Le voir sans son sourire, c’est imaginer Sisyphe heureux. Le voir en colère est plus périlleux que le sort des Danaïdes, contraintes à verser éternellement de l’eau du Styx d’une cruche percée dans une jarre sans fond. Journaliste talentueux et formateur pédagogue au Cesti, Oumar Diaw est l’incarnation de l’essence même du journalisme.
«C’est une chronique signée Oumar Diaw », une phrase assez rebattue sur les antennes de la télévision nationale, pendant les éditions du journal. Il y a, on peut dire, dans cette voix d’Oumar Diaw, quelque chose de grave et d’apaisée à la fois.
Sur les plateaux de la Rts où il travaille depuis 1998, dans les débats citoyens comme dans les émissions de vulgarisation intellectuelle, il n’a cherché ni à convaincre par la force ni à séduire par la forme. Dans un paysage médiatique de plus en plus dominé par les clashs, les raccourcis, les ego en quête de tribune, Oumar Diaw fait exception. Il appartient à cette catégorie rare de journalistes pour qui informer est d’abord un acte éthique et un engagement moral.
Oumar est un produit du lycée Van Vollenhoven, actuel lycée Lamine Guèye. Scientifique parti d’abord vers des études de médecine, il finit par se former à l’histoire et à la géographie. Il a d’abord enseigné, avant de rejoindre le monde des médias. D’abord au lycée Kennedy de Dakar, il a aussi enseigné au lycée Ameth Fall de Saint-Louis. De cette première vie professionnelle, il garde le goût de la méthode, du cadre et de l’enquête lente, pour ainsi dire.
C’est au milieu des années 1990 qu’il quitte l’enseignement pour rejoindre le Cesti. Loin d’être un journaliste de circonstance ou un simple présentateur d’informations, il s’inscrit dans une tradition intellectuelle du journalisme.
« Son passé d’enseignant n’y est pas étranger à coup sûr. Ce qui m’a toujours frappée chez lui, c’est cette soif insatiable de savoir. Un esprit aussi brillant aurait pu, à tort, se reposer sur ses acquis et afficher une certaine arrogance… mais pas Oumar ! Toujours en quête de la bonne information, il conjugue humilité et exigence avec un naturel désarmant », témoigne Oumy Ndour, ex-collègue d’Oumar Diaw à la Rts.
C’est cette exigence, parfois discrète mais toujours constante, qui lui vaut aujourd’hui le respect de ses confrères et l’écoute attentive d’un public de plus en plus assoiffé de vérité et de beauté. On le découvre plus largement au grand public à travers des émissions culturelles et éducatives, notamment “Génies en herbe”, un concours inter-scolaire qui était diffusé à la télévision nationale.
Là, Oumar Diaw incarnait une certaine vision de la transmission, rigoureuse, bienveillante et structurante. Pour lui, l’éducation n’est pas séparée de l’information. Il y a dans ces deux fonctions une même volonté de donner aux citoyens les moyens de penser par eux-mêmes, de comprendre leur monde et de se situer dans l’histoire.
Comme le Stagirite
« C’est un esprit à la fois brillant et généreux, dont les conseils et la bienveillance ont été pour moi une ressource précieuse. Et cette bienveillance, il la partage avec patience, discrétion et beaucoup de générosité avec tout le monde », renseigne Oumy Ndour.
Cependant, ce serait une erreur de réduire Oumar Diaw à l’image du journaliste studieux ou académique. Il est aussi, et surtout, un homme de son temps. Il suffit de voir la mention « montage : Oumar Diaw » dans ses productions pour s’en apercevoir.
C’est aussi un héraut qui fustige les écarts de la société, quoique en fleuret moucheté. Ce geste, loin d’être un coup de communication, s’inscrit dans la continuité de son éthique : refuser de se taire face à l’injustice, même quand le silence est plus confortable. Il ne parle pas en porte-parole d’un camp politique, mais au nom d’un principe supérieur, celui de la dignité humaine et du droit à la vérité.
Il le fait sans invective, sans posture accusatrice. Juste avec la force des faits et la sérénité de celui qui sait que la parole, lorsqu’elle est juste, n’a pas besoin de crier pour frapper. Dans un univers médiatique de plus en plus fragmenté, où la parole journalistique est souvent instrumentalisée, relativisée ou noyée dans le bruit, la figure d’Oumar Diaw apparaît comme un point d’ancrage.
Il rappelle que le journalisme n’est pas seulement un métier d’écriture ou de diffusion, mais une pratique civique. Informer, pour lui, c’est construire du lien, éclairer les zones d’ombre et poser des balises dans la confusion ambiante.
Peu porté sur l’exposition médiatique, il reste pourtant très influent dans les cercles professionnels. Les journalistes de terrain le citent souvent comme une référence en matière de déontologie et de tenue. Il a gardé une distance prudente vis-à-vis des logiques de popularité qui gouvernent aujourd’hui une part croissante du métier.
Pas de réseaux sociaux omniprésents, pas de sorties virales, peu de présence dans les polémiques. Il préfère la lenteur de la lecture, le poids du réel et la précision d’un chiffre bien vérifié.
Cestien pour toujours
Au Cesti, Oumar Diaw impose une présence singulière, faite à la fois d’élégance et de retenue. On le reconnaît de loin à ses bretelles à la Larry King, détail discret mais assumé, comme un clin d’œil à une certaine idée de la tenue intellectuelle.
Dans ses cours, il ne se limite à aucun champ. Il passe de la littérature à la philosophie, de l’histoire à l’actualité, avec une aisance qui ne cherche jamais à dominer. Il partage plus qu’il n’expose, et c’est sans doute ce qui explique pourquoi, dans la cour du Cesti, les étudiants viennent souvent l’interpeller, discuter, prolonger un débat ou poser une question.
Il répond toujours, sans jamais faire sentir la distance. Il écoute avec sérieux, corrige sans blesser et oriente sans imposer. Il n’hésite pas à dire « je ne sais pas encore », à suspendre son jugement et à différer ses conclusions. C’est rare, et précieux.
Dans les couloirs de la Rts, où il travaille depuis plusieurs années, il est décrit comme un collègue discret mais disponible. Un homme de dossiers, peu enclin aux jeux de coulisses, mais attentif à ceux qui croisent sa route. Il a su, au fil du temps, construire une forme de légitimité tranquille. Pas celle des titres ou des honneurs, mais celle, plus durable, de la cohérence entre les mots et les actes.
« Les étudiants l’adorent, et ce n’est pas étonnant, il est un peu notre star. Au-delà de ses cours, ce sont sa modestie et sa disponibilité qui marquent le plus. Également, sa bienveillance, sa simplicité et son humanité sont inoubliables », confie Ndèye Penda Diop, étudiante d’Oumar Diaw au Cesti.
Aujourd’hui, alors que les tensions politiques se multiplient au Sénégal et que la question de la liberté de la presse reste centrale, Oumar Diaw continue d’incarner une forme de journalisme à la fois exigeant et modeste, critique et lucide, enraciné dans le réel mais ouvert à la complexité.
Dans le brouillard des débats contemporains, sa voix est de celles qui ne s’imposent pas d’emblée, mais qui restent longtemps en mémoire. Une voix posée, ferme, citoyenne. Une voix qui, plus que jamais, rappelle que le journalisme est peut-être l’un des derniers lieux où la vérité peut encore se dire avec responsabilité.
Comme on referme une porte doucement pour ne réveiller personne, il a laissé ce portrait se faire sans lui, par modestie et par fidélité à d’autres silences qu’il n’a pas trahis.
Amadou KEBE