« Ambitieux », « généreux », « pragmatique »… Formé à l’américaine, mais imbu des valeurs locales, le directeur Afrique de l’Ouest de Serengeti Energy voit toujours les choses en grand. Lamine Ndour, qui pilote actuellement un projet de centrale solaire à Tambacounda, a de l’énergie à revendre. Un parcours inspirant.
Une petite porte en taule débouche sur une vaste cour peuplée de deux vieux bâtiments en dur. « Rien n’a changé, la maison est restée la même », s’exclame Lamine Ndour, d’un ton ému. C’est ici, dans cette maison située au quartier Abattoirs de Tambacounda que tout a commencé. Nous sommes en 1985. Son père y était affecté comme ingénieur des travaux publics. Le jeune Lamine est inscrit à l’école élémentaire d’application située juste à côté de la maison familiale. Il n’y restera que 16 mois. Mais son passage à Tamba l’a profondément marqué. Né à Sédhiou dans la verte Casamance, il est un Sénégalais de synthèse par ses racines familiales et son itinéraire géographique – il a grandi entre Sédhiou, Tamba, Thiès, Fatick et Dakar. Ce 22 mai 2025, c’est avec beaucoup d’émotion qu’il revient au royaume d’enfance. Une sorte de pèlerinage. Une voisine diola qui était « tellement bienveillante avec nous », au contraire du Chinois qui prenait un malin plaisir à percer leur ballon de foot qui entrait dans sa maison, les champs de coton, la chasse au phacochère avec les copains, l’épreuve de la circoncision… Debout sur la véranda, donnant le dos sur ce qui fut sa chambre, les souvenirs remontent un à un à la surface.
À la différence de la maison familiale, l’école où le jeune Lamine a passé le Cp et une partie du Ce1, située juste à côté, a beaucoup changé. De nouvelles constructions ont émergé à côté de l’ancien bâtiment qui faisait office de salles de classe. « Il y a tellement de gens qui ont contribué à faire de moi ce que je suis devenu », philosophe Lamine Ndour, reconnaissant aux enseignants qui ont guidé ses premiers pas vers le savoir.
Ce lien affectif avec Tambacounda a conduit, en plus des aspects techniques – ensoleillement, disponibilité du foncier, proximité d’un poste électrique et d’une ligne d’interconnexion de l’Omvg – au choix de Dialocoro (commune de Sinthiou Malème, département de Tamba) pour abriter la centrale Serengeti Energy Tamba Solaire que pilote Lamine Ndour. Cette centrale, dont les travaux devraient débuter en novembre 2025, doit produire 56,7 MWc pour un investissement de 68 millions d’euros (44 milliards de FCfa). À terme, l’objectif est d’atteindre une puissance installée de 250 MWc ; ce qui en ferait la plus grande centrale solaire à stockage de l’Afrique subsaharienne. En plus d’être développée par une équipe entièrement locale, elle a la particularité d’offrir à la Senelec le coût du kWh le moins cher sur le marché (32 FCfa) grâce à une approche livre ouvert et une invite du ministre en charge de l’Énergie. « On a fait du Jub-Jubal-Jubbanti avant l’heure. Dès le début des négociations, j’avais dit que je n’allais pas signer quelque chose contre les intérêts du Sénégal, le projet doit être win win pour le Sénégal et Serengeti Energy », explique Lamine Ndour, avec fierté. Le même souci guide ses choix en matière de Rse et d’indemnisation des personnes affectées par le projet, qui a été en parfaite cohérence avec les réglementations nationales et internationales.
Une formation à l’américaine
Physique de basketteur, crâne rasé, barbe bien taillée, lunettes… Lamine Ndour est un adepte du « door mu daanu ». L’homme a de l’énergie à revendre. Une énergie positive qu’il a transmise à toute l’équipe du projet. Ce style de management est le fruit d’une formation à l’américaine. Après son bac au lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque, il effectue un bref passage à l’Ucad avant de rejoindre les États-Unis pour poursuivre ses études, précisément à l’université d’État d’Alabama à Birmingham. Un choix plutôt surprenant pour un jeune Africain. Il fut le premier Sénégalais à intégrer cette université. « Dans notre programme de Mba, on était cinq Noirs (un Nigérian, un Kényan et deux noirs américains) sur 40 étudiants », raconte-t-il. Signe que quelque chose n’allait pas dans cette Amérique rurale connue pour son conservatisme pour ne pas dire raciste. Déterminé à réaliser son rêve américain, il y obtient un Bachelor en analyse économique et un Mba en Corporate Finance et a été nommé meilleur étudiant étranger et meilleur étudiant dans le département d’économie, de finance et d’analyses quantitatives. Il est également titulaire d’un Master Exécutif en Gestion des Projets d’Energies à l’École supérieure de Commerce de Paris (Escp) au campus Londres, avec une spécialisation Investissements dans les énergies nouvelles, notamment le gaz et les technologies renouvelables.
Après plus de quinze ans aux États-Unis, dont sept à New York travaillant dans le capital-risque et la structuration de projets, il décide, à partir de 2009, de rentrer progressivement au Sénégal pour apporter sa contribution au développement national. Il travaille d’abord dans des projets d’investissement dans l’énergie et les infrastructures, notamment pour le compte du Millenium Challenge Corporation (Mcc). Depuis mars 2021, il est le directeur régional de Serengeti Energy pour l’Afrique de l’Ouest, pilotant des projets d’énergie renouvelable dans 35 pays africains. « Aujourd’hui, nous sommes très engagés à développer la centrale Serengeti Energy Tamba Solaire et d’en faire l’une des plus grandes centrales en Afrique subsaharienne », dit-il.
Voir en grand
Lamine Ndour a la particularité de voir tout en grand. Djibril Dione, actuellement directeur général adjoint de la planification et des politiques économiques (Dgppe) au ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, retient de lui sa capacité à réconcilier les positions. Les deux hommes se sont connus en mai 2015 et ont travaillé ensemble pendant trois ans dans le cadre de la structuration du Millenium Challenge Account (Mca-II Sénégal) dédié à l’énergie. À l’époque, Lamine Ndour était le point focal du Mcc à Dakar et représentait donc le gouvernement américain, lui faisait partie de l’équipe du Sénégal. « Il a joué un rôle très utile et a beaucoup contribué à la conclusion satisfaisante du Compact », témoigne Djibril Dione. Il se souvient d’un collaborateur compétent, respectueux, mais très exigeant. « Il ne se contentait pas de paroles en l’air. Devant chaque situation, il demandait où sont les évidences. Il m’a beaucoup fatigué, mais c’est une expérience qui m’a beaucoup servi sur le plan professionnel », témoigne Djibril Dione. Son collègue à Serengeti, Bertrand Donfack, loue également « la transparence, l’honnêteté et l’équité » de Lamine Ndour. « Lamine incarne à lui seul une objectivité et une franchise dans les prises de décision », déclare M. Donfack.
Abdoulaye Niane, son ami d’enfance, avec qui il a gardé les vaches et cultivé les champs, tout petits, décrit un homme généreux. « Il a la main sur le cœur ; il aime recevoir du monde chez lui », dit-il, citant ses nombreuses actions sociales au village. Mais ce qu’il retient surtout de Lamine, c’est sa fidélité en amitié. « Depuis plus de quarante ans que nous cheminons ensemble, il n’a jamais changé ». Symbole de cette amitié qui défie le temps, l’unique garçon de Niane porte le nom de Lamine Ndour. « Son seul défaut, constate Niane, c’est qu’il voit tout en grand. Il est trop ambitieux ». Ainsi, lorsqu’il a fallu aider l’ami d’enfance qui venait de perdre son emploi, Lamine a créé une entreprise de Btp et lui a confié la gestion. Aujourd’hui, l’entreprise emploie 15 personnes. « C’était une façon de m’aider tout en préservant ma dignité, cela m’a beaucoup marqué », raconte Niane, ému. Le journaliste du « Soleil » Samba Oumar Fall, qui a partagé le lycée avec Lamine Ndour dans les années 90 à Dakar, se souvient d’un élève ambitieux et féru de basket. « Il était rare de le voir sans son fidèle compagnon : le ballon orange », dit-il. Lui aussi décrit un homme « fidèle en amitié » et qui « a toujours été très ambitieux ». « À l’époque, il voyait déjà grand, très grand même », raconte Samba Oumar Fall, pas surpris du parcours de son ami.
Par Seydou KA