Poétesse, éditrice, accompagnatrice d’auteurs, Mame Ngoné Faye fait de l’écriture un chemin de vie et de résistance. Avec sa maison d’édition Le Fil d’Ariane, elle tisse un espace où les récits féminins peuvent éclore, circuler et rayonner.
Les mots, Mame Ngoné Faye les tisse telle une araignée devant sa toile. L’art de choisir, polir et formuler les termes avec justesse, elle l’a appris depuis sa tendre jeunesse. À 22 ans, l’âge où les jeunes filles se cherchent, Mame Ngoné, elle, a déjà trouvé sa voie. La professeure de techniques d’expression saute le pas et publie son tout premier recueil de poèmes, Épaves oniriques. Cette première œuvre est le reflet d’une vie inusable, tachetée d’orgueil, de solitude, mais aussi d’éruptions de liberté. Un cri sourd, mais mélodieux, là où la douleur parvient à se donner à l’autre comme un présent, comme tout ce qui reste à offrir en attendant que les chairs de la plaie du cœur se rejoignent.
« C’était un texte très intime, assez brut, mais porté par une urgence d’écrire. Je remercie d’ailleurs L’Harmattan Sénégal qui m’a fait confiance à l’époque », confie cette amoureuse des écrits de Charles Baudelaire. Première autrice à publier dans la collection Rimes et Prose, Mame Ngoné Faye finit par la diriger quelques années plus tard. L’appétit venant en mangeant, la correctrice et relectrice professionnelle enchaîne avec un autre recueil, Effluves délétères, sous le pseudonyme Alma Negra, son alter ego plus sombre, plus libre.
Puis, en 2018, avec un groupe d’amis, le « G8 », elle coécrit un ouvrage collectif en amont des élections présidentielles : Sen Njaxas, cocktail citoyen, Contribution du G8 pour un Sénégal différent. « J’y ai signé une nouvelle sur le rôle de l’artiste en temps de crise, sur ce que veut dire porter une voix quand le pays doute », explique la poétesse.
Dans ses textes, la professeure de techniques d’expression et de communication parle de l’intérieur. Le lecteur peut y retrouver l’introspection, la spiritualité, les doutes, le désir, les fêlures. « Je n’écris pas pour poser des certitudes, mais pour chercher. Pour interroger ce qui nous bouscule, ce qui nous dépasse », confie-t-elle.
Relier l’auteur à ses lecteurs
La littérature, Mame Ngoné Faye la vit au plus profond d’elle. Loin de se contenter d’une simple cérémonie de lancement, d’une vidéo ici ou là, l’écrivaine va créer ce fil qui va lier à jamais l’auteur et ses lecteurs. « L’art ne nourrit pas son homme », dit-on. Cette sempiternelle rengaine, Mame Ngoné Faye en a fait l’amer constat. Après l’euphorie suscitée par l’édition, la réalité finit par rattraper l’artiste. « Il y a peu de lecteurs, en tout cas peu qui achètent régulièrement. Souvent, ce sont les proches, amis, famille, collègues, qui achètent par soutien. Ou alors quelques amoureux du livre, fidèles mais pas si nombreux que ça. Pour toucher plus large, il faut avoir des contacts, connaître les bons circuits, les gros acheteurs. Et tout cela demande du temps, de l’énergie, et souvent même de l’argent », constate-t-elle amèrement.
Mais cette dernière estime qu’une bonne promotion peut pallier cet état de fait. L’autrice estime qu’il faut aller vers les lecteurs, organiser des rencontres, des plateaux télé, des ateliers dans les écoles, des clubs de lecture, des causeries, d’autres formats numériques. Il faut donner une visibilité à l’auteur. Pour l’écrivaine, il n’est pas question que le lecteur passe rapidement devant un bouquin ou qu’il disparaisse aussi vite qu’il a été édité. « Je veux que les livres vivent, qu’ils circulent, qu’ils fassent parler. Nous n’allons pas rester là à attendre que ça se passe. Nous allons chercher les lecteurs, un par un s’il le faut. C’est d’ailleurs pour cela qu’avec Le Fil d’Ariane, la promotion fait partie des priorités. Ce n’est pas une option », dit-elle avec assurance.
L’accompagnement comme leitmotiv
Mame Ngoné Faye a su, au fil du temps, tisser un lien solide avec les auteurs. La spécialiste de l’accompagnement d’auteurs a noué d’étroites relations avec les écrivains. « Ils venaient vers moi pour que je relise leurs textes, mais aussi pour leur donner un avis sur les maisons d’édition, les contrats, les meilleures options pour publier. Je ne pensais pas, à ce moment-là, créer ma propre maison d’édition », dit-elle avec une pointe de nostalgie. C’est ainsi qu’est née l’idée du Fil d’Ariane.
À l’origine, Le Fil d’Ariane est une agence d’écriture, centrée sur la relecture, la réécriture et le coaching littéraire. « J’aimais ce travail de l’ombre, ce lien direct avec les auteurs, cette possibilité de les accompagner dans la naissance de leur projet », confie l’autrice. Et de fil en aiguille, l’idée de créer un espace qui lui ressemble, et qui ressemble aux auteurs, germe dans sa tête. Telle Ariane guidant Thésée (NDLR : dans la mythologie grecque, Ariane aide Thésée à sortir du labyrinthe du Minotaure en lui donnant un fil pour retrouver son chemin après avoir tué le monstre. Sans ce fil, Thésée se serait perdu), Mame Ngoné Faye guide les auteurs, clients ou lecteurs à travers les méandres de l’écriture, en leur offrant un fil conducteur clair et rassurant.
« À la base, je suis une grande passionnée de mythologies, surtout grecque et égyptienne. Quand j’ai voulu créer mon agence d’écriture, en 2016, j’ai passé des jours à explorer les noms de déesses et de muses », narre-t-elle, émue. L’histoire d’Ariane et Thésée a tout de suite fait tilt. « Il y avait tout dedans : l’idée de guidance, de transmission, d’un fil qu’on suit pour ne pas se perdre. Et, comme justement, mon objectif était d’accompagner les auteurs, de les aider à avancer dans leur parcours d’écriture, le nom s’est imposé de lui-même. C’était ça : Le Fil d’Ariane », explique Mame Ngoné Faye.
Aujourd’hui, l’agence d’écriture est devenue une maison d’édition, mais l’esprit est resté le même : à savoir prendre le temps d’accompagner, de suivre le fil… des plumes féminines.
Une ligne éditoriale féminine
Écrire pour une femme ne relève jamais du hasard. Dotée d’une sensibilité rare qui lui est propre, la femme parvient, à travers l’écriture, à exprimer ce que tant d’autres n’osent ou ne parviennent à dire à voix haute. Sa plume devient alors un relais puissant des voix étouffées. C’est là que réside l’essence de la maison d’édition Fil d’Ariane. « J’ai fait un choix fort : donner au Fil d’Ariane une ligne éditoriale résolument féminine. Parce que je crois profondément que les voix des femmes ont été trop longtemps mises de côté », a affirmé l’éditrice.
Mame Ngoné Faye estime qu’il y a encore beaucoup à dire, à transmettre, à réparer parfois. « Et parce que ces récits-là, qu’ils soient portés par des femmes ou par des hommes qui choisissent de parler d’elles, méritent d’être mis en lumière. Ce sont des histoires souvent puissantes, parfois fragiles, mais toujours précieuses. Elles donnent à penser, à ressentir, à voir autrement », souligne-t-elle.
Fil d’Ariane veut tendre la main à celles qui n’osent pas, celles qui écrivent en silence, sans jamais envoyer leur manuscrit, celles qui pensent qu’elles ne seront pas prises au sérieux ou que ce n’est pas pour elles. Et puis celles qu’on publie, mais qu’on ne soutient pas vraiment derrière. « Quand Le Fil d’Ariane est devenu une maison d’édition, j’ai voulu créer un espace pour celles qui s’expriment déjà, et celles qui ne demandent qu’à éclore », renseigne Mame Ngoné Faye.
À travers sa maison d’édition, la poétesse cherche à remettre en lumière des récits qui, trop souvent, passent inaperçus. Elle ambitionne aussi de continuer à faire entendre des voix atypiques, accompagner des auteurs qui ont quelque chose à dire et qui cherchent une structure attentive, rigoureuse, bienveillante.
Arame NDIAYE