A la tête de la Sapco qui fête ses 50 ans cette année, Serigne Mamadou Mboup est un spécialiste en management et stratégie hôtelière et touristique. Dans cet entretien, il dévoile sa vision du tourisme, pose un œil critique sur la situation actuelle et fait des propositions pour redorer le blason de ce secteur pourvoyeur de devises et d’emplois.
Qui est Serigne Mamadou Mboup ?
Je suis spécialiste en management et stratégie hôtelière et touristique. En 2002, j’ai intégré l’Institut de technologie spécialisé hôtellerie et de tourisme de Marrakech où j’ai obtenu mon Bts en marketing hôtelière touristique ensuite j’ai intégré l’Institut supérieur international du tourisme de Tanger où j’ai obtenu ma licence et ma maîtrise en administration et gestion des entreprises touristiques et hôtelières. J’ai travaillé une année au Maroc et ensuite je suis partie faire un 3é cycle en France où j’ai pu avoir un autre Master 2 en Économie et management du tourisme. C’est ainsi que j’ai travaillé dans certains groupes hôteliers tel que le Groupe Accor, le Groupe Bel Hôtel en Belgique jusqu’au jour de ma nomination. Vous avez fait vos études au Maroc et en France, deux pays qui se singularisent par leur dynamisme touristique.
Quand vous regardez le secteur touristique sénégalais à travers ce prisme, qu’est-ce que vous avez envie de dire ?
Que rien ne va. C’est d’ailleurs le challenge qui m’a poussé à accepter ce poste. On s’est battus pour un idéal, il était normal que nous qui avons étudié et évolué dans ce domaine qui nous tient à cœur, que nous mettions donc notre expérience et notre expertise au service de ce secteur afin de changer la donne. Au Maroc, j’ai pu voir comment les choses se passent. Là-bas, la Société marocaine d’ingénierie touristique (Smit), qui est l’équivalent de la Sapco, a un rôle central dans l’économie touristique du Maroc. On peut même dire qu’elle constitue la pierre angulaire de ce secteur au royaume chérifien. Pour dire que si nous voulons atteindre les objectifs dans le référentiel Sénégal 2050, du point de vue touristique, il faut que les autorités accompagnent davantage la Sapco. Si elles le font, les résultats suivront parce que la Sapco est le bras technique de l’Etat en termes d’aménagement et de promotion des investissements touristiques.
Jouer le même rôle que la Smit, est-ce votre souhait ?
En principe, la Sapco est le nœud central du tourisme sénégalais mais elle n’assumait pas ce rôle comme il se devait. En arrivant à la tête de la Sapco, j’avais même l’impression que les gens pensaient que c’était une société immobilière qui ne fait que vendre du foncier, qui ne faisait que de la spéculation. Il n’y avait pas de projet touristique réel appartenant à la Sapco, ce qui est anormal. C’est la raison pour laquelle nous avons accepté de venir pour changer les choses, faire en sorte qu’elle soit le bras technique de l’Etat en la matière dans le vrai sens du terme, posséder les structures hôtelières et touristiques qui appartiennent à l’Etat, construire des hôtels même si nous ne sommes pas dans l’exploitation, mais doter le pays d’infrastructures hôtelières et touristiques de qualité.
L’émiettement des missions dévolues à d’autres structures n’a-t-il pas participé à fragiliser la Sapco ?
Entre autres. Il y a l’absence d’une politique touristique cohérente, mais aussi beaucoup de doublons dans le secteur avec des directions qui ont le même rôle. Autant de facteurs qui affaiblissent le secteur et qui font que les choses ne se passent pas comme cela se devrait.
Le Premier ministre a parlé, lors de son discours de politique générale, de la réciprocité des visas. Une mesure qui, faut-il le rappeler, avait été appliquée en 2013 et cela avait déteint sur le taux d’arrivée touristique. Est-ce une bonne idée de l’appliquer de nouveau ? Depuis qu’on la enlevée, est-ce que le taux de touristes a augmenté?
Je ne crois pas. La réciprocité des visas n’est pas un frein au développement touristique. Si vous prenez les dix premières destinations touristiques en Afrique, le Sénégal n’en fait pas partie. Pourtant ces pays-là demandent le visa. Cela veut dire que le problème ne se situe pas sur le visa exigé, mais sur l’offre touristique. Le client qui part chercher des émotions ou un produit qui l’intéresse, quelles que soient les procédures qu’on lui demande, va se conformer à la réglementation de ce pays.
Donc le secret réside dans l’offre voulez-vous dire ?
Effectivement. Il faut qu’on soit innovant, qu’on propose des choses qui peuvent attirer les touristes au Sénégal même si on leur demande un visa. Cela fait longtemps que le Sénégal ne demande pas de visa à beaucoup de pays, pourtant on peine à atteindre le million de touristes.
Vous êtes à la tête de la Sapco depuis quelques mois. Dans quelle situation avez-vous trouvé la structure ?
Dans une situation pas très reluisante, hélas je suis forcé de l’admettre. Après ma prise de fonction j’ai dû faire face à un certain nombre de contraintes dans ma gestion, legs de mes prédécesseurs. Comme toutes les autres sociétés nationales avec un capital humain plus pesant que le capital social. Mais au lieu de nous apitoyer sur les problèmes, nous avons préféré nous positionner comme apporteur de solutions.
De manière générale, quel regard portez-vous sur le secteur touristique sénégalais ?
Comme vous le savez, le secteur touristique sénégalais a connu entre l’indépendance et les années 2000 un essor remarquable avec une offre axée sur le balnéaire. Ce qui lui a même valu d’être un véritable moteur de l’économie au second rang après la pêche. Mais force est de constater que depuis les années 2000, ce secteur a subi de très nombreux soubresauts dus d’abord à la saturation de l’offre balnéaire (toutes les constructions sont concentrées sur le littoral, sans forcément respecter les normes en matière de protection de l’environnement). Ensuite il y a eu les pandémies Ebola et Covid. Et une absence de diversification de l’offre malgré les nombreuses potentialités touristiques dont regorge notre pays. Aujourd’hui, il est impératif de diversifier notre offre touristique ; de miser sur toutes les potentialités touristiques du pays ; d’intégrer toute la chaîne de valeur dans la conception et la mise en valeur des politiques de développement touristique ; de conserver les acquis que nous avons sur le balnéaire et parallèlement développer les autres formes de tourisme à l’intérieur du pays ; de mettre en place des modèles économiques viables et de miser sur une approche innovante en mesure de marquer notre résilience face aux différentes mutations.
Quels sont les grands axes de votre feuille de route ?
Après ma nomination, j’ai entrepris plusieurs initiatives pour permettre à la Sapco-Sénégal d’assurer les missions qui lui sont assignées par l’Etat du Sénégal. Cela passe par ces axes que sont la sécurisation foncière de nos différents projets d’aménagement touristiques ; l’adoption de nouveaux modes de partenariats techniques et financiers en mesure de garantir la célérité de l’exécution de nos projets ; la mise en place d’un modèle de gouvernance adapté à nos stations touristiques ; la digitalisation des process en interne ; la mise en place de 2 filiales : Sénégalaise de Logistique et de Tourisme (Slt) et Sapco Properties. Pour ce qui est de la Slt, elle est déjà opérationnelle et évolue dans les domaines que sont : le transport touristique ; la location de matériels de maintenance et d’entretien ; l’installation de base vie en panneaux modulaires ; l’installation et la location de panneaux publicitaires. Quant à Sapco Properties, elle s’active dans la construction et le développement de l’immobilier touristique. Également, compte tenu des orientations définies dans le nouveau référentiel des politiques publiques, j’ai entrepris la mise en place d’un nouveau Plan stratégique de développement (Psd) pour la Sapco-Sénégal. Sur les huit pôles territoriaux définis dans le nouveau référentiel, le tourisme fait partie, pour les sept, des secteurs sur lesquels l’Etat mise pour assurer leur développement. Il s’agit donc là d’un impératif pour la Sapco-Sénégal, compte tenu de ses missions très importantes pour le développement du secteur du tourisme, de disposer d’un plan d’actions arrimé à ce nouveau cadrage et de jouer pleinement son rôle afin de permettre à l’Etat d’atteindre ses objectifs. Je demeure convaincu que l’Etat peut s’appuyer sur la Sapco-Sénégal pour développer le tourisme qui est un secteur transversal en mesure d’impacter positivement les indicateurs de développement socio-économique du Sénégal tout en contribuant à la préservation de l’environnement.
En matière d’offre touristique, quelles sont les niches qui, selon vous, peuvent être explorées pour élargir la palette ?
Les niches sont nombreuses. On peut citer le tourisme mémoriel par le repositionnement de l’île de Gorée, la mise en tourisme de nos anciennes capitales coloniales et la revalorisation de notre patrimoine historique vétuste et négligé. Il y a aussi le tourisme religieux qui, jusque-là, reste sous-exploité malgré le potentiel immense qui devrait permettre à l’Etat de capitaliser en termes de recettes sur nos cités religieuses qui accueillent annuellement des millions de visiteurs (Tourisme Halal) lors des grands événements que sont le Magal et le Gamou. Le balnéaire et l’écotourisme sont les principaux produits qu’offre le tourisme sénégalais.
Pourquoi le tourisme culturel et religieux peine à être valorisé ?
Cela est dû à une absence de politique touristique cohérente et coordonnée qui ne prend pas en considération nos réalités socioculturelles. L’urgence est de réunir tous les acteurs qui gravitent autour du secteur du tourisme au Sénégal, de se poser et soulever les problématiques. Il est temps de mettre à jour et de prendre en compte le contexte du marché, les tendances et les préférences des touristes afin d’adapter notre offre à cette demande de plus en plus croissante d’où le Conseil interministériel sur le tourisme qui va se tenir très bientôt.
Il y a quelques semaines, l’hôtel Riu baobabs de Pointe Sarène a été attaqué. N’est-ce pas une mauvaise publicité pour le tourisme sénégalais ?
Ce sont des événements qui se passent dans toutes les destinations touristiques du monde : un cas de vol dans un hôtel n’est pas un cas isolé. Mais vous me permettrez quand même de déplorer le traitement réservé à cette information par les médias locaux. C’est dommage pour le pays que les journaux ont extrapolé sur cela sans tenir compte de l’impact que leurs articles pourraient avoir sur l’image du pays. Ayons l’esprit patriote et agissons pour préserver notre image à l’échelle internationale. Le Sénégal a toujours été une terre d’hospitalité et nombreuses sont les incitations faites par l’Etat pour accompagner la promotion des investissements. C’est le lieu de remercier nos autorités pour les différentes mesures prises, réitérer notre soutien à l’hôtel Riu et magnifier la promptitude et le professionnalisme de nos forces de sécurité. Il se dit que si cette attaque a pu être commise, c’est parce que la station balnéaire, malgré les attributions foncières, demeure encore un désert en matière d’infrastructures hôtelières.
Pourquoi Pointe Sarène n’est pas encore à point ?
La Sapco-Sénégal aménage et s’assure de toute la viabilisation (eau, électricité, assainissement, voirie, connectivité etc.). A l’heure actuelle, Pointe Sarène est aménagée à 90%. La station va être finalisée très prochainement. Il ne reste que les exploitants, détenteurs des terres que j’appelle à venir commencer leurs activités. Lors de la journée de nettoyage de la plage de Pointe Sarène, en décembre 2024, nous les avons invités à venir réaliser leurs projets. Je réitère cet appel pour dire à toutes les personnes et entités qui détiennent du foncier dans cette zone de démarrer les travaux pour renforcer l’attractivité de la station touristique comme nos partenaires de Riu Baobabs…
Est-il envisageable de reprendre les attributions foncières à ceux qui en avaient bénéficié et qui n’ont rien réalisé sur place ?
Bien-sûr, le foncier est toujours attribué sur la base d’un protocole d’accord qui intègre les engagements du promoteur par rapport aux modalités de financement et d’exécution du projet de façon conforme avec le cahier de charges de la Sapco-Sénégal. Également la Sapco se réserve le droit de suivre la procédure qui va lui permettre de reprendre le foncier au cas où les engagements pris par le promoteur ne sont pas respectés. Nous n’injectons pas des milliards de Fcfa sur ces différents sites touristiques pour ensuite les céder à des tiers qui ne le développeront pas.
On parle de requalification de la station de Saly. De quoi s’agit-il exactement ?
La vision qui sous-tend cette requalification est de faire de Saly une oasis touristique saine, confortable et durable. Saly doit être une ville oasis où la verdure est omniprésente ; une ville saine où les nuisances et les déchets sont gérés convenablement ; une ville confortable avec une mobilité axée sur les modes doux, une disponibilité de la ressource en eau, et des aménagements exclusivement piétons ; une ville touristique intégrant les principes de durabilité et tablant sur la réduction de l’empreinte carbone. Les études de faisabilité portant sur cette requalification ont mis en exergue neuf axes sur lesquels il convient d’agir : l’occupation du sol, la mobilité urbaine, l’énergie, l’eau, l’assainissement ; l’environnement, les ressources naturelles et la gestion des risques ; le tourisme ; la gouvernance ; La gestion des déchets solides. Nous avons franchi un pas important avec la réalisation des études d’opérationnalisation de Saly Ville Verte, l’installation d’un réseau d’éclairage public solaire au niveau des grandes artères, le pavage des allées piétonnes et la finalisation des travaux de restauration de la plage de Saly qui ont été financés par la Banque mondiale.
Des conventions portant sur des joint-ventures entre la Sapco-Sénégal et divers investisseurs sont également en train d’être structurées pour mieux prendre en charge le développement de certaines composantes du projet. En dehors de Pointe Sarène et de Mbodiène, quelles stratégies comptez-vous mettre en place pour développer les autres sites notamment dans le sud du pays ? Dans le sud du pays, nous comptons démarrer avec la Cdc, dans les prochains mois, les travaux d’aménagement de Kafountine-Abéné tel qu’annoncé par le Premier ministre. Nous disposons d’importantes assiettes dans le sud et c’est dans notre objectif à court terme de mettre en tourisme ces zones. L’objectif est de développer un pôle touristique et de loisirs résolument innovant et durable. Dans la région de Kédougou, nous avons un projet d’acquisition foncière de 60 ha sur Dindefelo pour un projet écotouristique. Nous avons déjà entamé les études et les discussions avec la municipalité. Sous peu les travaux d’aménagement vont démarrer afin que nous puissions le mettre en tourisme au plus vite car c’est une valeur ajoutée à la palette d’offres du Sénégal.
La réhabilitation du patrimoine historique et sa valorisation à but touristique peut-elle être une option à explorer pour la Sapco ?
La Sapco est le bras technique de l’Etat du Sénégal pour l’aménagement touristique. C’est dans notre vision également de valoriser le patrimoine culturel afin de développer cette branche du tourisme sénégalais. Quelles initiatives comptez-vous mettre en place pour améliorer les infrastructures touristiques du pays ? Le tourisme est certes un secteur pourvoyeur de devises mais de la même manière il nécessite des investissements lourds. En sus de la subvention d’investissement accordé par l’Etat, la Sapco-Sénégal est en train d’explorer et de mettre en œuvre des partenariats pertinents pour mieux prendre en charge la structuration et le financement de ses projets. Elle travaille à rendre ses projets éligibles à des partenariats publics-privés et à être un réceptacle pour des fonds d’investissement selon les lois et règlements en vigueur au Sénégal.
Sous mon magistère, j’ai eu à signer, dans ce sens, une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et d’autres institutions privées sénégalaises. La Sapco fête cette année son 50è anniversaire. Quel bilan tirez-vous de ce demi-siècle d’existence ? Il faut le rappeler, Saly est la 1ère station balnéaire de l’Afrique de l’ouest. La Sapco a été créée en 1975, elle a 50 ans d’existence en cette année 2025. Elle a à son actif la première station touristique de l’Afrique de l’Ouest (Saly Portudal) qui est opérationnelle depuis 1984. Dans une stratégie d’expansion, la Sapco-Sénégal se positionne aujourd’hui comme le principal levier de développement touristique du pays à travers l’identification, l’aménagement et la promotion de nouvelles zones touristiques intégrées comme Pointe Sarène, Mbodiène, le delta du Saloum etc. Au niveau de la station de Pointe Sarène les travaux d’aménagement seront finalisés très prochainement.
Vers la fin mars, nous démarrerons les travaux d’aménagement à Mbodiène. Suivront ensuite Kafountine-Abéné, Delta du Saloum, Cap-Skirring. En dehors de ces sites, la Sapco-Sénégal a acquis sur la grande côte et la zone Sud-est du foncier apte à recevoir des infrastructures touristiques notamment à Thieppe (Kébémer), sur Potou et dans le Sud-Est dans la commune de Dindefelo. Il faut souligner que dans le cadre du tourisme médical, la Sapco a aidé à l’installation du centre Ophtalmologique Swiss Visio de Saly qui accueille des visiteurs de la sous-région. La Sapco Sénégal a également entrepris des projets d’éco-parcs dans le delta du Saloum. Il s’agit d’un vaste projet qui vise à valoriser la mise en tourisme des sites situés dans le delta du Saloum tout en intégrant le volet respect de l’environnement. Il y a également dans la zone nord la construction de l’Oasis de Diogo, une initiative du groupe ERAMET qui a bénéficié de l’expertise de la Sapco en matière d’aménagement et de gestion de station. L’Oasis sera gérée par la Sapco, la seule entité apte à gérer une station touristique au Sénégal.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM