Ndèye Aïda Fall, lauréate du prix Cea-Agrisan lors de la Semaine de l’innovation et de l’entrepreneuriat de l’Ucad, est une figure innovante de l’agriculture sénégalaise. Étudiante en Master Biologie végétale à l’Ucad, entrepreneuse et fondatrice de Sunufraiz, elle a su transformer une simple frustration en une opportunité florissante à travers la culture de la fraise.
Dans un pays où la fraise reste encore une culture marginale, Ndèye Aïda Fall incarne une véritable révolution agricole. Fondatrice de Sunufraiz, elle a su transformer un simple constat en une entreprise prometteuse. « J’ai toujours été passionnée par les végétaux, raison pour laquelle je fais des études de biologie végétale », confie cette jeune entrepreneuse, lauréate de la Journée d’excellence de l’Ucad lors de la Semaine de l’innovation et de l’entrepreneuriat (27-31 janvier 2025).
Sa rencontre avec la fraise ne relève pas du hasard. Pâtissière amatrice depuis 2019, elle vendait des brownies et pancakes garnis de ce fruit rouge. Un jour, à court de fraises, elle livre ses commandes sans ce précieux ingrédient. « Les clients ont immédiatement remarqué son absence. J’ai cherché partout, mais impossible d’en trouver sur le marché ni dans les supermarchés environnants », se souvient-elle. Cette pénurie éveillera en elle une curiosité grandissante : pourquoi la fraise est-elle si rare au Sénégal ?
Son enquête la mène à une découverte surprenante : non seulement le Sénégal peut produire des fraises, mais le climat du pays est particulièrement favorable. Elle mène alors une étude de marché et réalise un constat frappant : quatre Sénégalais sur 10 ignorent que le pays produit des fraises et parmi ceux qui le savent, 70 % n’y ont pas accès.
Forte de ses compétences en biologie végétale, elle se forme à la culture de la fraise et décide de passer à l’action. Accompagnée par la Direction de l’incubation de la vulgarisation et de l’appui aux communautés (Divac) de l’Ucad, elle développe ses compétences entrepreneuriales et fonde Sunufraiz, une unité de production et de distribution de fraises locales.
« Mon choix de produire des fraises n’est pas anodin. Contrairement aux mangues ou aux bananes, la fraise a besoin d’être cueillie à maturité pour garder toute sa saveur. La fraise importée ne peut pas rivaliser avec la fraîcheur d’une fraise cultivée localement », explique-t-elle avec conviction.
L’audace porte ses fruits
Née et ayant grandi à Dakar, Ndèye Aïda Fall ne disposait d’aucune terre agricole. Un obstacle majeur qu’elle refuse de laisser entraver son ambition. « Je n’ai pas attendu une opportunité ni cherché à épargner une grosse somme pour commencer. J’ai provoqué mon destin en proposant à des producteurs de cultiver mes fraises sur leurs exploitations en échange d’une commission sur les ventes », explique l’étudiante entrepreneuse.
Son audace porte ses fruits. En 2024, elle publie sur LinkedIn une demande de partenariat technique et financier. Après plusieurs semaines d’attente, elle reçoit un message déterminant : un investisseur sénégalais possédant plusieurs hectares à Bambilor est prêt à collaborer. « Aujourd’hui, même si nous ne disposons pas encore de nos propres terres, l’activité se porte bien et nous commercialisons nos fraises avec notre propre marque ».
Le chemin n’est pourtant pas sans embûches. L’acheminement des fraises, un fruit fragile et périssable, est un défi constant. « Parfois, nous devons compter sur la disponibilité des chauffeurs pour le covoiturage ; ce qui complique la distribution. Pour y remédier, nous avons mis en place un calendrier de vente de deux jours par semaine afin de mieux gérer la demande et la logistique », explique la jeune étudiante.
Sunufraiz ne se contente pas de produire des fraises : la jeune entreprise mise sur une approche écologique. « La force d’un fraisier réside dans ses racines, c’est pourquoi nous sélectionnons minutieusement notre substrat. Nous utilisons des techniques d’arrosage adaptées et nous cultivons sous serre pour mieux gérer les aléas climatiques », explique-t-elle.
Consciente du problème de conservation, elle innove en proposant plusieurs alternatives. « Nos fraises sont cueillies à maturité ; ce qui les rend plus périssables. Mais, grâce à la transformation en jus, coulis, confitures, séchage et congélation, nous prolongeons leur durée de vie », renchérit Ndèye Aïda Fall. De plus, Sunufraiz fonctionne par précommande, garantissant ainsi une gestion optimale des récoltes et évitant les surplus inutiles.
Ndèye Aïda ne compte pas s’en arrêter là. Son ambition est de faire de Sunufraiz une référence dans l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest. « Le Sénégal est béni avec ses terres arables, ses ressources hydriques abondantes et son ensoleillement. Nous devons exploiter ce potentiel pour assurer notre sécurité alimentaire », fait-elle savoir. Pour elle, l’avenir de l’agriculture repose sur l’innovation et l’adaptation. « Le changement climatique bouleverse nos cycles de production. Il est impératif d’adopter des méthodes résilientes pour produire en quantité et en qualité tout au long de l’année », précise l’étudiante en biologie végétale.
À court terme, elle prévoit d’étendre sa production pour fournir les industries de transformation et d’étudier le marché des jus de fruits naturels. À long terme, elle veut structurer un écosystème d’accompagnement des jeunes entrepreneurs agricoles en mettant l’accent sur la rentabilité et la durabilité.
Inspirer une nouvelle génération d’agriculteurs
Sunufraiz n’est pas seulement une entreprise, c’est aussi une mission sociale. « Nous avons déjà créé sept emplois directs et 15 emplois saisonniers lors des périodes de repiquage, d’entretien et de récolte. Nous formons également des porteurs de projets agricoles pour leur donner les outils nécessaires à leur réussite », soutient Ndèye Aïda Fall.
L’entrepreneuse veut aussi changer le regard porté sur l’agriculture, en particulier chez les jeunes et les femmes. « L’agriculture n’est pas réservée à une catégorie de personnes. C’est un domaine plein d’opportunités pour ceux qui osent innover et s’adapter », fait-elle ainsi savoir.
Son message aux futurs entrepreneurs agricoles est limpide : « Osez et persévérez ». Pour elle, la clé du succès repose sur plusieurs piliers. Se former et s’informer afin de comprendre son secteur ; expérimenter et apprendre en continu ; s’entourer de bonnes personnes pour bâtir un bon réseau et avoir des mentors sont essentiels pour passer à l’action. Ndèye Aïda précise que l’entrepreneuriat agricole demande également de la descente sur le terrain, des essais, des erreurs…et des réussites. Mais, ce qui forge sa volonté, c’est la croyance en son projet.
Lorsqu’on lui demande ce qui la motive, elle répond sans hésiter : « Je veux prouver qu’il est possible d’allier études et entrepreneuriat. Mon père est mon modèle ; j’apprends de ses succès et de ses leçons. Je suis issue d’une famille modeste. Et orpheline de père, prendre soin de mes frères est une mission que je me suis fixée ». Avec Sunufraiz, Ndèye Aïda Fall ne se contente pas de cultiver des fraises. Elle cultive l’espoir d’une agriculture sénégalaise moderne, compétitive et durable. Une inspiration pour toute une génération qui cherche à construire un avenir meilleur sur les terres fertiles du Sénégal.
Par Daouda DIOUF