Elle n’est pas comme les autres. Unique dans son genre, Astou Fall veut toujours se démarquer. Un rêve brisé parce qu’elle aimait le football. Aujourd’hui, la native de Pikine impose sa marque de fabrique dans la mécanique. Dans cet univers, considéré comme un bastion masculin, elle a gagné sa place à la force de son talent et à l’argument de son courage. Sa présence n’est plus une curiosité mais une preuve vivante que la mécanique n’a pas de genre.
Sa vie consacrée à la mécanique fait d’elle un personnage mythique aux yeux de ses collègues. Respectée et adulée par ses camarades travailleurs, Astou Fall est cette femme capable de s’imposer dans le ring où ne boxent que des garçons.
Mécanicienne, elle fait ce travail depuis plus de dix ans. Mise dans le bain par son oncle qui travaillait dans ce domaine, cette femme à la démarche très imposante a tôt compris qu’il lui fallait de se dessiner son propre chemin pour se faire respecter dans la société. La mécanique n’était pas son rêve ni sa passion.
Mais, dit-elle, à un stade de sa vie, elle avait besoin d’un métier où elle pourrait s’épanouir et, par ricochet, gagner de l’argent et subvenir à ses besoins. Du coup, elle a, au fil du temps, aimé et pris du plaisir dans ce métier. Et aujourd’hui, la mécanique est l’activité qui résume son quotidien et garde un coefficient élevé dans sa vie.
Âgée de 40 ans, Astou est née à Pikine où elle a forgé ses premiers souvenirs d’enfance. Toute petite et ayant grandi dans une maison familiale, elle a commencé ses études françaises à l’école Icotaf jusqu’en classe de sixième, période à laquelle elle a décidé d’écourter ses études. Une nouvelle porte s’ouvre à elle après son abandon.
Sous les directives de sa mère, elle a commencé à s’initier au Coran, se familiarisant avec la lecture et la récitation du livre saint. « Je n’ai pas duré dans les études, parce que je voulais faire autre chose dès mon jeune âge », dit-elle.
Astou était obnubilée par le sport quand elle était jeune. Elle a allié football et basket pour vivre sa passion du sport. Quand il fallait choisir entre l’une des deux disciplines, le football, son sport favori, a pris le dessus. Une carrière de joueuse qu’elle a débutée avec les Sirènes de Grand-Yoff puis avec les Panthères. Elle évoluait au poste d’arrière droit.
« Je ne pensais faire autre chose que le sport et surtout le football. J’étais folle amoureuse et j’ai pris goût dès le bas âge, car, je suis née dans une famille qui aimait trop le sport. Mon grand frère qui faisait les arts martiaux a fait naître en moi cette fibre du sport. On partait souvent à la plage pour s’entraîner et c’est de là que j’ai commencé à découvrir le football. Puis dans les ruelles de nos quartiers je jouais avec les garçons. C’est ainsi qu’un de mes voisins du nom de Vincent m’a vue et m’a proposé de rejoindre les Sirènes de Grand-Yoff », se souvient-elle.
Du ballon rond aux boulons serrés
En 2005, son bonhomme de chemin dans le rectangle vert a dû s’arrêter. Mais Astou, non. Quelques années après, plus précisément en 2010, elle a décidé de se lancer dans la mécanique, sous les ordres de son oncle qui lui a appris les rudiments du métier et lui a montré la voie.
Dès lors, la jeune dame à la voix rogommeuse s’est fait un nom dans son métier de mécanicienne. Entretemps, elle a travaillé dans plusieurs ateliers, emmagasinant de l’expérience tout en peaufinant son ingéniosité. De Keur Massar où elle a débuté, elle passe par Castors et Mermoz avant d’atterrir aux Maristes où se trouve actuellement son atelier.
« Si j’ai choisi de devenir mécanicienne, c’est pour montrer que tout ce que les hommes font, les femmes sont aussi habilitées à le faire. Je suis issue d’une famille où j’ai très tôt compris que je dois travailler durement pour aider mes parents. Je gardais en tête que je ne dois jamais demander de l’aide à personne et tout ce que le travail peut offrir, je le gagnerai à la sueur de mon front. Cela m’a forgée davantage à croire en moi et à surmonter tous les obstacles », affirme-t-elle.
Un chemin parsemé d’embûches. Avant même de souffler sa deuxième bougie dans sa nouvelle aventure, Astou a perdu tôt son père qu’il ne reconnaît qu’à travers les photos. Ainsi, elle a été élevée par sa mère.
Les larmes aux yeux, elle témoigne : « Si j’ai un caractère inébranlable, c’est grâce à elle. Elle m’a pris sous ses ailes et malgré l’absence de notre père, elle a fait étalage de toute sa force pour trouver les moyens de nourrir ses enfants. »
Sa brave maman a ainsi endossé le costume paternel sans jamais délaisser sa douceur maternelle. « Je ne connais pas mon papa, mais tel qu’il est décrit par ma mère, son histoire et sa trajectoire m’ont façonnée. Il travaillait sans répit rien que pour aider sa famille m’a fait savoir ma mère, et c’est pour cette raison que je trouve toujours la force et l’énergie de travailler plus dur », explique-t-elle.
Dans ce métier « homologué à une présence plus masculine », Astou arrive à s’imposer. Robuste, la dame au teint noir foncé et à la taille moyenne a toujours la conviction d’avoir les capacités de bosser à la hauteur de ses limites.
Travailleuse acharnée, elle quitte toujours Mbao pour venir aux Maristes. Elle avait bénéficié d’une bourse de formation au lycée Maurice Delafosse pour comprendre davantage ce qu’est la mécanique afin de parfaire son savoir-faire.
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Elle est membre de l’association Revaas (Regroupement des vrais artisans de l’automobile du Sénégal), connue pour son engagement dans le dépannage gratuit lors des grandes cérémonies religieuses. Ce métier est son gagne-pain et constitue, pour elle, le seul moyen pour aider sa mère qu’elle chérit tant.
Célibataire, elle attend avec impatience le mariage, jetant son dévolu sur un homme travailleur et trop sensible sur le fait de prendre soin de sa femme (rires). Au premier regard, sa carrure, droite et athlétique, rappelle davantage celle d’un garçon.
Son visage aux traits anguleux dégage une grande fermeté, renforcée par une coupe de cheveux au style dreadlocks qui accentue encore ce côté androgyne. Dans sa démarche assurée, la façon dont elle s’habille et se tient, transparaît une énergie masculine qui contraste avec la douceur de ses expressions.
Ce mélange singulier entre force virile et finesse féminine lui donne une présence qui ne laisse personne indifférent. Trouvée dans son atelier aux Maristes, Astou est en pleine besogne, enchaînant les va-et-vient et faisant montre d’une grande sérénité.
Dans le vacarme métallique de l’atelier, parmi l’odeur d’huile et de fer chauffé, se distingue une silhouette singulière. Vêtue d’un uniforme bleu, Astou Fall incarne l’image d’une femme sénégalaise qui a choisi de briser les stéréotypes. Ses gestes sont précis et ses mains fermées sur les clés sont si assurées que celles de ses collègues masculins.
Astou la « Lionne »
Au milieu des garçons, elle ne se fond pas : elle s’impose au-devant de la scène. Son regard déterminé, son front perlé de sueur et ses chaussures de sécurité marquées par les longues heures de labeur racontent une histoire de persévérance.
L’un de ses collègues et parmi les vétérans de cet atelier, Ndiaga Kane, est très surpris par l’engagement d’Astou et de son amour indéfectible pour le travail. Il la décrit comme une lionne.
« Je la respecte trop quand je vois l’énergie qu’elle donne toujours au travail. Parfois même, elle fait plus que les garçons. Si elle arrive à titiller les hommes dans ce métier pénible, cela veut dire qu’elle se donne à fond sans réserve », témoigne-t-il avec assurance.
Il soutient que le travail n’a pas de genre et cette dame, ajoute-t-il, est l’exemple patent pour toute femme qui hésite à se lancer dans des domaines comme la mécanique ou autres. Toutefois, Astou souligne que la mécanique est un métier endurant au Sénégal, car, dit-elle, la plupart des gens qui évoluent dans ce domaine n’ont pas les moyens de leur politique.
Pour elle, ce qui fait défaut, c’est l’absence de matériels technologiques de pointe qui permettent de gagner du temps dans le travail mais aussi d’être plus efficaces.
« L’autre difficulté est liée au fait que la majeure partie des mécaniciens travaillent dans des endroits qui ne leur appartiennent pas. Ils trouvent des terrains vacants et, avec l’accord du propriétaire, commencent à travailler et quelques temps après ils sont déguerpis parce que le gars a besoin de récupérer son terrain », déplore-t-elle.
« Je pense que l’État doit trouver un site idéal pour regrouper plusieurs mécaniciens qui, moyennant une somme, peuvent abriter le lieu sous forme de location afin qu’ils puissent faire leur travail dans les conditions les plus optimales », préconise-t-elle.
Par Bada MBATHIE