L’un n’exclut pas l’autre : le spirituel va avec le temporel. Expert international et Dieuwrigne universel : le spirituel va avec le temporel. Le profil d’Ousmane Fall Sarr illustre tout cela.
C’est en anglais qu’il écrit sur X. Normal : Shakespeare parle mieux que Molière le langage du domaine d’expertise de Mister. Ses écrits sur le réseau social de Musk s’accompagnent de hashtags, principalement deux : #COP27, #CarbonMarket. Et tout est dit avec ces deux termes, qui vont avec le symbole. Ousmane Fall Sarr, c’est de l’énergie, de l’environnement, de l’expertise sur les questions climatiques. Please, lire “energy”, “environment”, “climate expert”, tel que mentionné sur le compte X du Monsieur qui est loin d’être un inconnu. Que sa petite trentaine d’abonnés ne trompe donc personne ! Parce que ce compatriote traîne dans ses valises près d’une trentaine d’années d’expérience : la toile l’ignore, mais les gouvernements l’honorent. Une preuve parmi mille : Monsieur Sarr a récemment rejoint, en tant que membre, l’International Advisory Panel for Carbon Credits (Iapcc), mis sur pied par le gouvernement de Singapour pour l’assister dans le développement d’un marché carbone national et international.
Et c’est au Sénégal, au bord d’un lac qu’on dit Rose, que naît l’histoire d’amour entre l’expert et l’environnement. Le fameux lac était le cas d’étude du stagiaire au Centre de Suivi Écologique (Cse), qui s’intéressait à l’utilisation de la télédétection et des systèmes d’information géographique dans le suivi des écosystèmes côtiers. Et la fibre environnementaliste a trouvé, dans le cœur du scientifique, une terre d’implantation. « On y a pris goût », donc, et décidé « d’élucider pas mal de choses, de réfléchir à certains phénomènes naturels qui menacent notre environnement, à certains phénomènes anthropiques qui menacent la sauvegarde environnementale et sociale ».
Le Centre de Suivi Écologique et ses projets « challenging »
Sur ce cas précis, c’est la pratique et les résultats qui ont dicté la suite. Ousmane Fall Sarr n’est pourtant pas ce scientifique qui se fie exclusivement à ce que disent ou prédisent les statistiques. Parfois, c’est son intuition qu’il envoie prospecter. D’ailleurs, ce que d’aucuns appellent « intuition », lui, le traduit par « Dieu ». Ainsi en est-il de sa décision (très éclairée, avec le recul) d’aller apprendre l’anglais. Il ne l’a pas regretté. Ousmane Fall Sarr, c’est aussi une voix posée, de celles qu’on dit rassurantes. C’est aussi un débit caractérisé par des micro-pauses, comme s’il y avait, entre un bout d’idée et l’autre, la recherche du mot exact, afin de produire un discours des plus harmonieux.
Ousmane Fall Sarr, c’est en outre une voie vers l’environnement, l’énergie et l’expertise climatique, naturellement indiquée par la formation post-bac. Il a fréquenté l’Institut des Sciences de la Terre, d’où il sort ingénieur de conception en géologie. Son assise en géomatique (discipline englobant les technologies et méthodes permettant la collecte, la gestion, l’analyse et la diffusion des données géographiques) lui sera d’une grande utilité lorsqu’en 2000, il rejoint l’Agence sénégalaise pour l’électrification rurale (Aser), en qualité d’expert en système d’information géographique. C’est lui, l’auteur du premier système d’information géographique du secteur de l’énergie, devenu une référence. À l’Aser, il restera vingt-deux ans. Il y a dirigé la planification, le suivi et l’évaluation du programme national d’électrification. Autre fait d’armes : sa participation à la mise en œuvre du programme d’électrification rurale basé sur des partenariats public-privé, intégrant des mécanismes de financement innovants tels que les marchés carbone.
Sainte frustration !
Monsieur Sarr a par ailleurs présidé, entre 2011 et 2020, le Comité national sur les changements climatiques. À ce propos, il a eu l’occasion d’accompagner le ministère de tutelle dans la coordination technique du processus d’élaboration de nombreux programmes et politiques nationaux en lien avec le climat. Son action s’étend au-delà du territoire national, puisqu’il accompagne, depuis 2005, régulièrement le ministère de l’Environnement de son pays aux négociations internationales sur le climat, dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Il a servi – et continue de servir – ce pays qui lui a tout donné, lui qui revendique fièrement son statut de « pur produit de l’école sénégalaise ». Pourtant… on a failli le perdre ! Il a en effet pensé quitter le pays après le cycle d’ingénieur, « pour d’autres horizons où le métier était mieux rémunéré qu’au Sénégal ». Heureusement, le Centre de Suivi Écologique était là, avec ses projets « challenging » qui ont su le retenir. L’apprentissage s’y poursuit, les échanges et les rencontres aidant. Ces chemins de l’apprentissage lui ouvriront d’ailleurs les portes de Duke University, où il fera une spécialisation en évaluation des projets et analyse des risques.
Ousmane Fall Sarr, c’est sans doute une voix qui pèse, légitimée en cela par toute l’expérience emmagasinée entre le Sénégal et ailleurs. Mais une voix seule, aussi lourde soit-elle… reste une voix seule. Esseulée, donc, sans impact réel. Alors, comprenant le sens et l’intérêt de l’union, « en 2016, lors de la COP22 à Marrakech, nous avons initié, avec d’autres collègues négociateurs ouest-africains (Bénin, Côte d’Ivoire, Togo, Nigeria, Mauritanie), la création de l’Alliance ouest-africaine sur les marchés du carbone et la finance climatique ». Depuis lors, il coordonne l’organisation, à laquelle les seize pays ouest-africains ont finalement adhéré. L’Alliance ouest-africaine sur les marchés du carbone et la finance climatique est née donc… d’une frustration ! Ça l’a en effet frustré de « voir les négociateurs discuter de règles, de procédures, sur une base purement abstraite, sans pour autant tenir compte des réalités du terrain pour la collecte des données, surtout en milieu rural… ». Elle n’aurait sans doute jamais vu le jour s’il n’y avait pas eu un, puis deux, puis d’autres gens au fait des enjeux. Et dans tous les domaines, croit l’expert, il en faut. « L’Afrique a besoin d’une masse critique de scientifiques, de techniciens pour porter à bras-le-corps nos ambitions de développement – et surtout de développement durable ». La formation, alors, lui tient à cœur. Plus précisément celle qui articule recherches et entreprises, afin d’avoir des scientifiques directement opérationnels.
Cheikh Béthio, la boussole
Monsieur a donc le sens de l’union, et ce trait de caractère va au-delà du cadre professionnel. « Il lui arrivait souvent de revenir de mission étrangère et de foncer directement vers l’Ucad, sans passer chez lui. De l’aéroport, il faisait cap sur l’université juste pour ne pas manquer à la séance du daara qu’il avait l’habitude de présider », témoigne de lui un mbókku Talibé.
Parce que Ousmane Fall Sarr, c’est aussi un fervent Mouride, un véritable Thiantacône, en plus de son expertise qui lui vaut une reconnaissance internationale. Il est, en ce sens – et partant du témoignage de son condisciple – un individu qui « conjugue rigueur professionnelle et engagement spirituel ». Pouvait-il en être autrement, quand on a un Cheikh qui s’occupe aussi bien des affaires spirituelles que temporelles de ses disciples ? « C’est quelqu’un qui a beaucoup influencé ma trajectoire », dit Ousmane Fall Sarr de Cheikh Béthio Thioune. Et qu’il a été difficile d’aligner ces dix mots entre guillemets ! Sa voix qui trottine, son esprit creusant son vocabulaire. « C’est… c’est… c’est… », a-t-il dit, avant de les assembler et d’ajouter : « C’est quelqu’un qui est tout pour moi ». Ainsi voit-on que Monsieur est plus fluent lorsqu’il s’agit d’expliquer la complexité du marché carbone. Moins il l’est, lorsqu’il est invité à parler de ce guide qui l’initiait dans la voie de Cheikh Ahmadou Bamba. De ce père qui était présent aux soutenances de ses fils. De ce mentor qui répétait que le Mouride doit être quelqu’un qui vise l’excellence, partout où il est. Qui lui a donc inculqué la confiance en soi. Qui a éloigné de lui toute idée de complexe. Qui a insufflé en lui le culte de l’excellence et du travail bien fait. Qui lui a appris l’audace de toujours viser plus loin. C’est beaucoup – et sans doute peu. Ces silencieux « c’est » de Ousmane Fall Sarr sont peut-être même plus éloquents que tous les qualificatifs qu’il essaie de faire jaillir de son cœur pour peindre Cheikh Béthio Thioune. Et, autant prit-il du Cheikh, autant donna-t-il aux autres. Le condisciple de témoigner : « Le Cheikh lui accordait une confiance particulière dans la formation spirituelle, l’accompagnement académique et l’insertion socio-professionnelle de ses élites. Ousmane Fall Sarr s’est pleinement investi dans cette mission, soutenant avec une remarquable discrétion de nombreux condisciples, depuis leur entrée à l’université jusqu’à leur premier emploi. » Ousmane Fall Sarr, « energy », « environment », « climate expert » ? Yes, but say also : Dieuwrigne universel Fall Sarr ! C’est son autre titre !
Par Moussa SECK