Les tensions diplomatiques qui secouent actuellement l’Afrique de l’Ouest, en particulier entre les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (Aes, Niger-Burkina Faso-Mali) et leurs voisins, reflètent une rupture significative avec les anciennes puissances coloniales, notamment la France. Ces tensions sont exacerbées par la crainte partagée de déstabilisation, qu’elle provienne de l’ingérence de puissances extérieures ou de voisins jugés comme des relais de ces influences étrangères.
Le 30 décembre 2024, le ministère béninois des Affaires étrangères a convoqué la chargée d’affaires du Niger pour obtenir des clarifications sur des accusations de déstabilisation formulées par le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte nigérienne. M. Tiani avait, dans une interview télévisée, accusé le Bénin de soutenir des actions de déstabilisation au Niger tout en incriminant la France pour ses prétendues activités subversives dans la région. Bien que le ministre béninois des Affaires étrangères Shegun Bakari ait fermement rejeté ces accusations, la tension diplomatique entre les deux pays reste palpable.
Le Niger, dans le cadre de sa rupture avec la France et la Cedeao, semble voir le Bénin comme un relais d’influence de la France ; ce qui alimente une crainte de déstabilisation par procuration. Cette situation illustre la volonté de plusieurs pays de la région de se dissocier des mécanismes qu’ils perçoivent comme des instruments de contrôle extérieur, particulièrement sous la forme de la Cedeao. La relation entre le Niger et le Nigeria est également marquée par des tensions diplomatiques croissantes, surtout après que le Niger a accusé le Nigeria d’être impliqué dans des actions de déstabilisation sur son territoire.
Le 21 décembre 2024, le gouvernement nigérian a fermement réfuté ces accusations, notamment celles concernant une attaque contre l’oléoduc Niger-Bénin. Cette situation est exacerbée par la position de Niamey vis-à-vis de la Cedeao dont le Nigeria est un membre influent et un défenseur de la ligne diplomatique perçue comme étant alignée sur les intérêts français. Le Niger, après son coup d’État de 2023 et son éloignement de la France, craint que ses voisins, en particulier le Nigeria, agissent en tant que relais de l’influence française dans la région.
Les relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont aussi franchi un nouveau seuil de tension avec le rappel des diplomates burkinabè d’Abidjan en septembre 2024. Cette tension diplomatique résulte de divergences profondes, notamment en raison de la position de la Côte d’Ivoire qui soutient les sanctions de la Cedeao contre le Burkina Faso après le coup d’État de 2022. Le président burkinabè Ibrahim Traoré, issu du coup d’État, adopte une position souverainiste, se distanciant de l’influence française et de la Cedeao, cette dernière étant perçue comme un prolongement des intérêts étrangers.
En revanche, la Côte d’Ivoire, dirigée par Alassane Ouattara, reste un allié historique de la France ; ce qui nourrit la méfiance du Burkina Faso, surtout que la Côte d’Ivoire représente un bastion de la politique étrangère française en Afrique de l’Ouest. Le retrait des diplomates burkinabè illustre donc une fracture diplomatique entre deux pays voisins partageant non seulement des enjeux économiques et sécuritaires, mais aussi des divergences idéologiques majeures.
Peur
La crainte de déstabilisation, nourrie par l’interventionnisme perçu des puissances extérieures, singulièrement la France, est une constante régionale. Les régimes militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, après avoir pris le contrôle par les armes, restent sur la défensive face à ce qu’ils considèrent comme des menaces potentielles venant de leurs voisins et des acteurs internationaux.
Le retrait des troupes françaises, qui ont longtemps joué un rôle clé dans les opérations de lutte contre le terrorisme dans la région, est perçu comme une occasion pour des puissances voisines d’agir, de manière plus proactive, pour déstabiliser ces régimes par l’intermédiaire d’alliances diplomatiques ou d’interventions indirectes. Si la relation avec la France domine les préoccupations des pays du Sahel, il existe aussi des préoccupations vis-à-vis de l’Algérie, particulièrement en ce qui concerne le Mali. Bien que la situation avec l’Algérie soit différente de celle avec la France, elle n’en reste pas moins importante dans le contexte des tensions diplomatiques en Afrique de l’Ouest. L’Algérie, qui ne partage pas les mêmes relations historiques avec la France que les autres pays du Sahel, reste un acteur stratégique clé dans la région.
Toutefois, ses relations avec le Mali ont été mises à l’épreuve par des accusations de soutien à des groupes indépendantistes touaregs, notamment ceux du nord Mali.
Méfiance
Ces groupes, souvent considérés comme des terroristes par le gouvernement malien, sont soutenus par l’Algérie qui a une vision différente de la nature de ces mouvements qu’elle ne qualifie pas de «djihadistes». Cette divergence sur les groupes rebelles a fait monter les tensions, notamment après que le Mali a accusé l’Algérie de soutenir indirectement ces groupes ; ce qui représente pour Bamako une menace à la stabilité nationale. L’Algérie, bien que se distanciant de la France, a son propre rôle à jouer dans la dynamique régionale. Elle se voit parfois perçue comme un protecteur des groupes indépendantistes touaregs et comme un acteur cherchant à maintenir une certaine influence dans la région sahélienne.
En conséquence, les autorités maliennes, déjà sur la défensive face aux puissances extérieures, voient dans les relations d’Alger avec ces groupes comme un potentiel facteur de déstabilisation. Les tensions diplomatiques entre les pays du Sahel et leurs voisins immédiats illustrent un climat de crainte et de méfiance généralisé qui semble s’intensifier au fur et à mesure des ruptures avec les anciennes puissances coloniales, en particulier la France. Ces tensions, bien que marquées par un rejet de l’ingérence étrangère, se complexifient davantage avec l’implication d’acteurs comme l’Algérie dont le soutien à certains groupes indépendantistes est perçu comme un facteur de déstabilisation dans la région.
La situation au Mali, au Niger et au Burkina Faso, bien que spécifique, traduit une inquiétude plus large sur la capacité de ces régimes militaires à résister à un potentiel bouleversement via leurs voisins. En ce sens, ces tensions diplomatiques entre voisins semblent être les prémices d’une instabilité régionale qui pourrait remettre en question la paix fragile en Afrique de l’Ouest. La rupture avec la France et la place de l’Algérie dans ce complexe géopolitique ajoutent une dimension supplémentaire à la crainte de déstabilisation dans la région.
Daouda DIOUF