Elle n’est certes pas née au Sénégal, mais elle fait partie des professeurs et femmes de lettres qui ont laissé, et qui continuent de laisser, leur empreinte dans la littérature sénégalaise, africaine, et dans le combat pour la maîtrise de la langue française en Afrique francophone.
Le professeur André Marie Diagne, née André Marie Bonané, n’est pas seulement une simple adepte des Lettres. La native de Bobo-Dioulasso en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) vit et fait vivre la littérature au sein de sa famille et partout où elle se trouve, grâce à sa passion, son activisme et sa générosité intellectuelle légendaire.
Elle fait partie des académiciennes sénégalaises et africaines qui continuent de faire rayonner la langue française à travers la littérature et les livres. Le professeur André Marie Diagne, née André Marie Bonané, s’illustre dans le monde des Lettres grâce à son amour, son activisme et son sens inouï de la quête et du partage des connaissances, ainsi que de l’innovation. Née à Bobo-Dioulasso, en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), en plein milieu du XXe siècle, le professeur André Marie Diagne a commencé l’école sous des arbres, comme beaucoup d’enfants africains, sous l’ère coloniale. Fille d’enseignant, notamment d’un directeur d’école, elle n’a pas tardé à attraper le virus de l’enseignement. Initiée à la lecture et encadrée par sa maman dès son plus jeune âge, elle commencera à lire tout ce qu’elle a entre les mains.
« On avait une maman qui nous apprenait à tout faire à la maison. Il n’y avait pas de domestique. On savait faire le ménage, la cuisine, le linge. On faisait tout. Quand on me disait que c’était à mon tour de faire le ménage, dans chaque chambre où je passais, s’il y avait un livre : escale, lecture. Donc, je n’en finissais pas », confie-t-elle, toute souriante. Un sourire qui, selon son époux, le professeur de philosophie à la retraite Mamoussé Diagne, ne la quitte jamais. Ainsi, en passant du temps avec les livres, l’ancienne cheffe du Département de Lettres Modernes de l’École normale supérieure (ENS) de 1983 à 1988 a su développer en elle un amour profond pour les œuvres littéraires, aussi bien africaines qu’étrangères. Par pure curiosité et penchant naturel, elle lit et découvre des aventures, des pays et des horizons nouveaux. Et cet engouement pour la lecture, Mme Diagne l’a aussi inculqué à une de ses filles, avec qui elle a commencé à lire dès l’âge de deux ans, en utilisant le « i » du quotidien national « Le Soleil », qui était rouge, et le reste était noir.
« On a appris à lire grâce au Soleil. Mes enfants ont commencé tôt l’amour de la lecture et des livres. Je les emmenais au Centre culturel français à l’époque pour emprunter des livres. À la maison, il y avait toujours des livres, des cadeaux, des bandes dessinées. Ce que j’aimais bien quand je suis arrivée au Sénégal vers les années 70-80, c’est qu’au marché Tilène, il y avait beaucoup de vendeurs de bandes dessinées. Les enfants disaient : “damay ndieund livre aventure” (Je veux acheter un livre d’aventure) », dit-elle d’un air nostalgique.
De Bordeaux à Dakar
En fait, si le professeur André Marie a atterri au Sénégal, au-delà de sa destinée, c’est grâce à la magie de l’amour. Elle foulera le sol sénégalais après son mariage avec le philosophe Mamoussé Diagne qu’elle a rencontré en France, où elle poursuivait des études universitaires. Après son cursus primaire, elle a été envoyée chez les Sœurs de la 6e à Terminale, à Ouagadougou, où elle obtient son baccalauréat littéraire en série A4. « Quand j’ai eu le baccalauréat littéraire, les Sœurs m’ont dit que je devais aller à Fontenay-aux-Roses. Je ne savais pas trop ce que c’était. C’étaient des classes préparatoires. On m’a emmenée en France pour faire des classes préparatoires. J’ai atterri à Bordeaux, et c’est là que j’ai rencontré M. Diagne. C’était prévu que je vienne ici, mais on m’a détournée de l’itinéraire. Nous avons fait les classes préparatoires ensemble », indique-t-elle, toujours souriante.
Ayant obtenu la nationalité sénégalaise sous le président de la République Léopold Sédar Senghor, elle fut programmée pour enseigner au Collège d’enseignement moyen (CEM) Mathurin Diop. « La dame ne voulait pas de professeur de français, et le professeur Iba Der Thiam, qui était à l’époque directeur de l’École normale supérieure (ENS), a dit de m’amener à l’ENS pour que je puisse faire ma formation pédagogique et m’intégrer dans la société sénégalaise. C’est ainsi que je suis devenue l’une des premières professeures de la réforme de l’ENS en 1975 », explique l’inspectrice générale de l’Éducation nationale. Elle précise qu’elle est allée en France pour faire de la philosophie et est revenue professeur de Lettres. Son Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Secondaire (CAES), obtenu en 1976 à l’École normale, la présidente de la Commission nationale de Français du Sénégal, chargée de l’élaboration, de l’évaluation et de la réforme des programmes, est affectée au lycée Van Vo (actuel lycée Lamine Guèye). Elle y a enseigné avant de partir faire un stage pédagogique à Bruxelles, en Belgique, où elle a étudié la didactique pour obtenir un diplôme de formation des formateurs.
« À la différence de l’université où l’on forme des diplômés, nous, nous formons de futurs enseignants. Donc, je crois que l’amour de l’enseignement je l’ai attrapé depuis mon enfance. Je donnais des cours de vacances à mes petits frères et sœurs, mes voisins, etc. C’est ce qui a continué en moi. Au lieu d’être avocate, comme le disait un de mes oncles, j’aime l’enseignement. J’aime partager le savoir », confie la membre-fondatrice et présidente honoraire de l’Association sénégalaise des professeurs de français (ASPF).
Une générosité intellectuelle légendaire
Partager le savoir : le professeur André Marie Diagne en fait un sacerdoce. Aujourd’hui, à la retraite, elle continue de visiter des écoles avec une de ses anciennes collègues. Avec leurs livres, elles font lire les élèves et leur font écrire. C’est un projet nouveau pour essayer de faire renaître l’amour de la lecture et de la formation chez les jeunes. Et si cette inspectrice de l’Éducation se donne autant de peine pour susciter l’amour de la littérature chez la nouvelle génération, c’est parce qu’elle pense qu’il ne faut pas être replié sur soi-même. Comme l’a soutenu le sociologue Émile Durkheim, « l’éducation détient le rôle d’institution socialisante par excellence, elle fait de l’enfant un être social ». Cet être social, Mme Diagne l’est réellement, si l’on se fie aux témoignages d’un de ses anciens étudiants, le professeur Massamba Gueye. D’après lui, le professeur André Marie Diagne est une « personne très généreuse qui aime partager le savoir ». « Elle est très disponible, et c’est avec elle qu’on a trouvé l’amour de la lecture et de la littérature », témoigne l’homme de lettres.

Concernant son engagement pour la littérature, notre interlocuteur soutient que le professeur André Marie Diagne « n’aime pas la littérature, elle est la littérature. Elle vit par la littérature. Elle l’incarne ». Et pour la nouvelle génération, le professeur Massamba Gueye estime qu’elle est « un modèle à suivre », particulièrement pour son amour et sa quête perpétuelle de la connaissance.
Cet esprit d’ouverture, le professeur André Marie le tient aussi de son père, qui était pour ses élèves, un papa, un conseiller, un infirmier. « Il faisait tout. On venait à lui quand il y avait des gens malades. Donc, cela m’a mise dans cette situation d’ouverture. Je dois à mes parents d’avoir cette attitude d’ouverture envers les gens et de respect des gens. C’est important », affirme Mme Diagne, qui est aussi membre du Conseil d’administration et chargée de mission auprès du Président de la Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF) pour l’Éducation des filles et la formation des femmes en Afrique (REPROF-EFFA).
« André Marie a tout donné à notre pays, à sa famille, à ses collègues. Jusqu’à présent, elle est engagée dans beaucoup de choses, dans “les 10 mots de la langue française”, et dès qu’on parle de la langue française ou de culture, on pense à André Marie. On doit beaucoup à cette femme. André Marie est un pont entre le Sénégal, le Burkina Faso et le reste de l’Afrique. Elle symbolise le panafricanisme intellectuel qui a toujours existé dans ce pays. On l’oublie souvent au Sénégal, et son mari le lui rend bien », renchérit le professeur Penda Mbow.
Une épouse amoureuse et attentionnée
Si le professeur agrégé de philosophie, à la retraite, Mamoussé Diagne, fait les éloges de sa femme à chaque fois que l’occasion le lui permet, c’est parce qu’il estime qu’il a eu la chance d’avoir « la meilleure des épouses ». « Je ne le dois pas uniquement à une pensée subjective, mais c’est la pure vérité. Depuis que je l’ai rencontrée, il y a bientôt 50 ans, je ne me souviens pas avoir eu d’elle autre chose que son sourire éclatant, ses éclats de rire. Je suis allé la chercher pour cette raison, loin de nos frontières », se réjouit M. Diagne, retrouvé dans sa bibliothèque, entouré de livres. Des livres qui symbolisent le trait d’union entre les deux êtres, qui se sont connus en France, sur le quai de la gare Saint-Jean à Bordeaux. Depuis le début de leur romance, Mme Diagne se trouve être « le plus heureux des hommes ». Car, précise-t-il : « Ma femme a ceci de particulier qu’elle semble être faite de gentillesse. Elle m’a tout donné. Si je suis arrivé là où je suis aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à elle, tant sur le plan intellectuel qu’affectif. »
Pour sa part, le professeur Penda Mbow trouve qu’entre André Marie et Mamoussé, il existe un couple « fusionnel, très engagé » dans tout ce qui touche aux Lettres, à l’enseignement, à la société et à la vie intellectuelle. D’après l’historienne, le professeur André Marie complète « parfaitement » son mari. « Marie André est d’une très grande modestie, et je crois que c’est un trait de caractère de l’homme burkinabé. On ne voit pas Mamoussé sans qu’il ne parle d’André Marie, sans qu’il ne valorise sa femme. Et c’est ce qu’on attend toujours d’un homme. Les couples intellectuels ne peuvent survivre que lorsqu’il y a une admiration réciproque. C’est ce qui fait la force d’un couple intellectuel. André Marie et Mamoussé, c’est l’exemple d’un couple fusionnel, formé dans l’amour, mais aussi à partir de la connaissance, du savoir, du bien-être et de l’esthétique », insiste le professeur Penda Mbow.
La vie du professeur André Marie, c’est aussi son passage dans les médias sénégalais, notamment pour animer des émissions littéraires. Elle a collaboré avec Sada Kane à son émission « Regard ». Avant cela, elle co-animait une émission avec Abdoulaye Sada Sy à la RTS, où ils invitaient des écoles à parler des œuvres au programme. Elle a aussi accompagné Sada Kane à 2S TV avec son émission « Impression ».
Son plus grand rêve aujourd’hui, à la retraite, serait de se trouver dans une petite île comme Gorée, avec un climat agréable comme celui de Saint-Louis, une maison calme où elle pourrait lire, écrire et produire, avec celui qu’elle a choisi dans sa vie, son compagnon le professeur Mamoussé Diagne, ses petits-enfants et la possibilité de participer à des émissions et de visiter des écoles pour faire lire les élèves.
Mariama DIEME