Voguant sur les opportunités offertes par le secteur des mines sur le continent, Rokhaya Sall Mbaye est devenue l’une des figures de proue du forage-minage au Sénégal. Portrait d’une « ingénieure preneuse » qui fait bouger les lignes dans l’industrie minière en Afrique de l’Ouest.
Rokhaya Sall Mbaye est sans doute l’une des figures les plus influentes du secteur minier sénégalais, de par son expertise et son professionnalisme. Une référence dans le secteur, et un leader dans ce milieu. Ingénieure géologue expérimentée, elle s’est distinguée par sa compétence dans le domaine. Après l’obtention du baccalauréat scientifique à l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc, puis du diplôme d’ingénieure géologue à l’Université Cheikh Anta Diop — notamment à l’Institut des sciences de la Terre (Ist), aujourd’hui École nationale supérieure des mines et de la géologie —, elle entame sa carrière à la Compagnie sahélienne d’entreprises (Cse), après un stage à la Sococim.
À la Cse, elle a participé à des projets d’envergure dans plusieurs pays de la région (Mali, Guinée). À partir de 2007, elle choisit de se spécialiser dans le forage et le minage, conduisant des projets au Sénégal, en Sierra Leone et au Liberia. De retour au bercail, elle fonde Mineex en 2011 pour offrir des services en forage-minage. « Il y a une première étape dans l’exploitation des mines et carrières consistant à extraire la roche, la matière première, ce qui requiert de la technologie», explique-t-elle. « Le premier défi, c’était de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée, car la formation reçue à l’école était assez sommaire. Il fallait la parfaire », confie-t-elle. Depuis 2010, elle dispense des cours à l’École nationale supérieure des mines et de la géologie, notamment sur le forage-minage. Après cette formation théorique, Mineex forme à son tour de nombreux mineurs.
L’autre défi rencontré à ses débuts est celui du recrutement : trouver les profils correspondant aux exigences du secteur minier. « Pour garantir la pérennité de notre activité, nous avons formé beaucoup d’apprentis : opérateurs de machines, mineurs, personnels de maintenance… en collaboration avec le 3Fpt et le Japon », indique-t-elle. Aujourd’hui, Mineex dispose d’un vivier de compétences solide. Résultat : Rokhaya Sall Mbaye avoue ressentir moins la concurrence dans son cœur de métier. « L’autre challenge est de pouvoir fabriquer localement les produits explosifs grâce à la modernisation des processus. L’objectif est de réduire les importations de produits manufacturés et de créer une vraie valeur ajoutée locale. Ce qui suppose l’industrialisation du métier », précise-t-elle.
Des certifications stratégiques S’appuyant sur une poignée de collaborateurs partageant sa vision, la géologue a su tisser des relations de confiance avec cimentiers et miniers, misant sur l’obtention de certifications environnementale (ISO 14001), managériale (ISO 9001), santé et sécurité (ISO 45001). Elle veut prouver qu’une entreprise locale peut égaler les standards internationaux, même dans un domaine aussi sensible que les explosifs. Soucieuse d’innover en permanence pour ne pas se faire dépasser par la concurrence, Rokhaya comprend que sa structure doit s’allier à plus grand qu’elle. En 2017, elle s’associe donc au Groupe Epc, l’un des leaders mondiaux du forage-minage, qui entre dans le capital de Mineex. En 2022, cette alliance se solde par une fusion. Résultat : Mineex devient un leader du forage-minage au Sénégal, avec plus de 200 collaborateurs – tous Sénégalais – dotés de compétences diverses. « À chaque étape de la maturité de la société, les défis financiers changent », souligne la patronne de Mineex.
D’une start-up à une Pme, puis à une grande entreprise, Rokhaya Sall Mbaye a bâti un véritable empire, passant d’une seule machine louée à une vingtaine en dix ans. « Quand nous sommes passés en Pme, nous manquions de fonds de roulement. Puis, comme grande entreprise, nous avions des besoins en investissements. C’est ainsi que notre fournisseur de l’époque, Epc, a accepté d’entrer au capital. Cela nous a donné les leviers financiers pour changer de dimension », raconte-t-elle.
L’ingénieure « dure à cuire » Dotée d’un mental d’acier, Rokhaya Sall Mbaye a su se forger une carapace pour surmonter les obstacles d’un milieu réputé masculin. Mais il en faut plus pour déboulonner cette « dure à cuire ». Grâce à elle, les mines ne sont plus une chasse gardée des hommes. « C’est une passion que j’ai découverte lors d’un stage. Le défi, c’était surtout d’avoir une société locale capable de développer ce savoir-faire », confie-t-elle. Rokhaya n’a jamais abordé ce métier sous le prisme du genre. «Je ne voyais pas le côté féminin. C’est vraiment une passion», insiste-t-elle. D’ailleurs, Mineex emploie plusieurs profils féminins très techniques sur ses chantiers, de Kédougou à Thiès.
Sur huit ingénieurs, quatre sont des femmes, avec une moyenne d’âge de 35 ans. «C’est une grande fierté», reconnaît-elle. Son rêve : consolider les bases de Mineex au Sénégal et dans la sous-région. C’est dans cette perspective qu’elle a lancé l’initiative « Mine-Up », mettant à disposition des startups un espace de travail dans le bâtiment abritant le siège de Mineex. « Il s’agit de les assister en comptabilité, stratégie de développement, ou dans leurs défis. Notre ambition est d’avoir d’autres types de Mineex dans le secteur. Les compétences existent. Mineex peut être un incubateur pour faire émerger d’autres entreprises. C’est un échange enrichissant, pas une position de mentorat », estime-t-elle.
Une vision pour l’avenir Concernant le projet de hub minier, elle y voit une initiative ambitieuse qui pourrait profiter aux startups et Pme locales. Sa structure a déjà proposé un projet de fabrication d’explosifs à Kédougou, convaincue que le secteur minier peut être un véritable levier de croissance pour le pays. La Responsabilité sociétale des entreprises (Rse) constitue une priorité pour Mineex, qui a notamment construit un forage à Ndiack,un marché à Ngoundiane et d’autres infrastructures au profit des populations locales. La formation est également au cœur de sa démarche, car elle permet aux bénéficiaires d’acquérir un métier. « Il faut qu’on puisse impacter positivement notre environnement », assure-t-elle.
Une carrière récompensée Après vingt ans de carrière, Mme Mbaye a reçu de nombreuses distinctions. En mars 2025, elle figure dans le Top 50 « Femmes Africaines » de Forbes Afrique. En 2024, elle a remporté le Prix du « Leadership Féminin » Jman du Bureau de mise à niveau du Sénégal. En 2020, elle est classée dans le Choiseul 100 Africa. En 2019, elle a remporté le Prix de la Femme entrepreneure de Hub Africa.
En 2025, elle obtient le Prix qualité du chef de l’État décerné par l’Asn. Malgré ces reconnaissances, Rokhaya Sall Mbaye garde les pieds sur terre. « Ce sont des marques de fierté, mais surtout la reconnaissance de plus de vingt ans de carrière », dit-elle. Toujours assoiffée de savoir, elle poursuit actuellement un doctorat en modélisation des systèmes et phénomènes physiques à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Souleymane Diam SY