. Elle rêve d’avoir une grande unité de production qui pourra recruter des personnes handicapées. « C’est ma vision, mon vœu », confie-t-elle avant de demander aux nouvelles autorités étatiques de financer son projet qu’elle veut concrétiser.
Son autre souhait : avoir un véhicule qui lui facilite ses déplacements.
Aliou DIOUF