Il porte un nom italien mais c’est un Sénégalais bon teint. Des enfants qui naissent sans parents aux personnes âgées, en passant par les enfants de la rue, les drogués ou les prostituées, Éric Alapini a toujours côtoyé les groupes vulnérables. Aujourd’hui, il veut développer les soins palliatifs au Sénégal.
Il y a beaucoup à dire sur Éric Alapini. A commencer par son nom de famille. Alapini, ça ne sonne pas vraiment sénégalais. « C’est toute une histoire », sourit-il. Cette histoire, c’est celle de son père, un Diatta originaire de l’île Hitu en Basse Casamance, qui a été adopté par un Italien. Voilà comment Éric, un diola bon teint, est amené à porter un nom italien. S’il est devenu « Italien » par la force des choses, Éric aurait pu aussi avoir un autre destin… royal, puisqu’il appartient, aussi bien du côté de sa mère que de son père, à la famille royale de Cabrousse. « Ma grand-mère est la sœur directe de Alin Sitoe Diatta », tient-il à préciser. Mais ça, c’est une autre histoire.
Le destin d’Éric s’est écrit loin de ce trône, le menant auprès des sans voix, des groupes vulnérables, des marginalisés. Mais avant de revenir sur ce point qui constitue le fil conducteur de sa vie, il convient de préciser comment s’est faite notre rencontre avec Alapini.
Ce samedi 25 janvier, dans la fraîcheur matinale, nous nous sommes donné rendez-vous devant l’hôpital Nabil Choucair à Dakar pour un voyage de presse organisé par la Fao à l’intérieur du Sénégal sur le vol de bétail. J’ai d’abord pensé à un éleveur de porcs lorsqu’on m’a signalé qu’il est membre de l’Association nationale de lutte contre le vol de bétail. L’homme se montre discret durant tout le voyage, orientant discrètement le président de cette association dont il est le conseiller technique depuis le début. Que fait un socio-anthropologue dans le vol de bétail ? « En tant que socio-anthropologue en sciences comportementales, tout ce qui touche la société nous interpelle. Et le vol de bétail touche l’ensemble des éleveurs et menace la santé publique et l’économie du Sénégal », répond Éric Alapini. Ce qui l’a le plus motivé dans ce projet, c’est l’aspect social qui affecte notamment les femmes et les enfants. Tout s’éclaire.
Aux côtés des personnes vulnérables
Après une thèse sur les enfants de la rue soutenue à l’Ucad en 1987, Éric Alapini a passé toute sa carrière dans l’accompagnement des groupes vulnérables. Les enfants qui naissent sans parent, les enfants de la rue, les usagers de drogue – dans le cadre du programme Udsen (Usagers de drogue au Sénégal), l’homme a toujours côtoyé les marginalisés. C’est lui qui a accompagné Anta Mbow dans le projet « l’Empire des enfants ». Il a aussi travaillé dans des projets de sensibilisation des prostituées et des homosexuels dans la prévention du Sida. « C’est un problème de santé publique », se justifie Eric, un peu gêné d’aborder ce sujet. Durant sa longue carrière, il a été particulièrement marqué par Emmanuel Ndione « un homme qui a une grande expérience » et Laurent Diène aux côtés de qui il a travaillé dans le cadre du projet « nebeday » à Enda Graf.
En 2016, il décide d’émigrer en Suisse. Au pays du lac Léman il découvre une autre culture avec les personnes âgées en s’occupant de celles en fin de vie dans les homes (maisons de retraites) avec ce qu’on appelle les soins palliatifs. Une expérience qu’Éric veut développer au Sénégal, en formant des gens qui sont dans le milieu médical afin de les outiller à accompagner les personnes âgées ou en fin de vie et pourquoi pas mettre en place une école spécialisée sur les soins palliatifs. Une façon d’anticiper les mutations sociales en cours. « Au fur et en mesure que nos sociétés se développent, on risque d’avoir les mêmes comportements que les Européens. Dans une famille, souvent le papa et la maman travaillent ; il n’y a personne pour s’occuper des personnes âgées », constate Eric Alapini. Toutefois, il se dit conscient des différences culturelles. En Afrique, particulièrement au Sénégal, c’est « une honte » d’amener ses parents dans des maisons de retraite. Une question de dignité. C’est pourquoi le projet qu’il compte lancer au Sénégal se base sur des interventions à domicile pour tenir compte du contexte africain différent de celui de l’Europe.
Soins palliatifs
Ce projet d’assistance psychosociale aux personnes qui sont sur le chemin de quitter cette vie est d’autant plus nécessaire à ses yeux que c’est une façon de protéger un autre groupe vulnérable : les enfants. En Afrique, les personnes âgées sont souvent entourées par les enfants. Mais ce que les gens ignorent, c’est qu’elles peuvent transmettre beaucoup de maladies aux enfants. « Accompagner socialement et psychologiquement ces personnes qui nous ont tout donné est un projet de société », pense Éric Alapini, qui compte bientôt rentrer au pays puisque « (s)on avenir n’est pas en Europe ». Durant son séjour helvétique, il a vécu des situations marquantes. Il se souvient, lors de son premier stage d’observation au home de Landeier dans le canton de Neuchâtel, d’une dame âgée de 103 ans qui, lorsqu’elle a vu un géant Africain tout noir veiller sur elle avec autant de soin a fondu en larmes. « Quand je lui en ai demandé la raison, elle m’a dit, tu sais Eric : quand j’étais jeune fille j’étais raciste et je vois que ce sont des Africains comme vous qui prennent soin de nous dans les homes ». Une expérience qui l’a beaucoup marqué. Il se souvient également de cette personne en fin de vie qui avait un cancer de la prostate. « Je l’avais accueillie la veille et le lendemain on m’a annoncé qu’elle était décédée ; c’était un choc ». Le fait de travailler dans ce milieu où la souffrance et l’anxiété face à la mort sont le lot quotidien a changé sa perception des relations humaines et « corrigé » son regard sur les couches hautement vulnérables. Le fait d’assister ces personnes qui souffrent est une sorte de « communion, de recueillement et de confession », avoue ce fervent catholique, précisant que « bientôt, si Dieu le veut, je serai dans cette situation ».
Physique de boxeur, ce géant au grand cœur fut un bon sportif. Il a joué dans l’équipe minime du Jaraaf sous la houlette de Djeumb Ndiaye, l’ancien monsieur mots fléchés du Soleil, qui était à l’époque l’un des dirigeants du club médinois. C’est après une longue maladie (11 mois d’hospitalisation) qu’il s’est relâché et que « ce gros ventre » a commencé à pousser. Marié et père de quatre enfants (2 garçons et 2 filles), Éric Alapini est un papa démocrate – ses enfants l’appellent par son prénom – même s’il ne badine pas avec les études. Il aimerait que ses enfants suivent le même parcours que lui, c’est-à-dire aller à la recherche du savoir à l’étranger (« pourquoi pas au Rwanda un pays que j’apprécie beaucoup ou l’Afrique du Sud ? ») avant de revenir mettre leurs compétences au service de leur pays. « Je dis à mes enfants qu’il ne faut jamais émigrer pour développer un autre pays ». A bientôt 57 ans – il est né le 3 août 1968 – Éric Alapini ne donne pas vraiment son âge. « Je contrôle bien ce que je mange », précise ce diola qui raffole du « C bon » (riz blanc avec du poisson mariné). Sur le plan religieux, Eric Alapini est attaché à sa religion catholique mais garde « une distance critique ». « Je suis quelqu’un de libre. J’ai une seule religion, c’est Dieu. Même mon téléphone portable, je ne veux pas qu’il occupe trop ma vie ». Toute une philosophie.
Par Seydou KA