Mamadou Abdoul Diop, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), vient de se voir décerner le prix Souleymane Niang 2025 de mathématiques par l’Académie nationale des sciences et technique du Sénégal (Ansts). L’une des plus hautes distinctions scientifiques au Sénégal. Actuellement vice-recteur de l’Ugb, Pr Diop est honoré pour ses travaux sur « les systèmes dynamiques incertains », l’imprévisible dans la construction des modèles, entre autres.
Né en 1970 à Louga, Mamadou Abdoul Diop, « Ordi » pour les intimes, est un professeur titulaire de classe exceptionnelle, spécialiste des mathématiques appliquées. Il a dirigé pendant près d’une décennie le Laboratoire d’analyse numérique et informatique (Lani) de l’Ugb et formé des générations d’étudiants au Sénégal, au Mali, en Gambie, au Bénin et en Afrique centrale.
Il a également été à l’avant-garde de plusieurs projets scientifiques d’envergure, dont la création du futur Institut de mathématiques du Sénégal. Il fait partie de la première génération d’étudiants de l’Ugb, celle-là qui a inauguré le campus de Sanar, déjà porteuse d’espoir, car accueillant une bonne cohorte des meilleurs bacheliers du pays à l’époque, sous la férule d’universitaires de la trempe du Pr Mary Teuw Niane, notamment en ce qui concerne les mathématiques. La tradition de performance académique de l’Ugb ne s’est, depuis lors, jamais démentie.
Ce n’est pas un hasard si le nouveau lauréat est aussi l’actuel vice-recteur de cette université. Mais c’est surtout son œuvre de recherche qui lui vaut aujourd’hui cette reconnaissance. Le professeur Diop consacre, en effet, ses recherches à un domaine ardu, mais aux applications concrètes : les équations différentielles stochastiques et intégrodifférentielles. Dit simplement, « ce sont des équations qui permettent de modéliser des phénomènes évolutifs incertains dans le temps : des marchés financiers aux épidémies, en passant par les réseaux neuronaux ou les matériaux dits « à mémoire » (comme les tissus visco-élastiques), ces équations traduisent mathématiquement le comportement de systèmes complexes », comme il l’explique lui-même au « Soleil ».
Dit simplement ? Quand un mathématicien dit qu’une telle situation est « simple », il parle à son monde et à ceux qui le comprennent ! Disons que contrairement aux équations classiques, les modèles que Mamadou Abdoul Diop étudie tiennent compte du hasard, par exemple des chocs imprévus ou des délais de réaction. Cela les rend essentiels pour comprendre comment un système évolue non seulement selon ses lois internes, mais aussi sous l’effet d’événements extérieurs. « On ne se contente pas de regarder l’état actuel d’un système, on prend aussi en compte son passé, ses aléas, ses retards de réponse. Cela change tout », explique-t-il dans ses notes de recherche.
L’art d’apprivoiser le chaos
Dans la pratique, c’est utile à un secteur comme les finances où les marchés financiers sont réputés imprévisibles, avec des prix évoluant selon des facteurs multiples comme la géopolitique, l’état psychologique des investisseurs, les ruptures des chaînes d’approvisionnement ou une météo capricieuse. En somme, « les modèles classiques reposent sur une certaine régularité du marché. Or, la réalité est beaucoup plus chaotique », comme il l’explique.
Suivant ses travaux, les équations différentielles stochastiques lui permettent d’introduire le hasard dans les modèles, rendant les prévisions plus réalistes. Une part importante de ses travaux porte ainsi sur la stabilité de ces systèmes : à savoir dans quelles conditions, malgré les perturbations, une situation finit-elle par se stabiliser ? Peut-on contrôler ces phénomènes, en agir sur les paramètres pour éviter une explosion, une oscillation dangereuse ou une extinction soudaine ?
Le Pr Diop a notamment modélisé des systèmes épidémiologiques comme ceux utilisés pour simuler la propagation du Covid-19, ou encore « des phénomènes décrivant des mouvements aléatoires plus complexes que ceux observés dans la nature ». Il a également initié la création d’une plateforme logicielle interdisciplinaire, en cours de développement avec des informaticiens et médecins, « pour simuler des systèmes dynamiques complexes », dit-il.
Crâne rasé, « boule à zéro » depuis ses années de lycée, Mamadou Abdoul Diop ne manque pas de saluer ses encadreurs, ceux qui lui ont ouvert la voie. Il cite naturellement ses codirecteurs de thèse, Étienne Pardoux et Mary Teuw Niane. Mais aussi Galaye Dia, Gane Samb Lô, Aboubakry Diakhaby…
Samboudian KAMARA